Fyctia
Chapitre 5
1 an plus tôt
Keegan
La neige tombe en flocons jusqu’à s’écraser sur le sol, ou viennent se perdre dans le col de ma veste. Cela dure depuis plusieurs jours, avec juste quelques heures de répit entre chaque nouvel assaut. J’avais espéré échapper à une nouvelle attaque venant du ciel, non pas que je n’aime pas voir le paysage se recouvrir de blanc, mais parce que Jasper est encore plus insupportable quand ça arrive.
Je pousse la porte du café Kaldi’s presque désert, tout en retirant ma veste. La chaleur qui se dégage de ce lieu n’est pas seulement dû au sourire des serveurs, ou plutôt d’un serveur, mais aussi des radiateurs allumés. Même si je ne suis pas réellement frileux, en tout cas pas autant que certains, j’avoue sans problème qu’on est mieux ici que dehors. Et dire qu’on n’est même pas encore en décembre ! Thanksgiving n’est que demain, et pourtant on pourrait déjà se réunir pour fêter noël à la vue des températures.
Je me glisse à une table près de l'accès à la réserve, là où doit se trouver la sortie de secours, avec une vue imprenable sur l’extérieur. Je n’y réfléchis pas réellement. C’est un automatisme dû à des années dans la police.
— Vous désirez quelque chose ?
Je tourne la tête en direction d’un serveur inconnu. Ce n’est pas Noah. Je l’ai de suite compris en entendant sa voix. Elle n’a pas le même timbre que celle de mon… quoi ? Crush ? C’est ce que dirait Jasper, ce qui ne manque jamais de me faire grimacer. J’ai l’impression d’être un vieux à chaque fois qu’il l’utilise.
— Monsieur ?
— Un cappucino, m’empressé-je de dire sans même prendre la peine de jeter un coup d’œil au menu. Et un assortiment de pâtisseries pour deux.
Joachim, d’après le badge sur sa poitrine, hausse un sourcil, le regard rivé sur le siège vide en face du mien, mais ne fait aucun commentaire. Il se contente de griffonner ma commande sur son calepin avant de mettre le crayon derrière son oreille et de retourner près du bar.
Noah est nulle part en vue. Et s’il ne travaillait plus là ? Et si ce Joachim était son remplaçant ? Quelque part, cela me soulage, parce que Noah exerce une attraction sur mon corps qui menace de prendre le contrôle à chaque fois qu’un sourire effleure ses lèvres.
Et d’un autre côté, il y a ce pincement au cœur à l’idée qu’il me sera plus possible de l’observer à la dérobée, danser entre les tables.
Jasper dirait qu’il y a autre chose, que l’idée même de ne plus le voir me perturbe parce qu’alors je ne pourrais jamais franchir le pas.
Je secoue la tête et enfouis toutes ses pensées avec les autres, sous une bonne couche de déni, avant de jeter un coup d’œil à mon téléphone. Il n’y a aucun message de mon coéquipier, ce qui signifie qu’il ne va pas tarder à arriver.
Jasper est toujours en retard, mais quand ça ne dépasse pas quinze minutes, il ne s’encombre pas à prévenir.
— Noah ? Tu peux apporter cette commande, je dois dire quelques mots à Hannah, entends-je dans mon dos, ce qui me pousse à jeter un coup d’œil rapide par-dessus mon épaule.
Il est là !
Il fixe son collègue, en hochant la tête, ce qui me permet de détailler son profil.
— Un cappucino et un assorti…, annonce-t-il en posant le plateau et la tasse sur la table, avant de me reconnaître. Oh ! Bonjour, lance-t-il avec un sourire.
J’ouvre la bouche avec l’intention de répondre, même si, je n’ai aucune idée de quoi lui dire. Ce n’est pas la première fois que ça arrive. C’est même une récurrence. Les mots, ce n’est pas quelque chose que je maîtrise. En tout cas, en dehors du travail. Je n’ai jamais de problème à communiquer avec un criminel, parce que le but est de lui faire cracher la vérité pour le coffrer. Jasper en profite largement pour se foutre de ma gueule, allant jusqu’à essayer de me coller un rendez-vous avec un ancien suspect, prétextant qu’au moins je n’aurais pas de trou blanc.
Tu parles !
Un interrogatoire n’est pas la même chose qu’une discussion civilisée.
— Ravi de voir que vous avez retrouvé le chemin du Kaldi’s.
Retrouver ? Certes, je ne suis pas venu depuis plusieurs semaines, mais je ne pensais pas qu’il l’aurait remarqué. En tout cas, c’est ce que laisse supposer la formulation de sa phrase. Et si je ne suis pas doué dans l’utilisation des mots, en revanche, en comprendre les diverses interprétations m’est facile.
— Vous attendez quelqu’un ? demande-t-il, alors que ma bouche refuse encore de prononcer la moindre parole.
— Euh… ouais…j’ai un rendez-vous, parviens-je à dire avec difficulté.
Avant de regretter immédiatement, en voyant l’étirement de ses lèvres faiblir légèrement quelques secondes.
Quel con !
— Non, ce n’est pas…, c’est pour le travail, m’empressé-je de rectifier.
Pourquoi est-ce que je me justifie comme ça ? Qu’est-ce qu’il va croire ?
Putain ! On dirait un adolescent devant son premier béguin.
J’ai envie de me cacher sous la table et de fuir cette situation qui est en train de devenir très embarrassante. Et puis, le sourire de Noah réapparaît.
Un sourire chaleureux, que, jusque-là, j’interprétais uniquement comme un sourire commercial. Et si ce n’était pas que ça ?
Et s’il y avait un message ?
— Oh ! Laissez-moi deviner….
Noah m’observe un long moment en silence, les sourcils froncés, comme s’il était en train de réfléchir intensément.
— Vous voulez un indice, peut-être, lui suggéré-je au bout d’un certain temps.
— Non, je suis sûr presque sûr d’avoir trouvé. Je réfléchis un à enjeu. Ce n’est pas drôle, s’il n’y a rien à gagner, vous ne croyez pas.
— Un enjeu ? répété-je avec étonnement.
— J’aime jouer, pas vous ? murmure-t-il, d’une voix qui me donne des frissons.
Est-ce réellement sa voix, d’ailleurs ? Ou est-ce le sous-entendu qu’il m’est possible de deviner sous ses mots.
Avant de pouvoir faire machine arrière, mes lèvres s’entrouvrent sur une réponse qui imprévisible qui allume une lueur dans ses yeux.
— Tout dépend de l’adversaire, je suppose.
La porte du café s’ouvre au même moment, laissant entrer Jasper. Je ne manque pas son air narquois quand ses yeux se posent sur Noah qui se redresse quelque peu avant de s’éloigner.
— J’ai interrompu quelque chose ? lance-t-il, amusé, en retirant son manteau et son écharpe avant de prendre place.
— Non, lâché-je dans un grognement de mécontentement.
Noah choisit ce moment pour revenir avec une tasse supplémentaire et l’addition qu’il glisse dans ma direction avant de filer sans un mot de plus. Jasper attrape le morceau de papier à la vitesse de l’éclair.
— Non ? Vraiment ? insiste-t-il, moqueur.
Il retourne l’addition et me montre les quelques lignes écrites à la main.
« Je vous attendrais vendredi soir à 20h à la Gateway Arch pour récupérer mon gain, inspecteur ».
5 commentaires
Natia Kowalski
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Il y a 5 jours
Leroux Ophélie
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Il y a 4 jours
Astrid.D
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Il y a 14 jours