Fyctia
15.
« Non !
-Willa ! Ecoute...
-Non ! Juste non ! »
J’aurais dû le savoir. Règle numéro un du guide de survie des petites sœurs : toujours rester méfiante lorsque vos grands frères prennent des airs de conspirateurs pour vous emmener quelque part.
Après leur avoir raconté par le menu ce que j’avais fait de ma vie ces dernières années, je suis montée me coucher, le cœur un peu plus léger…pour me réveiller quelques heures plus tard, Baltar et Nicholas penchés au-dessus de moi, de grands sourires aux lèvres.
« Où est ma fille ? Pourquoi vous faites ces têtes d’angoisse ?!
-Bonjour à toi aussi, Willy Wonka ! Freja est en train d’engloutir son poids en brioches dans la cuisine avec les parents.
-Ce qui n’explique toujours pas ce que vous fichez là à me regarder dormi !
-On a prévu un petit truc entre frères et sœur aujourd’hui, qu’est-ce que tu en dis ?
-Vous n’avez pas des boulots ?!
-Notre sœur est de retour après quatre ans, ça valait bien le coup de poser quelques jours de congé !
-C’est très flatteur, mais il y a un boulot pour lequel je ne peux pas poser de jours de congé : celui de maman. Alors, à moins que ma fille ne participe à votre « truc », auquel cas je veux des précisions avant de dire oui, je vais devoir décliner. »
Ils échangent un regard complice, et se laissent tomber sur le lit, à côté de moi.
« Sauf si on a trouvé une solution pour faire garder Freja ! Agda et Tove ont proposé de passer un peu de temps avec elle. »
Je m’apprête à émettre un contre-argument, lorsque Freja, la bouche barbouillée de chocolat, entre en courant pour se jeter sur le lit.
« Maman !
-Salut, bébé !
-C’est vrai que je vais aller jouer chez Agda et Tove, ce matin ? Mormor Agda a dit qu’on pouvait faire des bonhommes en pain d’épice, et morfar Tove a promis de m’emmener voir tous les jouets du grenier. Alors, je peux ?! S’il te plait ?! »
Si ma fille s’y met aussi, quelle raison aurais-je de dire non ? J’enfile des vêtements chauds comme l’exigent mes frères, et une fois mon petit-déjeuner avalé, je vais déposer Freja chez mes grands-parents. Quand je demande à ma grand-mère si elle se sentait capable de passer la matinée à surveiller une enfant de trois ans, elle m’a regardée comme si j’étais idiote, avant de lever les yeux au ciel.
« J’ai élevé trois filles et neufs petits-enfants, Willa ! Je pense être tout à fait à la hauteur pour prendre soin de ta fille quelques heures…
-Mais...
-File, maintenant ! Allez ! Zou ! Freja et moi avons des gâteaux à cuire ! »
J’ai tout de même le droit d’embrasser ma fille avant de me faire pratiquement claquer la porte au nez. Mes frères m’attendent à côté de la voiture de Baltar, mais ils ont catégoriquement refusé de me dire où nous allions et ce que nous allions faire. J’aurais dû me méfier ! J’aurais tellement dû me méfier, bon sang ! Parce que je me trouve à présent à quelques pas seulement de la première remontée mécanique, devant la remorque grande ouverte dans laquelle sont rangés mes skis et le reste de mon équipement qu’ils avaient pris soin de cacher sous une couverture.
« Non !
-Willa ! Ecoute...
-Non ! Juste non ! »
Je recule d’un pas. Déjà, l’angoisse me serre la poitrine, m’emprisonne, m’écrase. J’ai du mal à respirer, les montagnes se rapprochent. J’ai envie de crier, de frapper, de pleurer. Pourquoi me font-ils ça ? Je sais qu’ils veulent m’aider, me permettre de surmonter ma peur. Mais pas de cette façon, pas maintenant. Je ne peux pas. Je ne suis pas prête. Revenir ici représentait déjà un pas immense pour moi. Remonter sur des skis est au-dessus de mes forces.
« Juste une descente, Willa ! Une piste verte.
-Non !
-Donne-nous une bonne raison !
-Je ne suis pas en tenue.
-Willa ! Je t’ai vue skier avec un haut de maillot de bain pour un pari ! »
Avant, je l’aurais fait. Avant, je me fichais de porter un jean, un scaphandre ou un tutu pour skier. C’était d’ailleurs devenu un jeu entre nous : descendre les pistes dans les tenues les plus improbables et inadéquates possibles. Ce simple souvenir me serre tellement la gorge que j’ai envie de hurler.
Baltar, sentant certainement ma panique monter, s’approche de moi doucement, comme pour ne pas m’effrayer.
« Une petite descente, Willy Wonka, et c’est tout. Tu sais ce qu’on dit : quand on est tombé de cheval, il faut remonter tout de suite. »
Je sais très bien que cette métaphore maladroite n’a pas pour but de dénigrer ou d’amoindrir mon chagrin, mais c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. De la panique, je passe à la colère, avec une telle violence que la tête me tourne et que des points noirs se mettent à danser devant mes yeux. Manque d’oxygène provoqué par l’altitude et l’hyper ventilation, sans aucun doute. Ce qui ne m’empêche pas de hurler à pleins poumons.
« Sauf qu’il ne s’agit pas d’une putain de chute de cheval ! Je ne me suis pas fait un bleu au cul et zou, on repart. J’ai failli crever ! Crever, tu m’entends ! Seule dans cette putain de montagne, avec rien d’autre autour de moi que cette putain de neige partout ! J’ai failli crever, et eux sont morts ce jour-là. Et toi, tu me parles d’une putain de chute de cheval !
-Willa, calme toi... »
La voix de Nicholas se fait douce, rassurante, et dans son regard, je vois de quoi je dois avoir l’air : folle, hystérique, brisée. Ça fait si mal. Je veux m’en aller loin, très loin de toute cette souffrance, et de ces souvenirs qui tournent dans ma tête comme un tourbillon de neige. Je veux que ça s’arrête ! Je veux prendre Freja et fuir à nouveau. J’ai eu tort de penser que je pouvais y arriver, que je pouvais rentrer et reprendre ma place ici, redevenir la Willa d’avant. Cette Willa est morte, elle aussi, ce jour-là, et il ne reste plus qu’une fille terrifiée par tout ce qu’elle adorait. Ma colère retombe et les larmes jaillissent, brûlantes sur mes joues glacées.
« Oh ! Willy Wonka...
-Non ! »
Je ne mérite pas d’être réconfortée. Ils ont voulu m’aider, et je me suis comportée comme une cinglée. Ils ont voulu être là pour moi, et je me suis barrée à l’autre bout du monde pendant quatre ans. J’aurais dû mourir ce jour-là, moi aussi. Tout serait si simple si seulement j’étais morte avec eux !
Alors, je fais ce que je sais le mieux faire : je me détourne, je prends la fuite. J’entends dans mon dos les voix de Baltar et Nicholas qui m’appellent, mais je cours. Le froid me mord la peau, les larmes m’aveuglent, et je percute soudain quelque chose qui je me projette au sol.
Ou plutôt quelqu’un, à en croire le grognement lointain que je perçois. Je ne bouge pas. Je ne peux plus bouger. Je ne suis que douleur physique et morale. Je me recroqueville sur le sol glacé, et j’éclate en sanglots ; je reste prostrée, hoquetant, lorsqu’une voix me parvient de loin, très loin, s’inquiétant de savoir si j’ai mal quelque part. Je lève les yeux, pour découvrir Brave Sanderson accroupi devant moi, les sourcils froncés.
« Super ! Il ne manquait vraiment plus que lui !» ai-je le temps de penser, avant de perde connaissance.
14 commentaires
Vinie Aberas
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Il y a 2 ans
clecle
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Il y a 2 ans
Witney N.
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Il y a 3 ans
June_Deis
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Il y a 3 ans
DmlLea
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Il y a 3 ans
John Doe
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Il y a 3 ans
AnnaShaw
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Il y a 3 ans