Fyctia
10.
Passé le moment de surprise, Brave et moi nous dévisageons comme deux boxer attendant la sonnerie du gong.
« Qu’est-ce qu’elle t’a dit ? »
Ah ! Il a décidé d’attaquer le premier
« Rien qui ne te concerne, j’en ai peur. Je suis tenue au secret professionnel. Et, visiblement, Aveline n’a pas souhaité que tu sois mis au courant, sinon tu te serais trouvé dans cette pièce avec nous, et pas à écouter derrière la porte comme un sale petit espion. »
Ma remarque le fait rougir sous son épaisse barbe brune, mais il se reprend rapidement, cachant son malaise derrière un ricanement méprisant.
« Secret professionnel ?! Tu es commerciale, pas avocate ou médecin, que je sache !
-C’est exact, et tu pourrais très bien être un espion payé par la concurrence pour faire capoter cette vente. Maintenant, bien que je sois ravie de t’avoir revu, si tu veux bien m’excuser, je suis attendue. »
Nouveau ricanement, plus sarcastique encore que le précédent.
« Évidemment ! L’incroyable Willa Super G Lindbergh est de retour, et tout le monde l’accueille comme l’enfant prodigue, n’est-ce pas ?! »
Je peine à retenir une grimace au souvenir du diner de la veille, ce qui n’échappe pas à Brave qui s’empresse de s’engouffrer dans la brèche, me portant le coup de grâce.
« Ah non ?! Tout ne s’est pas passé comme prévu ?! Qu’y-a-t-il, Willa ! Pas de confettis ni de fanfare ? Oh ! Je sais ! Ils ont oublié les feux d’artifice ! »
Bien que la violence ne soit pas dans mon caractère, j’ai instantanément envie de frapper Brave de toutes mes forces pour lui faire ravaler son sourire satisfait. Ce type ne m’était déjà pas particulièrement sympa au lycée, mais il parait s’être transformé en parfait connard au fil des années.
« Tu es parfaitement odieux, on te l’a déjà dit ?
-Seulement des petites princesses pourries gâtées dans ton genre.
-Tu ne sais rien de ma vie. Et si j’étais toi, je surveillerais mon langage. Il se pourrait bien que je sois la prochaine gérante de cette hôtel, celle qui décidera qui reste et qui devra être remplacé. »
Ses yeux chocolat bordés de cils étonnamment longs me foudroient, mais j’y décèle néanmoins une petite lueur d’angoisse. Brave n’a pas besoin de savoir que je bluffe complètement, et que je n’ai jamais voix au chapitre concernant l’embauche du personnel. Qu’il se tourmente un peu, ce con ! Il se montrera peut-être plus aimable à l’avenir. Et puis cela nous mettra sur un pied d’égalité, puisque je sais que ses mots vont tourner dans ma tête toute la journée.
« Tu t’attends à ce que je te fasse des courbettes parce que tu vas venir voler le travail de toute une vie pour le transformer en parc d’attraction pour riches ?
-Les courbettes ne seront pas nécessaires. Davantage de politesse et un peu moins d’agressivité seront, en revanche, très appréciées.
-Écoute-moi bien, Willelminah ! »
Pour la deuxième fois en deux jours, mon prénom est assené quasiment comme une insulte.
« Tu n’as pas encore acheté cet hôtel et, crois-moi, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour t’en empêcher. Alors, laisse tomber tout de suite, et retourne mener ta vie de princesse loin d’ici.
-Brave Noël Sanderson ! »
Nous sursautons tous les deux, et découvrons Aveline qui nous observe depuis la porte de son bureau, l’air franchement furieuse. Encore une chose que Brave tient clairement de sa grand-mère. Je suis tellement surprise et soulagée à la fois de la voir, que je ne prends même pas la peine de relever le fait que Brave est affublé de Noël en second prénom !
« Dans mon bureau immédiatement, jeune homme ! » siffle-t-elle.
Brave, furieux de se faire réprimander comme un enfant, s’exécute malgré tout, non sans m’avoir auparavant gratifiée d’un regard plus noir que la nuit. Aveline referme la porte derrière lui, et s’approche de moi.
« Willa, ma chère, je suis vraiment navrée de cette petite scène. »
Elle a l’air tellement désolée que je ne me sens pas le courage de l’accabler davantage en déversant ma colère sur elle.
« Ce n’est rien, Aveline, je vous assure. Je suis habituée à ce genre de discussion avec des employés mécontents ou effrayés par la perspective d’un rachat. »
Elle me fixe comme si elle n’était pas vraiment convaincue par mon petit speech, mais n’insiste pas.
« Brave est un gentil garçon, tu sais. Mais il a été beaucoup trop souvent abandonné par des personnes importantes dans sa vie, et il a du mal à gérer sa peur du changement. Ne le juge pas trop vite, d’accord ? »
Je me mords la langue pour ne pas lui rétorquer que les événements douloureux de notre vie ne nous autorisent pas à nous comporter comme Brave vient de le faire par deux fois avec moi. Le cliché du « connard merveilleux », qui se comporte comme un rustre qu’on doit excuser sous prétexte qu’il porte une blessure secrète, fonctionne peut-être dans certaines romances, mais n’est ni très sain ni très attractif de mon point de vue.
Cependant, pour ne pas heurter ma cliente, je me contente d’un :
« Je vais essayer, Aveline.
-Merci ! A bientôt, très chère. »
Malgré la promesse faite à Aveline, je sors furieuse de l’hôtel. Aussi, au lieu d’aller rejoindre immédiatement ma fille et mes parents, ou d’appeler Ophélie pour lui annoncer la nouvelle, je tourne le dos à ma voiture et me dirige vers l’immense étendue de poudreuse qui recouvre le terrain adjacent à l’hôtel.
Quand je suis sûre d’être suffisamment loin du bâtiment, je hurle comme une démente pour évacuer toute ma colère et ma frustration. Puis, je prends des pleines poignées de neige que je jette loin de moi, imaginant que chacun de ces projectiles atteint Brave Sanderson en pleine tête.
« Connard ! Mais quel gros con ! Pour qui se prend ce type, bon sang ! »
Si quelqu’un passe et me trouve en train d’envoyer des projectiles sur une cible invisible en criant des insanités, je suis bonne pour l’internement, et un coup de savon noir sur la bouche en prime si ma grand-mère l’apprend.
Une fois calmée, les doigts engourdis par le froid, je rebrousse chemin. Bien au chaud dans la voiture, le chauffage à fond, je pousse un soupir et laisse tomber ma tête sur le volant.
Je suis arrivée à Riverlake il y a deux jours à peine, et le bilan n’est pas vraiment fameux : si les « adultes » de ma famille ont été heureux de me voir, on ne peut pas en dire autant de mes frères ou de mes cousins. Quant à ma mission, elle est sur le point d’être remplie, mais je vais devoir me méfier sérieusement de Brave.
Magnifique ! Les personnes de plus de quarante-cinq ans m’ont à la bonne, ce qui n’est malheureusement pas le cas de celles de mon âge. Brave a raison, peut-être vaudrait-il mieux que je reparte.
Mais d’abord, je dois aller retrouver ma fille. Et appeler Ophélie !
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