Fyctia
Prologue
Keegan
Jasper freine brutalement au niveau de la maison à étage sur Bell Avenue qui, depuis la nuit dernière, est devenue le lieu d’un meurtre. Ou plutôt le lieu d’un nouveau meurtre. Cet endroit n’en est pas à son coup d’essai. Bien au contraire, il est déjà négativement connu et ce depuis de nombreuses années.
Je saute de la voiture sans prendre la peine d’attendre mon coéquipier et traverse la rue à grandes enjambés. Les lieux grouillent déjà d’agents occupés à sécuriser l'endroit ou à prélever des indices scientifiques sous les regards des badauds intrigués de voir un tel spectacle un matin de noël. La plupart des voisins sont encore en pyjama, les yeux embués de fatigue, tombés du lit après une soirée de réveillon qui s’est terminée il y a quelques heures à peine. Certains n’ont probablement même pas encore ouvert leurs cadeaux par exemple. Et au lieu de profiter d’un feu de cheminé et d’un lait de poule un peu corsé, ils sont là à observer l’œuvre de la Mort, comme si c’était un tableau.
Cette histoire va alimenter les conversations au-delà des joyeusetés.
— Je vais voir Knoxx et Everdreen, me lance Jasper avant de se diriger vers deux personnes en uniforme postés plus loin.
Je le laisse faire, même s’ils ne nous apprendront, certainement, rien de plus de ce qu’on sait déjà.
Interroger ceux qui sont arrivés en premier sur les lieux est une routine à laquelle n ne peut pas couper.
Et qui sait ?
Il y aura peut-être un miracle !
Après tout, n’est-ce-pas la définition même de cette journée ?
Tu parles ! maugrée-je mentalement en secouant la tête. Il n’y a pas eu de miracle pour la victime.
Je soulève la bande jaune qui délimite la scène de crime et avance vers les trois marches en pierre qui mènent à la bâtisse, tout en saluant chaque personne croisée d’un signe de la tête. La maison est connue pour être abandonnée depuis des années à la suite d’une sombre histoire de vengeance familiale.
Sandy Macklaff a été accusée d’avoir tué son père et sa belle-mère, un matin de Noël, ce qui lui a valu d’être comparée à Lizzie Borden. Et ce, même si elle n’a pas utilisé une hache, qu’elle purge actuellement une longue peine de prison, ce qui ne fût pas le cas de la célèbre tueuse.
Sandy a laissé une survivante derrière elle, comme Lizzie à l’époque, dont le prénom n’est pas s’en rappeler celui-ci de la meurtrière de Fall River d’ailleurs. Il n’en fallait pas plus pour que des petits malins s’amusent.
Il n’est pas rare d’entendre encore la comptine remaniée dans les cours d'école de Saint Louis.
Sandy Macklaff took a knife
And gave her stepmother forty whacks.
And when she saw what she had done
She gave her father forty-one.
Ce fait divers est de notoriété public et connu par tous les habitants de la ville. Ce qui fait de cet endroit le parfait nid douillet pour les adolescents en recherche de tranquillité pour se bécoter, boire quelques bières ou encore pour tenter d’invoquer le diable. Comme si celui-ci n’était déjà pas parmi nous.
J’imagine que Knoxx et Everdreen ont pensé à une blague de mauvais goût en entendant la demande d’intervention à la radio.
En tout cas, ils devaient être loin d’imaginer que celle-ci se terminerais par la découverte d’un cadavre.
Ils ne pensaient certainement pas plonger la tête la première dans une enquête qui a commencé des semaines plus tôt.
L’extérieur de la demeure fait tâche au milieu des autres maisons qui bordent la rue. Les planches de bois clouées aux fenêtres remplacent les guirlandes lumineuses, les arbres morts dans le jardin supplantent Père Noël, lutins joyeux et autres représentants de la fête. Seul l’herbe encore recouverte de neige donne une note ordinaire.
— Qu’est-ce que tu fais encore planter là ? s’étonne Jasper, en me rejoignant, carnet et stylo en main. Tu attends de geler sur place ?
— Il ne fait pas si froid, répliqué-je, comme à chaque fois que mon coéquipier fait référence aux températures hivernales.
— Tu parles ! Chaque hiver est pire que le précédent. J’ai l’impression de plonger la tête la première dans un congélateur.
Ce n’est pourtant pas faute d’être couvert de la tête aux pieds, pratiquement emmitouflé comme pour un séjour au ski. C’est le seul flic que je connaisse qui se promène avec un bonnet enfoncé jusqu’aux oreilles, une écharpe tellement serrée qu’elle ressemble à un serpent prêt à l’étouffer et des bottes fourrées cachées par l’ourlet de son jean.
— Encore sept jours, soupire-t-il en soufflant sur ses doigts dénués de gants.
Selon lui, ce n’est pas pratique pour conduire et écrire, alors il s’en passe, à contrecœur.
— Et je pourrai me débarrasser de tout cet attirail avec joie pendant presque un mois.
— Ce n’est pas en retournant tous les ans à Los Angeles pour éviter de passer l’hiver entier ici que tu vas t’habituer, lui fais-je remarquer, encore une fois.
— Que veux-tu, je suis comme une belle plante ! minaude-t-il, en appuyant ses propos par un clin d’œil. J’ai besoin de soleil toute l’année.
Je bouge la tête de gauche à droite, dépité par son comportement, même si depuis quatre ans qu’on travaille ensemble, j’ai fini par m’y habituer.
— Bon, trêve de bavardage, poursuit-il, recouvrant une attitude professionnelle. Sérieusement, Keegan, qu’est-ce que tu attends pour entrer ?
Mes yeux se fixent sur la porte ouverte qui a été dégagée de ses planches à coup de pieds-de-biche.
— Je retarde l’échéance, me contenté-je de lui répondre, sans dévier le regard.
Jasper a commencé un compte à rebours dans sa tête, cochant mentalement les jours qui le rapprochent de son départ. Celui que je tiens depuis le début du mois s’est achevé cette nuit. Une course contre la montre que j’ai perdue. Ou plutôt, que la jeune femme qui se trouve à l’intérieur a perdue. C’est elle, la véritable victime. Elle et les autres personnes qui n’ont rien demandé et qui se sont retrouvés mêler à la folie meurtrière d’un détraqué.
Je repousse le moment d’y aller, car tant que je n’ai pas vu de mes propres yeux la scène, tant que je n’ai pas lu l’inscription « Joyeux noël, détective Willmore », alors il y a une chance que ce soit une erreur, que cette mort n’ait rien à voir avec celui qui nous fait courir depuis des jours, qu’il soit encore temps de lui mettre la main dessus.
— Allons-y, fini-je par me décider après plusieurs minutes.
*****
Sandy Macklaff a pris un couteau
Et elle a donné quarante coups à sa belle-mère.
Et quand elle vit ce qu’elle avait fait
Elle en a donné quarante et un à son père.
La comptine originale fait référence à Lizzie Borden.
Lizzie Borden took an axe and gave her mother forty whacks ; When she saw what she had done, she gave her father forty-one.
Lizzie Borden prit une hache et donna quarante coups à sa mère ; Quand elle vit ce qu’elle avait fait, elle donna à son père quarante et un.
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Stefleina76
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Farahon
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Il y a 5 jours
Leroux Ophélie
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Natia Kowalski
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Leroux Ophélie
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Anna C
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