Fyctia

— Le chauffage de ma voiture ne fonctionne plus, lâche-t-il entre deux soupirs de bien-être.

Je secoue la tête, dépité. Ce n’est pourtant pas la première fois que ça lui arrive. Son « bébé » est une poubelle roulante qu’il tente de garder en vie à coup de réparations superficielles, malgré les protestations de sa femme.

– Retire au moins ton manteau, lui ordonné-je, amusé de retrouver cette sensation familière instaurée par sa présence.

C’est ce moment que choisi une boule de poil blanche pour venir se mettre au chaud.

– Depuis quand tu as un chien, toi ?

– Ce n’est pas mon chien. C’est juste un squatteur régulier.

– Un squatteur régulier auquel tu as acheté une gamelle et un coussin, réplique-t-il, amusé, en désignant le coin de la pièce. C’est qu’il y a un petit cœur d’artichaud là-dedans, enchaîne-t-il en tapotant ma poitrine.

Je repousse son doigt alors qu’il éclate de rire et file dans la cuisine, étrangement silencieuse. La cafetière a fini sa mission et ne remplit plus la pièce de son bruit de tracteur. Après avoir attrapé deux tasses en train de sécher dans l’égouttoir, je les remplis de café brûlant et retourne auprès de mon ami qui s’est installé dans le canapé. Il m’a obéi et s’est aussi débarrassé de son écharpe et de son bonnet, dévoilant un pull très original, et surtout très ringard, même pour lui.

— Rudolphe ? Vraiment ? éclaté-je de rire en déposant les tasses sur la table basse, qui est en réalité une pile de vieilles palettes.

Jasper baisse le regard quelques secondes sur son pull en laine gris où un renne a été cousu en gros plan avec un nez rouge et un bonnet de noël, au-dessus d’un Merry Christmas.

— Sois pas jaloux, je dirai à Susan de t’offrir le même.

Mon sourire se transforme aussitôt en grimace. Je le connais assez pour savoir qu’il va le faire, et que sa femme n’hésitera pas une seconde à me forcer à porter son cadeau, surtout si Jasper lui raconte la scène. Et je ne pourrai pas lui refuser, elle a le don de me faire accepter n’importe quoi. Comme la fois où elle a réussi à me faire porter une robe et une perruque pour une soirée déguisée.

– D’ailleurs, en parlant d’elle, elle m’a chargé de te transmettre un message, enchaîne-t-il, au moment où je me laisse tomber à ses côtés.

– Le téléphone, ça existe, lui rappelé-je, tout en soufflant sur le liquide noir. Et c’est valable pour toi aussi. Ce n’est pas dans tes habitudes de débarquer à l’improviste.

– La dernière fois qu’elle t’a envoyé un message, tu as mis 3 jours à lui répondre, tout en promettant de passer la voir bientôt. C’était début novembre, et elle attend toujours. Crois-moi, si elle n’était pas aussi occupée avec les jumeaux, elle serait déjà venue pour te donner un bon coup de pied au cul.

– Ok, je plaide coupable, abdiqué-je, sachant qu’une visite de Jasper est un cadeau par rapport à la venue de Susan. C’est quoi son message ?

Je lâche un « Outch » en sentant d’un seul coup le lobe de mon oreille être pris en tenaille entre deux doigts qui tirent dessus.

– Je cite « Tu diras à Keegan qu’il a intérêt à venir pour ma soirée d’anniversaire de son plein gré, s’il ne veut pas que je vienne le chercher par la peau des couilles ».

Jasper me relâche et attrape sa tasse, tout sourire, avant de boire une gorgée.

– Ce n’était pas la peine de te déplacer pour ça, répliqué-je en me massant le lobe de l’oreille. Je l’ai noté sur mon agenda surchargé.

– Entre « réparer les toilettes » et « acheter une nouvelle cafetière », riposte-t-il, en riant.

Juste avant de tirer une grimace après avoir avaler une nouvelle gorgée et de reposer la tasse le plus loin possible de lui.

– A ce stade, c’est même une urgence. Ce n’est pas du café, c’est de la flotte couleur marron. C’est dégueulasse.

– Parle pour toi ! Je le trouve parfait, moi, ajouté-je en portant ma tasse à mes lèvres, avant de recracher le liquide.

– Parfait, mon œil, ouais ! se moque-t-il pendant que j’attrape un vieux torchon qui traîne pour essuyer mon menton.

– Bon sang, il est même pire que celui du poste. Ce qui devrait être impossible pourtant.

Je me lève, récupère les tasses pour aller vider le contenu dans l’évier et sors une bouteille de Scotch avec deux verres. Je les rempli à moitié avant d’en pousser un en direction de Jasper qui m’a suivi pour prendre place sur un tabouret autour du bar posé au milieu de la cuisine.

– A la tienne, clamé-je à son intention.

– A la tienne, répète Jasper en faisant tinter son verre contre le mien.

Sans attendre, j’efface le goût désagréable qui persiste dans ma bouche à l’aide de l’alcool. Mon ex-coéquipier, lui, se contente de fixer le liquide en silence, continuant de jouer à l’autruche. Je ne suis pas dupe. Il n’a pas décidé en se levant ce matin de faire la route jusqu’à Edmundson même si ce n’est qu’à environ 20 min, pour me rendre une visite de courtoisie. Il a mieux à faire de ses jours de repos, surtout avec l’anniversaire de Susan et Noël qui arrivent à grand pas.

– Tu vas te décider à parler ? Tu n’es pas venu juste pour mon mauvais café, alors, qu’est-ce qui se passe ?

– Quoi ? Je n’ai pas le droit de venir dire « bonjour » à un vieil ami, proteste-t-il d’un air offusqué.

Je le fixe, sourcils froncés, étonné. Et si je me trompais ? Et s’il était vraiment juste venu pour qu’on passe un peu de temps ensemble ? Mon ancien instinct de flic est toujours là et, malgré les dires de mon ancien supérieur, j’ai appris à m’y fier. Et, clairement, il me souffle qu’il y a anguille sous roche.

– Non, le contredis-je, persuadé d’avoir raison. Je te l’ai dit, ce n’est pas ton genre de débarquer à l’improviste.

Jasper me dévisage quelques secondes avant de changer complétement d’expression.

– J’avoue tout, ta belle gueule et tes petits mots me manquaient mon chou, minaude-t-il en me lançant un sourire charmeur et un clin d’œil.

– Jasper, soupiré-je, las de ses bêtises.