Fyctia

— C’est toujours mieux que dans le sens inverse, lui fais-je remarquer.

Et je sais de quoi je parle. J’ai eu le malheur, une fois, de la sous-estimer. Quinn me l’a fait payer cher. Très cher. Au sens propre du terme. J’ai dû lui offrir un somptueux week-end pour obtenir son pardon. Et même si c’était plutôt sympa, je n’ai pas les moyens de recommencer.

— Tu pourrais, au moins, regarder dans tes dossiers, non ?

— Peut-être, oui, mais tu te rends compte que tu ne m’as toujours pas expliqué pourquoi tu mets ton nez dans une affaire censée être classée alors que tu n’es même plus flic.

Je sors de ma poche les copies des lettres reçues et les fais glisser jusqu’à elle. Elle les observe un instant, sourcils froncés, avant de les déplier et d’en lire rapidement le contenu. Au fur et à mesure que les lignes impriment son esprit, l’expression de son visage se modifie jusqu’à refléter un mélange de surprise et de peur.

— Tu es en train d’essayer de me faire comprendre ce que je crois.

— Tout dépend ce que tu crois.

— The Santa Claus Killer est de retour ?

— Il n’y a rien d’officiel, et pour le moment, la police enquête sur la possibilité d’un copycat, mais…

Je laisse le reste de la phrase en suspens, alors qu’elle commence à taper sur son clavier à la vitesse de l’éclair, son stylo surmonté d’un plumeau rose entre les doigts.

— C’est bien Allison avec deux « l » ?

— Oui.

— Je ne trouve aucune trace de ta victime dans les dossiers, m’explique-t-elle dans un soupir. Tu as une idée de son âge à son arrivée en foyer ?

— Non, aucune.

Oliver Stanfort a été arrêté avant même qu’on ait eu le temps de fouiller à fond le passé d’Allison Walters.

— Ce qui est sûre c’est qu’elle avait 27 ans au moment de sa mort, lui révélé-je, espérant que ça l’aide.

Elle se laisse tomber en arrière dans son fauteuil et me fait de nouveau face.

— Dans ce cas, son dossier, s’il n’a pas été détruit, doit se trouver aux archives. On a tout informatisé il y a un peu moins de dix ans, et ce sont seulement les nouvelles entrées qui ont été enregistrées dans le logiciel.

Et merde ! Encore une perte de temps.

— Et tu n’as pas fini de le perdre, ajoute-t-elle, me faisant comprendre que mes pensées ne sont pas seulement restées dans ma tête. Il va te falloir une demande officielle pour pouvoir le consulter.

— Ce qui veut dire que le temps de l’obtenir, le tueur aura frappé à nouveau.

— Surtout que tu n’es plus flic, et que, d’après ce que tu m’as dit, tu agis dans l’ombre.

— C’est un peu ça, me contenté-je de dire.

Inutile de rentrer dans les détails, elle en sait déjà trop. Jasper est au courant de ma visite à Quinn, mais pas Willa. En tout cas, elle n’est pas au courant de l’absence de mon ex-coéquipier. Il faut dire qu’il n’est pas réellement en bon termes avec Quinn et que venir avec lui aurait déclencher une guerre inutile. Surtout quand on a besoin d’un service.

— Les foyers d’accueils ont leurs propres dossiers. Qui sait ? En jouant de ton sourire, tu auras peut-être la possibilité de les consulter.

*****

En sortant de l’immeuble qui abrite le bureau de Quinn, je remonte North 8th Street avant de bifurquer sur Chestnut Street jusqu’au Kaldi’s Coffee, les mains dans les poches.

La température a encore diminué de quelques degrés, plongeant Saint Louis dans une des journées les plus froides jamais connues. La barre des zéros était largement dépassée en négatif au réveil et ne doit pas avoir beaucoup évolué malgré le manque de nuages qui laisse passer les rayons du soleil.

Ce qui fait que l’endroit est presque vide. Les tables extérieures ont été remisées dans un coin à la fin de l’automne. Personne n’aurait de toute manière pris le risque de s’installer sur l’une d’entre elles par ce temps. Par les larges baies vitrées qui font le tour du restaurant, j’aperçois quelques clients venus se réchauffer entre deux rendez-vous professionnels autour d’une tasse fumante.

Rien n’a changé depuis ma dernière visite qui date de presque un an. Je n’y suis jamais revenu depuis…

Je secoue la tête, tentant de repousser le souvenir d’une soirée particulière. Une soirée qui aurait pu se transformer en des dizaines d’autres, mais qui est resté unique.

Au moment où je détourne le regard, une silhouette à travers la vitre accroche mon attention, ce qui me fige sur place.

Noah.