Fyctia
Chapitre 1
Keegan
1 an plus tard
Lundi 1er décembre
Je lève la hache et l’abats avec force, fendant une nouvelle bûche en plusieurs morceaux, sous le regard à moitié endormi de Chien. Malgré la douleur qui commence à s’installer dans mes muscles, je répète cet exercice encore pendant une bonne demi-heure avant de décider de changer d’activité. Ce sera suffisant pour les prochains jours. Inutile de s’encombrer plus que nécessaire.
Je plante la lame dans la souche qui me sert de support et essuie mon front trempé de sueur avec le bas de mon tee-shirt. Même si la température avoisine le zéro, je suis loin d’avoir froid, mais ça viendra si je reste là à ne rien faire.
J’attrape le bois qui traîne sur le sol, abandonnant mon pull sur l’herbe et traverse le jardin en direction de la porte arrière dans un silence apaisant. Chien ne me suit pas et je ne tente même pas de le faire venir. Il ne m’obéit jamais de toute façon.
Après avoir vécu une grande partie de ma vie entourée par les bruits du centre-ville, il m’a fallu plusieurs mois pour m’habituer à la tranquillité, à entendre le vent dans les arbres, le piaillement des oiseaux, les craquements de la vieille maison. Et maintenant c’est l’inverse qui me perturbe. Quand il m’arrive de remettre un pied à Saint-Louis, le bruit des klaxons, des chantiers, de la vie avec ses habitants qui fourmillent, me perce les tympans. Et je m’arrange toujours pour éviter certains endroits. Ceux qui me rappellent de mauvais souvenirs. Ceux qui me rappellent de bons souvenirs. Cette maison sur Bell Avenue qui me hante et me donne la nausée. Ce café au coin d’une rue, avec ce serveur qui me déstabilise et me trouble.
C’est pour ça que j’y retourne rarement, préférant m’approvisionner à Fergusson.
Je lâche le bois dans la caisse en fer prévue à cet effet, installée près de la cheminée du salon. La seule en état de fonctionnement. Chaque chambre en avait une à l’origine, mais elles ont été condamnées depuis longtemps au profit de radiateurs qui, aujourd’hui, sont encore inscrits sur la liste des nombreuses réparations à faire.
Quand je me suis installé, cet endroit tombait en ruine, résidence secondaire d’une lointaine tante qui n’y séjournait plus depuis des lustres. Elle n’avait plus les moyens de la faire entretenir, n’avait plus la capacité de parcourir les milliers de kilomètres entre son appartement au bord de la mer et cette maison, et n’avait jamais songé à la vendre.
Je ne crois pas au destin, à Dieu. Je n’y ai jamais cru. Et, en tant qu’ancien flic, j’ai vu trop de choses dans ma vie pour me remettre en question et m’engager sur le chemin de la foi. Je n’ai jamais considéré cet héritage comme un signe. C’était juste un heureux hasard.
Jasper m’a pris pour un fou de venir me perdre ici, a tout fait pour m’en dissuader, et a fini par lâcher l’affaire.
Débarrassé de mon fardeau, je retourne dans la cuisine et mets en route la cafetière, tout en me frottant les mains. La machine crache son liquide noir dans un bourdonnement du diable. Je croise les doigts pour qu’elle ne rende pas l’âme aujourd’hui. Je n’ai clairement pas envie d’aller me noyer dans la circulation alors que le ciel s’assombrit et que l’air porte la froideur de l’hiver, signe que la neige est sur le point de tomber.
Je jette un coup d’œil à mon téléphone et remarque que personne n’a essayé de me joindre. Le dernier appel date de quatre jours et, en plus, ce n’était qu’un démarcheur qui n’a même pas eu le temps de placer autre chose qu’un « Bonjour monsieur ».
Ce n’est pas étonnant. Plongé dans le travail, je n’ai jamais pris le temps d’avoir une vie sociale, préférant le calme de mon appartement lors de mes jours de repos à la tournée des bars. Seuls mes coéquipiers faisaient partie de ma vie. En plaquant tout, je leur ai aussi dit « au revoir ». Seul Jasper continue de prendre de mes nouvelles régulièrement.
Caisse à outils en main, je monte les marches jusqu’au premier étage où la salle de bain commune aux deux chambres est en chantier et loin d’être prête à l’emploi. En emménageant, j’ai consacré mes efforts à rénover le rez-de-chaussée et la chambre de plein pied pour pouvoir vivre correctement.
L’argent n’est pas le problème, même si l’héritage s’amenuise jour après jour. Le temps, c’est autre chose. J’aurais pu engager des professionnels pour tout refaire, et pas simplement les travaux trop complexes, mais j’aime le travail manuel et le repos que ça apporte à mon esprit tourmenté.
Le nouveau meuble est déjà en place, la vasque posée dessus. Les découpes nécessaires ont été faites la veille, il ne reste plus qu’à faire les raccordements pour l’eau. Occupé à faire le nécessaire, il me faut un moment pour assimiler un nouveau bruit, celui des pneus d’une voiture qui roule sur des cailloux. Étrange. La propriété est isolée, sans voisin direct, et surtout son entrée est au fond d’une allée. Pour venir jusqu’ici, il faut en avoir envie.
Sourcils froncés, je jette un coup d’œil par la fenêtre donnant directement sur l’avant de la maison. Une jeep noire connue se gare devant le portail. Qu’est-ce qu’il vient faire ici ?
Je décroche le trousseau de clés pendu au passant de mon jean et déclenche l’ouverture à distance avant de descendre à la rencontre de mon invité. Ou plutôt, de celui qui s’est invité.
Appuyé dans l’embrasure de la porte d’entrée principale, bras croisés sur le torse, j’observe Jasper abandonner sa voiture à côté de la mienne.
— Tu t’es perdu, lui lancé-je en signe de salutation.
Mon ancien coéquipier remonte d’un pas rapide jusqu’à la maison avant de m’offrir une accolade chaleureuse, que je lui rends avec plaisir.
— Content de te voir, mon pote, se réjouit-il, après m’avoir relâché.
Puis, sans perdre de temps, il entre à l’intérieur et traverse directement le salon.
— Un feu de cheminé, parfait ! C’est exactement ce qu’il me fallait, ajoute-t-il, extatique.
Je claque la porte avec le sourire. Jasper ne changera jamais, toujours à distiller sa bonne humeur autour de lui sans forcément s’en rendre compte.
On est tellement différent l’un et l’autre. Tout était réuni pour que notre duo ne fonctionne pas sur le long terme, et pourtant, à la surprise de tous, ça a été le cas.
Malgré notre travail, Jasper a su garder une âme d’enfant, une facilité à voir les choses de manière plus colorés, alors que, de mon côté, ce n’était que des nuances de noirs et de gris. Il m’a empêché de me faire bouffer par le boulot pendant des années.
Il a repoussé l’inévitable autant qu’il a pu, mais personne n’aurait pu l’empêcher indéfiniment. Même pas lui.
— Tu me donnes froid avec seulement ton tee-shirt, frissonne-t-il, les mains nues près des flammes.
— Et toi, chaud, répliqué-je, en l’observant toujours emmitouflé comme pour une excursion dans les montagnes enneigées. Sérieusement, Jasper, tu es resté deux secondes et demie dehors, tu ne peux pas être si frigorifié que ça ?
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PICOT
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Justine_De_Beaussier
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Farahon
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Leroux Ophélie
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Oƈéαɳҽ C.
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Angel Guyot
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Lély Morgan
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