Fyctia
Chapitre 2 partie 2
L’effervescence des bureaux de la police de Saint Louis a quelque chose de familier, de rassurant, même après tous ces mois passés à l’écart de ce lieu. Et en même temps, les sonneries des téléphones qui se mêlent, les ronronnements des ordinateurs en marche, le bruit des doigts sur les claviers me font grimacer.
— Keegan ?
Je tourne la tête en direction de Willa qui sort de l’ascenseur, étonnée. Jusque-là, personne n’avait réellement remarqué ma présence, ayant décidé de rester quelques minutes dans le couloir avant de faire mon entrée dans la pièce qui a été ma maison pendant des années. Cependant, sous l’intervention de mon ancien mentor, plusieurs visages se lèvent dans ma direction, surpris de me voir de retour. J’avais pourtant juré ne jamais remettre les pieds ici.
— Content de te revoir, Willa, la salué-je, remettant en place le carton sous mon bras qui a légèrement glissé.
— Qu’est-ce…
Elle n’a pas le temps de finir sa phrase que mon ancien coéquipier s’échappe de la petite cuisine, un gobelet de café fumant en main et balance un :
— Déjà là ? Merde, tu m’as fait perdre 10 dollars, mon pote.
— Par ici la monnaie, réclame Paola, amusée, en apparaissant dans son dos, la main tendue.
Jasper fouille dans sa poche et en sort un billet froissé qu’il plaque dans la paume de la jeune femme, au moment où elle passe à ses côtés, un sourire victorieux aux lèvres.
— Sexy, ta nouvelle coupe, me lance-t-elle avec un clin d’œil, avant de rejoindre son bureau, près d’une fenêtre à quelques mètres de mon ancien poste de travail.
Sans y réfléchir, mes doigts se perdent dans mes cheveux dont la longueur atteint maintenant mes épaules, comme lorsque j’étais adolescent. Une sorte de retour aux sources.
— Quelqu’un m’explique ? demande Willa, le front plissé, les bras croisés sur sa poitrine.
— J’avais parié avec Paola qu’il mettrait plus de temps à se décider, se contente de dire Jasper, en haussant les épaules.
— Je m’en fiche de ton pari stupide, réplique-t-elle avec un soupir. Je parle de la présence de Keegan.
— On pourrait peut-être aller dans ton bureau, chef, propose Jasper, en lui tendant un gobelet, comme pour l’amadouer. C’est à propos de la lettre reçue hier, ajoute-t-il, à voix basse juste pour qu’on soit les seuls à entendre.
Chef ? Depuis quand Jasper utilise ce mot pour désigner quelqu’un d’autre que Yax. En pensant à lui, c’est étrange d’ailleurs de ne pas l’avoir encore aperçu.
— Ok, suivez-moi, nous ordonne-t-elle, avant de longer le couloir qui donne sur les salles de réunions en faisant claquer ses talons sur le sol.
Une autre nouveauté. En marchant dans son dos, je ne peux m’empêcher de détailler sa tenue. Elle qui ne jurait que par des jeans et des bottines plates jusqu’à mon départ a totalement changé de look. Je commence à comprendre, et mes doutes se confirment au moment où Willa nous fait entrer dans l’ancien bureau privé de Yax.
— Les félicitations sont de rigueur à ce que je vois, la taquiné-je en jetant un coup d’œil sur les murs dépourvus de décorations, de diplômes, de cadre photo.
— Tais-toi, Keegan, grogne-t-elle, en me lançant un regard noir. Et toi, cesse de m’appeler chef, je te l’ai déjà dit, aboie-t-elle en pointant Jasper du doigt.
— Oui, chef. A vos ordres, chef, ricane-t-il, les yeux rieurs.
Willa lâche un long soupir, comme si elle était déjà épuisée par cette journée alors qu’elle ne fait que commencer.
— Ce n’est que temporaire, affirme-t-elle en tirant sur le col de son chemisier avec une grimace. Et crois-moi, ça n’a pas intérêt à durer trop longtemps, ajoute-t-elle à mon intention. Il n’est pas question de remplacer Yax éternellement.
Elle se laisse tomber sur la chaise et nous fixe alors que, Jasper et moi, on ne bouge pas d’un millimètre.
— Alors quoi ? Vous attendez une invitation par écrit ? Ou le déluge peut-être ? Posez vos fesses et parlez !
Jasper est le premier à s’exécuter. Même s’il a l’habitude de prendre les choses avec légèreté, il sait parfaitement se stopper à temps. Et là, la patience de Willa a atteint sa limite. Je n’ose pas lui demander ce qui a pu la rendre aussi irritable de bon matin. Comme mon ex-coéquipier, je la connais sur le bout des doigts. Je me contente de prendre place avec quelques secondes de retard sur Jasper et de poser le carton sur le sol.
— Je suis allé voir Keegan, hier, commence Jasper, sans plus aucune trace de plaisanterie dans la voix.
— Laisse-moi deviner, l’interrompt-elle alors qu’il referme la bouche sur la suite de sa phrase. Tu lui as parlé de la lettre, passant outre mon ordre de ne rien lui dire.
Comment ça ? Je me tourne vers Jasper, front plissé, cherchant à comprendre. Le souvenir de notre conversation est encore vivace dans mon esprit et je me la repasse sans problème. Et soudain… Je n’y crois pas. Je me suis fait avoir comme un débutant. Quand il a dit qu’elle lui avait donné la lettre, j’en ai déduit qu’elle l’avait fait pour qu’il me prévienne. Sauf qu’il ne l’a jamais laisser entendre.
— Parce que tu me l’as envoyé pour ça, même si tu soutiens le contraire, riposte Jasper.
— Je te l’ai envoyé parce que certains ne savent pas tenir leur langue et que tu m’as supplié au téléphone quand on t’a prévenu, le contredit-elle, agacée.
— Mais, tu n’étais pas obligée, et surtout, tu me connais, tu savais que je préviendrais Keegan, réplique-t-il, un sourire vainqueur sur les lèvres.
Willa n’ajoute rien. Son silence veut tout dire. Elle admet, de cette manière, que Jasper a raison, même si elle refuse de le reconnaître à voix haute.
— Et donc ? Tout ça n’explique pas pourquoi Keegan est venu se perdre dans nos couloirs, enchaîne-t-elle, sèchement.
— Je lui ai plus ou moins fait comprendre qu’on avait besoin de lui sur l’affaire.
Cette fois-ci, le choc se lit sur le visage de mon ancien mentor. Elle ne l’avait pas vu venir sur ce coup-là.
— Tu as vraiment décidé de me pourrir la vie, grommèle-t-elle, en se prenant la tête dans les mains.
— Le tueur d’Allison Walters semble prêt à frapper à nouveau, se justifie Jasper. Keegan connaît les détails de l’enquête sur le bout des doigts, et, en plus, la lettre lui est spécifiquement adressée. Le tueur n’a commis aucune erreur l’année dernière, mais cette fois-ci, son esprit joueur pourrait lui être fatal.
6 commentaires
Natia Kowalski
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Il y a 6 jours
Leroux Ophélie
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Il y a 5 jours
Natia Kowalski
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Il y a 5 jours