Fyctia
Chapitre 4 Partie 1
Keegan
Jeudi 4 décembre
— Inspecteur Willmore, que me vaut l’honneur de ta visite ? lance Quinn en s’adossant dans l’embrassure de la porte de son bureau.
La veille, une fois que Paola et Jasper ont débarrassé le plancher, je suis retourné à mes travaux, non sans réfléchir à la suite des évènements. Et c’est ce qui m’a poussé à rendre visite à mon assistante sociale préférée.
— Inspecteur Willmore ? Depuis quand es-tu devenu si protocolaire ?
— Depuis le silence radio qui a suivi ton départ.
Je grimace sous l’impact de son ton plein de reproches, inhabituel de sa part. En tout cas, en ce qui me concerne, parce qu’elle ne se gêne pas pour l’utiliser envers mes anciens collègues.
— Allez, entre, finit-elle par lâcher en me faisant signe de la tête de la suivre à l’intérieur de son « antre » comme elle aime le dire.
Je m’exécute sans attendre, redécouvrant avec plaisir l’atmosphère bienveillante et accueillante de l’endroit. Les murs recouverts de dessins d’enfants, de photos de familles et de tableaux chaleureux. Les fauteuils confortables en tissus qui remplacent les chaises d’écoliers en bois et en fer qui ne donne pas envie de rester. Les pots remplis de stylos colorés, les magnets à l’effigies de personnages de dessins-animés aimantés sur le tableau blanc et retenant des documents importants, les gadgets en tous genres révélant l’univers joyeux dans lequel se réfugie Quinn pour échapper à l’horreur de son travail.
— Tu n’as pas encore commencé à accrocher tes décorations de noël, m’étonné-je, en voyant la pièce dépourvue de boules, de guirlandes et du traditionnel petit sapin blanc qu’elle pose en temps normal sur le rebord intérieur de la fenêtre.
— Que veux-tu, certains d’entre nous ont encore un travail et n’ont pas encore eu le temps de s’amuser, Keegan.
— Je vois qu’on en est déjà revenu à Keegan, souligné-je, amusé.
On reste encore au prénom, mais on s’approche petit à petit des anciens surnoms qu’elle avait l’habitude de m’affubler. Je n’aurais jamais cru que ça me manquerait sa manière singulière de m’interpeller. Que ses « mon petit chou » ou ses « mon dieu grec », qui pouvaient m’exaspérer à force, me tirailleraient le cœur en disparaissant.
Pour le reste, elle n’a pas changé, et ça a un côté rassurant de voir, qu’ici au moins, les choses n’ont pas bougé depuis mon départ. Elle est toujours une bordélique organisée. Elle a encore cette manie de colorer ses ongles de couleurs différentes. Elle n’est toujours pas capable de faire une queue de cheval correctement et elle porte encore ses lunettes à grosses montures.
— En même temps, tu n’es plus vraiment l’inspecteur Willmore, non ?
Elle se réfugie derrière le bureau qui croule sous le poids des dossiers et me laisse prendre place en face d’elle.
— Tu n’es pas venu juste pour vérifier que mes décorations de noël étaient en place, ni pour m’inviter à manger, alors pourquoi tu voulais me voir ?
— J’ai peut-être juste envie de discuter un peu et de prendre de tes nouvelles.
— Si c’était le cas, tu m’aurais téléphoné. Tu ne m’aurais pas envoyé un « Est-ce que je peux passer te voir demain ? » par texto sans explication. Et surtout tu ne serais pas venu te perdre ici. Tu n’as jamais aimé venir, pourquoi ça aurait changé en quelques mois ?
Elle n’a pas tort. Au fil des années, on a dû collaborer des dizaines de fois ensemble sur des dossiers concernant des mineurs orphelins, et dès que possible, je faisais en sorte qu’on se croise à l’extérieur.
— Même si tu n’oses plus remettre les pieds au Kaldi’s, il y a d’autres cafés, tu sais.
— Rien à voir avec ça.
— Vraiment ? Tu vas me faire croire que ça ne te pose aucun problème de revoir Noah ?
— Ecoute, je ne suis pas venu pour parler de lui, soupiré-je, déjà épuisé par la tournure prise par la conversation.
— Alors, qu’est-ce qui te pousse à fouler les couloirs de la division pour l’enfance ?
— Tu as entendu parler de The Santa Claus Killer, je suppose.
— Qui n’en a pas entendu parler, voyons ? Même pas besoin de regarder les chaînes d’informations locales pour ça. Les conversations autour de la machine de café ne concernaient que ça, si bien que j’ai fini par fuir l’endroit pendant des semaines.
— Tu te souviens de quoi, exactement ?
— Pas grand-chose, me répond-elle en haussant les épaules. Il vous a envoyé des cadeaux, il me semble, et, il a fini par tuer une personne.
— Trois, en réalité, la corrigé-je, sur un ton neutre.
— Il a été condamné pour un seul meurtre, pourtant, non ?
— On n’a jamais eu de preuves concrètes le reliant aux deux autres victimes, mais tu sais que ça ne veut rien dire.
— L’instinct du flic, hein ? réplique-t-elle, avec un léger sourire en coin.
— On peut dire ça comme ça, lâché-je en jouant avec le pendule de Newton qui trône sur le coin du bureau.
Un élément qui détonne avec la personnalité de Quinn. Elle m’a expliqué un jour qu’elle l’avait hérité de sa mère qui était psychiatre et qu’elle n’avait pas réussi à s’en séparer.
— Le nom de la victime, tu t’en rappelle ? lui demandé-je, tout en regardant les boules taper l’une contre l’autre dans un léger tintement.
— Je te l’ai dit, Keegan. J’ai tout fait pour passer entre les mailles du filet. Pourquoi ?
— Elle s’appelait Allison Walters, ça te dit quelque chose ?
Je lève le regard et croise le sien, alors qu’elle fouille sa mémoire à la recherche d’un souvenir au nom évoqué.
— Elle a fait un passage en centre d’accueil, ajouté-je, lui fournissant un élément supplémentaire.
Enfin, d’après ma théorie. Seulement, il n’est pas nécessaire qu’elle sache qu’il s’agit que d’une idée.
— Une minute papillon. Laisse-moi récupérer le fil et suivre ta pensée, dit-elle en faisant semblant de remonter une canne à pêche.
Elle déplie une un morceau de papier imaginaire avant de continuer :
— Tu penses que la victime d’un tueur qui a sévi l’année dernière est passé par nos services, c’est ça ?
Je hoche la tête tout en lâchant un « ouais ».
— Tu penses qu’avec le nombre d’enfants qui entre dans le système chaque année, je pourrais me souvenir d’une petite fille en particulier juste avec son nom, on est toujours sur la même longueur d’onde ?
Cette fois-ci, une grimace étire mes lèvres, en entendant mon idée reformulée de cette manière.
— Vu comme ça, c’est…
— …idiot, me coupe-t-elle, en secouant la tête, dépitée. Je prends mon travail au sérieux, mon chou, mais là, tu me surestimes.
6 commentaires
Merle Hewitt
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Il y a un jour
Natia Kowalski
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Il y a 5 jours
Angel Guyot
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Il y a 13 jours