Fyctia
24.
Le chemin du retour est un enfer. Freja n’arrête pas de ronchonner, et par moment, elle refuse carrément d’avancer. Elle est tout sauf une enfant capricieuse, mais aujourd’hui elle est frustrée, et donc furieuse, car mon comportement n’a aucun sens pour elle.
Je voudrais pouvoir lui expliquer ce que je pense, ce que je ressens, mais comment ? Comment lui dire avec des mots simples qu’elle n’a plus de papa par ma seule faute, et que c’est pour cette raison que je ne m’arrive pas à me laisser aller à mes émotions, particulièrement le sentiment amoureux ou le désir.
Si ma psy m’entendait, elle hurlerait devant cette autoflagellation qu’elle jugerait injustifiée… Je l’entends d’ici :
« Willa ! Ils sont morts, et c’était un accident ! Terrible, tragique, mais un accident quand même. Et vous, vous êtes bien en vie. Vous pensez que culpabiliser en permanence de ne pas être morte avec eux va changer quoi que ce soit ?! » Elle me l’a déjà répété à de très nombreuses reprises.
Je sais tout ça. J’ai entendu tant de personnes s’exprimer au nom des disparus ! Peut-être ont-ils raison. Peut-être pas. En réalité, on ne peut pas faire parler les morts. Les vivants, en revanche, m’ont bien fait comprendre quelle était ma part de responsabilité dans cet accident ! Bien sûr, ils ont été peu nombreux à m’accuser directement, mais cela a suffi à me convaincre de ma responsabilité. Ou peut-être en étais-je déjà convaincue ...
Freja pleurniche qu’elle a froid, qu’elle voulait encore jouer avec Brave, que ce n’est pas juste.
Non, mon amour, ce n’est pas juste. La vie peut se montrer terriblement injuste, c’est une réalité dont il te faudra malheureusement faire l’expérience.
Soudain, elle s’arrête, s’assied dans la neige, et fond en larmes. Un instant, j’envisage de l’imiter et de me laisser tomber sur une des congères qui bordent le chemin pour sangloter. Mais Freja a besoin de moi.
« Freja a besoin de moi ! » … Combien de fois cette phrase m’a-t-elle déjà obligée à sortir de mon lit, à avancer, à continuer ?! Alors, je soulève son petit corps secoué de pleurs, et je la cale contre moi.
« Je sais, mon cœur ! Je sais ! Ça va aller, tu verras. »
Et tout le long du chemin qui nous sépare encore de la maison de mes parents, je murmure des paroles destinées à nous apaiser autant l’une que l’autre. En arrivant, elle est presque calmée.
« Salut les filles ! Ben alors, mon petit flocon ! Qu’est-ce que c’est que cette tête ?! »
Baltar est la, évidemment. Ma mère prétend que mes frères n’ont jamais passé autant de temps à la maison que depuis l’arrivée de leur nièce chérie. En apercevant son oncle, ma fille lui tend aussitôt les bras. Et pour la première fois, je la lui confie avec joie, épuisée moralement et physiquement par cette fin de journée.
« On est un peu fatiguées toutes les deux, et un peu contrariées aussi. Tu veux bien la changer pendant que je prends une douche rapide pour me réchauffer ? »
Baltar meurt d’envie de me questionner, mais quelque chose dans mon regard l’en dissuade, et il se contente d’acquiescer, avant d’emmener Freja en lui chuchotant des secrets à l’oreille.
Je parviens à ravaler mes larmes jusqu’à ce que je me glisse sous la douche. Avec l’eau brûlante qui ruisselle sur mes cheveux et mon visage, je me détends enfin et laisse couler mes larmes. Mais je n’arrive toujours pas à me réchauffer. En réalité, plus rien ne me réchauffe à présent.
Après avoir enfilé des vêtements secs, je trouve Freja blottie sur les genoux de Baltar qui lui raconte des histoires de notre enfance. Ma fille semble encore triste et fatiguée, ce qui me bouleverse au-delà de tout. Mais elle vient malgré tout se lover sur mes genoux quand je lui tends les bras.
« Tu veux en parler ?
-Non. Pas vraiment. »
Baltar n’insiste pas, même si je lis dans ses yeux l’envie d’en savoir davantage, et je lui en suis reconnaissante.
« Je vais aller me préparer pour la soirée familiale. Je pense que vous avez besoin d’un petit câlin tranquille toutes les deux. A tout à l’heure, les filles. »
La soirée familiale ! J’avais oublié que c’était ce soir ! Ce qui signifie que cela fait déjà une semaine que je suis arrivée… Comment le temps a-t-il pu passer aussi vite !?
Nous restons silencieuses, profitant de ce moment de calme et de tendresse, jusqu’à ce qu’il soit l’heure de nous rendre chez mes grands-parents.
Cette fois, pas de silence gênant à notre arrivée, tout le monde calque son comportement sur celui de Baltar et Nicholas, comme d’habitude.
Néanmoins, Klaus et Kerstin continuent à me battre froid.
Freja, toujours aussi à l’aise, grimpe sur les genoux de tout le monde. J’ai plus de mal à me mettre dans l’ambiance. Mon esprit reste bloqué sur la vision de la bouche de Brave, son sourire et les éclairs de malice qui brillaient dans ses yeux. Mais c’est aussi l’attention pleine de tendresse qu’il porte à Freja qui m’obsède, et la colère de ma fille, l’incompréhension que j’ai pu lire dans ses yeux lorsque j’ai fui comme une voleuse.
« Brave Sanderson ! »
Ce nom, prononcé à voix haute, me tire de mes pensées et je découvre qu’une bonne partie de la tablée m’observe.
« Pardon ! Je suis un peu fatiguée, je n’ai pas suivi la conversation.
-Je disais que tu passes pas mal de temps avec Brave en ce moment » explique Alma.
Même s’il s’agit seulement d’une constatation, je ressens le besoin de me justifier, comme si j’avais commis un délit !
« C’est purement professionnel ! »
Ma réponse ne fait qu’attiser la curiosité, je le vois bien. Et si j’évite un interrogatoire en bonne et due forme, c’est grâce à Alma qui change habilement de sujet en lançant :« Alors ?! Il parait qu’Aveline vend l’hôtel ?! »
Cependant, il ne m’échappe pas que le regard qu’elle m’adresse signifie « il va falloir qu’on parle toutes les deux ».
« C’est exact. Il est en vente.
-Et comment se fait-il que tu sois au courant alors que tu n’es de retour que depuis cinq minutes ?! » assène la voix de Klaus à l’autre bout de la table.
Tous les yeux sont à nouveau braqués sur moi, en attente de ma réponse.
« Eh bien, en fait, c’est à moi qu’elle le vend. Enfin à l’entreprise qui m’emploie, pour être précise. J’ai été chargée du projet de rachat. »
Toute la famille se montre très intéressée par cette information, et me pose des multitudes de questions sur mon job et ma vie, pendant que Klaus continue à me fusiller du regard à distance. Il me déteste. Evidemment, qu’il me déteste ! Je suis partie sans rien dire et à mon retour, ma mission consiste à enlever à son meilleur ami ce qui devrait lui revenir de droit.
La conversation change à nouveau de direction, et comme je ne suis plus sous les feux de la rampe, je laisse mes pensées dériver à loisir en direction de…Brave, évidemment ! Je réalise que lui aussi me détestait il y a peu.
Je me demande ce qu’il fait, et s’il pense autant que moi à ce moment de grâce que nous avons vécu aujourd’hui.
10 commentaires
clecle
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Il y a 2 ans
AnnaShaw
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Il y a 2 ans
jojo la reine du poker
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Il y a 2 ans
AnnaShaw
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Il y a 2 ans
Lexa Reverse
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Célia Blomgren
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cedemro
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Mira Perry
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John Doe
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Guyanelle
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Il y a 2 ans