Fyctia
21.
J’entame mon deuxième jour d’inspection, accompagnée de Freja cette fois, aucun membre de ma famille n’étant disponible pour la garder aujourd’hui.
Je l’habille chaudement, et prépare un sac contenant de quoi l’occuper avant de prendre le chemin de l’hôtel. Lorsque nous arrivons enfin, je suis en nage : j’avais promis à Freja de faire un tour avec le petit traîneau qui dort depuis des années dans la grange de mes grands-parents, mais faute de rennes, c’est moi qui l’ai tiré dans la neige jusqu’au Riverlake hôtel ! Freja a tellement ri et chanté tout le long du trajet que le jeu en valait la chandelle, même si je suis exténuée.
Je me suis souvent demandée si Freja avait toujours senti que quelque chose clochait, qu’il manquait des éléments à notre famille, et si elle avait adapté son caractère à cette absence.
Malgré son jeune âge, elle fait déjà preuve d’une patience et d’une autonomie dont peu d’adultes, moi comprise, sont capables.
Au début, je l’installais dans le porte-bébé pour l’avoir toujours près de moi, et plus tard, elle a appris à ne pas faire de bruit pour ne pas m’interrompre dans mon travail.
Elle m’a suivie partout pendant trois ans, sans jamais se plaindre lorsque je la laissais des heures durant devant des coloriages dans des chambres ou des halls d’hôtel, la surveillant du coin de l’œil pendant mes rendez-vous. Aussi mérite-t-elle bien un tour en traîneau avant de passer plusieurs heures à s’occuper sagement alors qu’elle préfèrerait sûrement jouer dehors comme tous les enfants.
A peine avons nous passé la porte à tambour qu’elle me lâche la main et s’élance en courant jusqu’à…
« Brave ! »
Il lève la tête, surpris, juste à temps pour la réceptionner lorsqu’elle bondit littéralement dans ses bras. Elle se pend à son cou, commençant à lui raconter dieu-sait-quoi pendant que je les rejoins.
« Tu es venue avec ta fille ? »
Combien de fois ai-je entendu cette question au cours de ma carrière, courte mais déjà bien remplie ? Les gens sont toujours un peu déroutés de voir arriver une jeune femme avec un bébé pour un rendez-vous de travail. Et je ne peux pas les en blâmer. Cependant, à une ou deux exceptions près, la plupart se montrent très compréhensifs une fois la situation éclaircie.
« Je n’ai pas de baby-sitter, et Freja est la meilleure assistante du monde ! Pas vrai bébé ? »
Ma fille hoche la tête avec fierté.
« Dans ce cas, peut-être que Mademoiselle Freja pourrait venir m’assister dans le choix de certaines décorations de Noël pour mon bureau, pendant que Brave et toi travaillerez ?! »
« Bonjour Aveline ! Freja, dis bonjour à Madame Coulson, tu veux ? »
Mais Freja, la bouche grande ouverte, contemple avec admiration la superbe robe en velours que porte Aveline.
« Vous ressemblez à une princesse ! Une vieille princesse, mais une princesse quand même ! » souffle ma fille, dans ce qui représente certainement un compliment dans son esprit d’enfant.
Aveline ne semble pas particulièrement vexée, et part d’un grand rire cristallin.
« Eh bien, figure-toi que j’ai déjà rencontré une princesse, une fois, et même une reine, si tu veux tout savoir. Je dois avoir des photos dans mon bureau. Tu aimerais que je te les montre ? »
A partir de ce moment, Freja saisit la main d’Aveline et refuse la lâcher.
« Vous êtes sûre que cela ne vous dérange pas de la surveiller. Elle peut rester avec moi, sinon ; elle a l’habitude, vous savez.
-Sottises ! Il y a bien longtemps qu’il n’y a pas eu d’enfants pour égayer le quatrième étage. En fait, cela date de l’époque où ce jeune homme n’était encore qu’un garnement ! »
Brave grimace lorsque sa grand-mère lui tapote la joue comme s’il était encore ce petit garçon.
« D’ailleurs, j’ai certainement là-haut des photos de ta maman et Brave quand ils étaient petits. » affirme Aveline en entrainant ma fille derrière elle.
Freja se retourne pour m’adresser un petit signe de la main avant de disparaitre dans la cabine de l’ascenseur. Il ne reste donc plus que Brave et moi, ainsi qu’un silence gêné entre nous.
Un instant, je me demande comment Aveline pourrait avoir des photos de moi enfant, avant de me rappeler qu’elle venait souvent prendre le thé avec Agda lorsque nous étions plus jeunes, emmenant son petit-fils fraîchement débarqué à Riverlake avec elle.
« Avoue que tu avais oublié qu’on se connaissait déjà avant d’entrer au collège ! ricane-t-il.
-Eh bien, si mes souvenirs sont exacts, tu n’étais pas vraiment mon fan numéro un à cette époque, déjà !
-Ne te donne pas plus d’importance que tu n’en as, Super G ! Je n’étais fan de personne à ce moment-là. J’en voulais au monde entier, et particulièrement à mon père qui m’avais arraché à ma mère et à la Californie pour m’enterrer dans ce trou plein de neige. »
Je suis un peu déstabilisée par cette confession aussi soudaine qu’inattendue au beau milieu d’une de ces joutes verbales qui tendent à devenir notre spécialité. Je ne relève pas pour éviter de mettre Brave mal à l’aise.
« Klaus ne semblait pas t’inspirer autant d’animosité.
-Klaus a été mon meilleur ami dès le tout premier jour de notre rencontre.
-Attends… Klaus et toi êtes toujours potes ?! C’est pour ça que tu me détestes ?! Par solidarité pour Klaus qui ne peut plus m’encadrer ?
-Au risque de me répéter, tu te donnes vraiment trop d’importance, Super G !! Je ne te déteste pas, et mon animosité à ton encontre n’a rien à voir avec ta fuite, mais plutôt avec ton projet de racheter mon hôtel. »
Je ne sais pas ce qui me touche le plus : la critique répétée de mon égocentrisme, cette manie d’utiliser le surnom qui ravive de vieux souvenirs d’une époque révolue, ou l’aveu de son antipathie à mon égard.
« Ne m’appelle plus comme ça, s’il te plait !
-Quoi ?
-Ne m’appelle plus Super G . Cette fille n’existe plus à présent. »
Il s’apprête à poser une question, ou à émettre une objection, mais je reprends la parole avant qu’il n’en ait le temps.
« Ce petit voyage dans le temps était super, mais est-ce qu’on peut se mettre au travail maintenant ?! J’ai pris du retard hier, et j’ai vraiment besoin d’avancer pour envoyer mon rapport préliminaire à Londres. »
Avant qu’il ne m’adresse une autre de ses courbettes moqueuses, je prends la direction de l’escalier.
5 commentaires
clecle
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Il y a 2 ans
AnnaShaw
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Il y a 2 ans
Lexa Reverse
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Il y a 2 ans
John Doe
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Il y a 2 ans
Carazachiel
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Il y a 2 ans