Fyctia

Keegan

Mardi 2 décembre

L’aube n’est pas encore levée, ce qui n’est pas mon cas. Le sommeil a décidé de me fuir après le deuxième cauchemar, ou plutôt, le marchand de sable voulait passer, mais je l’en ai empêché. Je n’avais vraiment pas envie de replonger dans le monde des rêves et d'y retrouver celle que je n’ai pas réussi à sauver.

Ce n’était pourtant pas la première. Durant ma carrière, j’ai enquêté sur des dizaines de meurtres, sans jamais les laisser avoir un impact sur ma vie personnelle et ma santé mentale. Alors pourquoi Allison Walters est-elle différente ? J’ai retourné cette question dans ma tête encore et encore jusqu’à en conclure qu’elle ne l’était pas. Elle était une victime comme toutes les autres. C’est la chasse qui s’est instaurée entre le meurtrier et nous, qui a fait de cette affaire quelque chose d’exceptionnel. Les indices qu’il nous faisait parvenir comme des petits cadeaux faisant partie d’un calendrier de l’Avent macabre. Petit à petit, il nous a embarqués dans son petit jeu, nous faisant miroiter la possibilité de l’attraper avant qu’il ne soit trop tard.

Et nous sommes arrivés trop tard. Je suis arrivé trop tard.

Putain !

Jasper a juste eu à balancer quelques mots pour que tous mes murs s’effondrent, pour que le fantôme d’Allison Walters revienne déambuler dans mon esprit.

Appuyé contre le mur près de la fenêtre du salon, je laisse mon regard dérivé parmi les ombres de la nuit, mes pensées tournées vers Oliver Stanfort. Quelques jours après le jour de l’an, les résultats d’ADN concernant un cheveu retrouvé sur le corps sont tombés, nous offrant le nom d’un suspect, un homme avec un casier judiciaire long comme mon bras, mais surtout connu pour des agressions. La perquisition à son domicile a fourni assez de preuves pour l’envoyer derrière les barreaux. Pourtant, j’ai toujours eu le sentiment que quelque chose ne collait pas. Jusque-là, il n’avait laissé aucune empreinte, aucune trace ADN. Pendant vingt-quatre jours, nous avons entassé uniquement les éléments qu’il a bien voulu nous révéler. Tout était calculé, parfaitement maîtrisé.

Alors, comment expliquer cette faute aussi grossière ? Comment expliquer qu’il ne se soit pas débarrassé de l’arme du crime, des vêtements de la victime tâchés de sang ?

Yax n’a jamais compris mes doutes, n’a jamais accepté de remettre en doute les évidences. Mon instinct ne valait rien contre les pièces du dossier. Il avait raison, même si je n’ai pas aimé sa manière de faire. Tout ce qu’il souhaitait, c’était pouvoir annoncer une arrestation sans perdre de temps.

Putain !

La visite de mon ex-coéquipier a foutu une sacrée merde dans ma tête. Et pas seulement. Je délaisse la vue et me tourne vers le canapé où mes notes côtoient des photocopies et la photo d’Allison Walters. Après le départ de Jasper, j’ai trouvé la lettre abandonnée sur le comptoir de la cuisine, certainement posée là durant les quelques minutes où je l’ai devancé dans l’entrée au moment de son départ. Je suis arrivé à l’ignorer pendant plusieurs heures, reprenant ma tâche interrompue dans la salle de bain. Avec difficulté, certes, mais j’y suis parvenu. Seulement, après mon deuxième réveil en sueur, je n’ai plus réussi à faire semblant.

Je quitte mon poste d’observation et reviens me laisser tomber dans un des fauteuils, mon corps assaillit par une froideur inhabituelle. Malgré le feu qui crépite dans la cheminée, impossible de me réchauffer.

Et merde !

Cette histoire aura ma peau.