Fyctia
Chapitre 6 Partie 1
Keegan
Vendredi 5 décembre
— Encore une perte de temps, soupiré-je en montant dans la voiture à la suite de Jasper.
Le matin même, mon ancien collègue s’est pointé à la maison avec une liste longue comme le bras d’endroits à visiter dans la journée. Ce que j’ai accueilli comme une bénédiction. En rentrant, la veille, j’ai voulu profiter de la lumière du soleil pour faire quelques travaux. Echec cuisant ! L’un des pots de peinture pour l’une des chambres de l’étage était impossible à ouvrir. Quant au lit, la notice était tellement incompréhensible que j’ai mis presque 4h à venir à bout de ma tâche. Je n’avais clairement pas envie de me relancer dans de nouveaux projets de décorations intérieures, aujourd’hui.
Avec Jasper, on était d’accord qu’on pouvait faire l’impasse sur pratiquement toutes ces excursions, qu’on n’apprendrait rien et qu’on finirait uniquement dans des culs-de sacs. Seulement, si nous avons tous les deux un point commun, c’est celui-là : rester assis à ne rien faire n’est pas dans notre caractère.
En l’absence de Paola, Jasper a récupéré le dossier concernant The Santa Claus Killer aux archives la veille et a commencé à le regarder, mais il en a eu vite assez.
La jeune femme étant revenue ce matin, elle a eu le droit de prendre sa suite.
Quant à l’article préparé par Willa, il ne sera diffusé que le lendemain, alors quitte à devoir perdre du temps, autant le faire en étudiant toutes les pistes, même si l’espoir que ce soit utile n’est pas là.
— Tu veux qu’on change un peu ? demande-t-il en barrant Barry Bell’s Store d’un trait énergique.
Celui-ci rejoignant de ce fait les cinq autres noms déjà disparus sous l’encre bleu. Comme prévu, le Père Noël est un modèle générique vendu par des dizaines de magasins dans la banlieue de Saint Louis, sans compter internet. Jasper continue tout de même à chaque interrogatoire de demander une liste de clients qui l’ont acheté, même si celles-ci ne servent à rien, pour le moment. Non seulement, elles sont incomplètes, puisqu’elles ne contiennent pas le nom des clients qui ont réglés en espèces sans avoir la carte de fidélité, mais en plus, elles ne comportent les ventes que de ces derniers mois. Rien ne dit que le Père Noël n’a pas été acquis des années plus tôt.
— On pourrait aller à New Life ? Le foyer est à quelques rues d’ici, continue Jasper tout en repliant le papier pour le ranger dans sa poche avec son stylo.
— Ouais, je crois qu’un peu de changement ne serait pas du luxe, admis-je sans problème.
Parce qu’encore une visite dans un magasin bondé pour entendre une nouvelle fois la même chose et attendre pendant plusieurs minutes pour rien va finir par me faire exploser.
— C’est parti, alors !
Comme à son habitude, Jasper ne semble pas être atteint par le fait qu’on est comme enlisé dans la boue. Notre enquête n’avance pas d’un pouce, et pendant ce temps, le tueur d’Allison Walters court toujours. C’est une certitude que ce n’est pas un imitateur et que Oliver Stanfort est innocent. The Santa Claus Killer est lancé à la poursuite de sa nouvelle proie et malgré toute notre implication, l’histoire semble se répéter.
Mon poing s’abat violemment sur la boite à gant, faisant sursauter Jasper au moment où la voiture s’engage dans la circulation, manquant de la faire dévier de sa trajectoire. Par chance, il garde son sang-froid et les mains serrées autour du volant.
— Hé ! Kee ! Reste calme, ok ! Je n’ai pas envie de finir dans le décor.
— Désolé, grogné-je, encore en colère avant de tourner la tête vers la vitre pour échapper à ses coups d’œil répétés.
Le silence s’installe entre nous et perdure durant tout le trajet. Quelques minutes qu’il m’accorde pour reprendre mes esprits. Nous avons toujours fonctionné de cette manière. En règle générale, il n’y avait pas de temps mort entre nous quand nous travaillions encore ensemble. Jasper avait toujours un truc à dire, une anecdote à raconter… Mais, il y avait aussi ces moments où il savait qu’il valait mieux se taire. Quand on découvrait un nouveau corps par exemple.
— C’est à moi d’être désolé, finit-il par dire, une fois arrivé à destination. Tu avais réussi à tout mettre derrière toi, à commencer une nouvelle vie. Je n’aurais pas dû venir te chercher, t’obliger à replonger dans cette histoire tête la première.
— Tu m’as obligé à rien.
— Bien sûr que si.
— Non, insisté-je, avec un claquement de langue désapprobateur. Même si j’avais refusé, même si tu n’étais pas venu, ça n’aurait fait que retarder l’échéance, parce que c’est à moi que le meurtrier adresse ses petits cadeaux. C’est avec moi qu’il veut jouer. Et tu me connais suffisamment pour savoir qu’il est hors de question que je le laisse s’amuser sans lui mettre des bâtons dans les roues.
— C’est étonnant, d’ailleurs, tu ne trouves pas ?
— Quoi ? Tu es jaloux qu’il ne t’adresse pas ses petits mots doux ?
— Non, ça c’est normal, tu es le beau gosse de notre duo, Casper, réplique-t-il, amusé, en attrapant une mèche de mes cheveux.
— Et toi, tu es quoi, alors ? riposté-je avec une tape sur la main.
— Le cerveau, évidemment. Et c’est pour ça que cette histoire me semble bizarre. Ce tueur a toujours eu une longueur d’avance, n’a commis aucune faute, jusqu’à cette lettre. Ton départ de la police n’est pas passé inaperçu, tu as eu ton lot d’articles dans la presse. Alors, comment peut-il ne pas être au courant ?
Le ton de Jasper se fait plus sérieux et ses mots passent en boucle dans mon esprit. Je n’y avais pas songé. Ce côté de l’affaire m’avait complètement échappé. Quelques journaux ont décidé de consacrer un article à mon départ, notamment parce que celui-ci a eu lieu juste après le verdict, emprisonnant Oliver Stanfort à vie.
— Une idée, Einstein ?
— Peut-être qu’il est allé en prison pour une autre raison et qu’il n’a pas pu suivre de près tous les aboutissants du bordel qu’il a créé ?
Je réfléchi à cette explication pendant quelques secondes, et même si elle semble à priori possible, je n’y crois pas. Ce qui doit se lire sur mon visage parce que Jasper enchaîne sans que je n’aie à ouvrir la bouche :
— Peut-être qu’il a quitté le pays ? Par précaution ou pour une autre raison ? Un travail, par exemple.
Encore une fois, c’est possible. Et cette fois-ci, j’adhère davantage, même si je n’en suis pas encore totalement convaincu.
— Il y a aussi une autre explication, continue Jasper, en me fixant gravement. Et celle-ci est loin d’être plaisante. Peut-être qu’en réalité, il est au courant de ta démission et qu’il veut simplement…
— …me mêler à tout ça, terminé-je à sa place, en ayant conscience qu’il a probablement touché juste. C’est une autre dimension de son jeu.
Une dimension où ma vie est entre ses mains, autant que celle du garçon sur la photo. Une dimension où au lieu d’être le chasseur, je suis devenu sa proie.
1 commentaire
Natia Kowalski
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Il y a 5 jours