Fyctia
Chapitre 2 Partie 3
— Stop ! Aux dernières nouvelles, le tueur d’Allison Walters est en prison. Et il n’y a pas d’affaire. Cette lettre est peut-être simplement une blague.
— Ou peut-être pas, fini-je par intervenir, pour soutenir Jasper.
Même si je lui en veux encore de m’avoir mis dans cette situation.
— Même si mon nom a été cité dans les journaux à quelques reprises, c’était Yax, l’image de notre service. Or, ce n’est pas à lui qu’était adressée la lettre, ce qui signifie que la personne derrière celle-ci s’est renseignée, qu’elle a découvert que j’étais chargé de l’enquête et que j’étais l’interlocuteur privilégié du meurtrier d’Allison Walters. C’est beaucoup d’effort pour une simple blague.
— ça ne signifie pas qu’Oliver Stanfort est innocent, Keegan.
— C’est vrai, et même si je n’ai jamais cru en sa culpabilité, je ne suis pas là pour le défendre, Willa. Je…
Deux petits coups frappés à la porte m’empêchent de continuer. Mon ancien mentor lance un « Entrez » fort et sec, qui colle à son nouveau poste. Elle a toujours été avare en rire et en sourire, cependant, elle a toujours su en faire usage au moment adéquat. Elle n’a jamais été aussi dure dans ses paroles, dans le ton de sa voix, dans sa posture. J’imagine qu’elle n’a pas la vie facile depuis qu’elle a accepté de remplacer Yax à la tête de l’équipe.
— Excusez-moi de vous déranger, commence Paola en entrant dans la pièce, les bras encombrés.
— Qu’est-ce que c’est ? lui demande Willa en désignant le carton qu’elle porte.
— Un livreur vient de le déposer, dit-elle en le posant sur le bureau. C’est adressé à Keegan.
Tout le monde me fixe, en comprenant l’implication de cette phrase. Paola est la nouvelle coéquipière de Jasper, et avec cette histoire de pari, il est évident qu’elle est au courant de la lettre. Même si elle n’était pas aux premières loges lors de l’enquête de l’année passée, elle a suivi l’affaire. Comme tout le monde ici. Elle, comme Jasper, Willa et moi-même, n’avons pas besoin d’être devin. C’est un nouveau cadeau.
J’esquisse un mouvement pour me lever, mais Willa tend la main devant elle comme pour me dire de ne pas bouger.
— Tu n’es plus flic, Keegan, me rappelle-t-elle, en attrapant une paire de gants et un sachet dans le tiroir du bureau.
Equipée pour éviter de laisser ses empreintes, elle attrape le bord du ruban adhésif marron, tire dessus et le retire entièrement avant de le glisser dans le sachet. Même si je sais déjà qu’on ne trouvera aucune trace, elle a raison de tenter le coup.
Avec délicatesse, elle entrouvre le carton et jette un regard à l’intérieur, puis fini par en sortir un père noël, comme ceux que l’on trouve sous les sapins ou dans les vitrines de magasins.
Jasper quitte son siège, ne le touche pas, mais l’observe de plus près alors que Willa le fait tourner entre ses mains.
— Tu vois quelque chose, chef ?
L’esprit occupée, elle ne relève pas l’utilisation du surnom qu’elle déteste et se contente de répondre un « non ».
Je me redresse et me penche pour attraper une paire de gants, les enfile et, sans lui demander son avis, arrache l’objet de ses mains.
— Keegan ! me lance-t-elle, légèrement en colère. Tu n’as pas le droit d’y toucher.
— C’est un colis à mon nom, j’ai tous les droits, lui répliqué-je en soulevant le manteau rouge.
Et là, comme prévu, un bouton pressoir me fait de l’œil. Je laisse mon doigt glisser et appuyer dessus. Aussitôt, l’air de la chanson « We wish you a merry christmas » résonne, tandis qu’une voix mécanique, non reconnaissable, entonne des paroles qui n’ont rien à voir avec celle du chant de noël connu par tous.
« I wish you a merry death.
I wish you a merry death.
I wish you a merry death.
And happy new game. »
— Comment as-tu su ? m’interroge Jasper en récupérant le père noël qui continue de se déhancher comme si sa mécanique était rouillée.
— On en a reçu un identique, l’année dernière, lui rappelé-je, en reprenant ma place sur la chaise. Enfin presque identique.
— Comme ça « presque identique » ? se renseigne Paola, ses iris bleus profonds teintés de confusion.
— Les paroles n’avaient pas été modifiées, lui expliqué-je, en repensant à ce jour de décembre où, dans la neige, Yax a trouvé le bonhomme rouge au pied du poste de police.
— Oui, ça me revient, maintenant. On n’a pas pu aller loin, c’était le genre de décoration vendue presque dans tous les magasins, sans compter sur internet, ajoute Jasper.
— On n’apprendra rien avec celui-là non plus, alors, soupire Paola, défaitiste.
— Qui sait ! la contredit Jasper, plus optimiste comme toujours. La chance sera peut-être de notre côté, cette fois-ci.
La chance ! Il y a longtemps que j’ai appris à ne pas compter dessus, mais je dois reconnaître qu’il y a des moments où le boulot ne suffit pas. Comme dans le cas d’Allison Walters. Et que seul un coup pouce du destin, d’une bonne étoile ou de Merlin, nous permet de mettre la main sur les coupables.
— Paola, porte tout ça à Nell pour analyse s’il te plaît, lui ordonne Willa.
— Tout de suite, réplique celle-ci en emportant tout avant de fermer la porte derrière elle.
Jasper se réinstalle sur la chaise alors que Willa reprend sa place initiale de l’autre côté du bureau.
— Je suppose qu’on peut oublier l’idée de la mauvaise blague, constate-t-elle, dépitée. Ce qui nous laisse l’option « imitateur » ou…
Elle ne termine pas sa phrase, mais les mots résonnent tout de même à mon oreille. « Erreur judiciaire ».
— Ecoutez, Yax a obtenu la mutation qu’il voulait quelques mois après la condamnation d’Oliver Stanfort, et ce n’est pas le seul à avoir bénéficier du dénouement de cette affaire. Sans compter que mes supérieurs sont déjà sur mon dos à cause de cette histoire de tir légitime qui implique Lester et que, beaucoup d’entre eux, ont été ravi de ta démission, Keegan.
— Ce n’est pas un secret.
Quand j’ai décidé de quitter la police, il y avait autant de personnes heureuses de me voir partir que de personnes attristées. Le fait d’avoir remis en question publiquement l’arrestation de Stanfort a été le début de la fin, même si certains de mes collègues n’ont pas attendus cette histoire pour montrer leur animosité à mon égard.
— On va devoir y aller par étape, et ne pas remettre en cause les conclusions de l’enquête sans preuve concrète.
— C’est-à dire ? intervient Jasper, conscient qu’il va devoir, cette fois-ci, filer droit.
— Paola et toi, vous serez chargé de l’enquête. Officiellement, vous ne suivrez que la piste d’un « imitateur ». C’est clair ?
— Parfaitement, acquiesce mon ex-coéquipier.
— Quant à toi, Keegan, tu seras un consultant extérieur invisible.
— Invisible ? répété-je, ne comprenant pas où elle veut en venir.
— Interdiction de venir ici, interdiction de téléphoner ici, me prévient-elle, sérieusement. Ils n’accepteront pas de te donner libre accès à l’enquête, alors on va devoir se passer de leur bénédiction.
3 commentaires
Natia Kowalski
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Il y a 6 jours
Angel Guyot
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Il y a 14 jours
mima77
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Il y a 14 jours