Fyctia

New Life a été installé entre les murs d’un ancien couvent, abandonné dans les années 70. Même sans connaître l’histoire du lieu, c’est quelque chose que l’on voit immédiatement. Plusieurs symboles religieux sont encore visibles, comme la croix et la cloche qui surplombe l’entrée du bâtiment en pierre. Et si par hasard, nos yeux passaient à côté de ceux-ci, l’écriteau soudé à la grille en fer forgé se chargerait de nous mettre sur la voix. Les dirigeant du foyer n’ont jamais pris le temps de le retirer, malgré les travaux effectués pour permettre d’accueillir les orphelins de Saint Louis. Ou plutôt, ils ont décidé de garder une trace du passé. Pour quelles raisons ? Je n’en ai aucune idée. Et ce n’est pas réellement la question principale à poser à la directrice de l’établissement.

Jasper appuie sur l’interphone alors que mon regard se perd sur les fenêtres du premier étage. Derrière l’une d’entre elle, un des pensionnaires nous observe, sans se cacher. A cette distance, impossible de distinguer autre chose qu’un visage flou et une paire d’yeux qui ne me quitte pas.

— Que puis-je pour vous ? demande une voix à travers le haut-parleur de l’interphone.

—Inspecteur Donovan, se présente-t-il, alors que mon attention se détourne de l’enfant pour revenir à la raison de notre venue. Je souhaiterais m’entretenir avec Madame Miller, si elle est disponible. J’aurais quelques questions à lui poser concernant une enquête en cours.

— Attendez un instant, s’il vous plaît.

La porte reste fermée et plus aucun bruit ne parvient de l’interphone. Et cela dure jusqu’à ce qu’une femme sorte sur le seuil du bâtiment et remonte dans notre direction sous le claquement de ses talons aiguilles.

— Puis-je voir votre plaque, s’il vous plaît ?

Jasper s’exécute sans cesser de sourire. Certains pourraient croire qu’il joue un rôle pour obtenir plus d’informations, pour mettre les gens à l’aise, pour contrebalancer mon côté taciturne. Comme si nous étions réellement dans une dynamique « gentil flic, méchant flic ». En réalité, il est juste comme ça. Il n’y a presque rien en ce monde qui peut faire fuir sa bonne humeur.

La femme le remercie avant de nous ouvrir la grille dans un grincement qui indique qu’elle devrait être plus régulièrement huilée, et nous indique de la suivre.

Le hall d’entrée ressemble à un couloir de lycée avec tous ces casiers métalliques collés contre les murs. La plupart ont un nom écrit dessus sur une étiquette blanche, certaines se décollent indiquant qu’elles sont là depuis longtemps, d’autres ont été décorées avec des dessins de fleurs, des cœurs ou de super-héros.

Les deux pièces à l’opposé du hall sont étrangement vides et silencieuses. C’est comme-ci personne ne vivait ici.

Notre guide emprunte un couloir sous l’escalier principal avant de frapper à une porte sur la gauche.

— Entrez, annonce une voix de l’autre côté du battant.

Notre accompagnatrice s’exécute tout en restant dans l’encadrement.

— Mme Miller, je vous amène les deux inspecteurs qui voulaient vous voir.

— Merci, Donna.

Cette dernière nous abandonne avant de disparaître dans l’angle du couloir.

— Messieurs, je vous en prie, prenez place, nous invite la directrice en désignant deux chaises d’un signe de la main.

Sans même nous concerter, Jasper s’installe sur celle plus à droite alors que mes fesses se posent sur celle de gauche.

— Vous avez de la chance, presque tous les enfants sont en cours à cette heure-ci. Nous allons pouvoir avoir une conversation sans être dérangé toutes les cinq minutes. Que puis-je faire pour vous ?

A l’inverse de celle qui doit être sa secrétaire, la directrice de New Life renvoie une image bienveillante et douce.

— Comme nous l’avons dit à votre… assistante…

— Mon dieu, ne dites surtout jamais ça en face d’elle, le coupe-t-elle avec un petit rire. Donna est quelqu’un de très susceptible et elle tient particulièrement à son statut de « surveillante en chef ».

— Oh, euh, d’accord, donc comme nous l’avons dit à votre « surveillante en chef », nous aurions quelques questions à vous poser dans le cadre d’une affaire en cours.

— Allez-y ! Je ferai le maximum pour vous aider.

Comme convenu, Jasper mème l’interrogatoire. Je ne devrais même pas être là. Mon but est donc de passer inaperçu, d’étudier le comportement de la directrice, même si je n’ai aucune raison de croire qu’elle va nous mentir, et d’intervenir qu’en cas d’extrême nécessité.

— Est-ce que le nom d’Allison Walters vous évoque quelque chose ? Nous pensons qu’elle aurait pu séjourner ici, il y a quinzaine, voir une vingtaine d’année, indique Jasper.

— Je n’étais pas encore à ce poste, à ce moment-là, nous informe-t-elle avec une grimace désolée.

— Quelqu’un d’autre pourrait nous renseigner ? La surveillante en chef, peut-être ?

— Donna n’est là que depuis six ans environ. Et elle est la plus ancienne de l’équipe actuelle.

— Pourrions-nous jeter un coup d’œil à vos archives ? Nous vous promettons de tout remettre en place à notre départ.

— Vous n’aurez pas à vous donner tout ce mal, dit-elle en bougeant la souris de son ordinateur.

L’écran s’allume aussitôt sur une page d’accueil d’un logiciel interne.

— L’ancienne salle des archives a subi une inondation quelques semaines après ma prise de poste et nous avons failli perdre plusieurs dossiers. J’ai décidé de tout enregistrer, même si les enfants n’étaient plus nos pensionnaires.

Jasper me lance un regard étonné. Nous avions prévu de passer des heures entre les cartons et les papiers poussiéreux. Nous n’avions pas prévu de rencontrer quelqu’un d’aussi efficace et de prévoyant.

Ses doigts courent sur le clavier et le nom d’Allison Walters avec un « Not found » s’affiche presque aussitôt.

— Je suis désolée, messieurs, mais cette jeune femme n’est jamais passée par New Life.

Et merde !