Fyctia
9.
Le Riverlake Hotel est une institution. Il faut dire que son architecture montagnarde et son accès direct aux pistes en font un joyau au cœur de l’écrin que constitue la ville. Le hall aux murs crème et au parquet lustré s’ouvre sur une réception à l’ancienne réhaussée par les décorations de saison qui créent une atmosphère à la fois féérique et chaleureuse… qui contraste avec le regard polaire de l’homme qui se tient derrière le comptoir.
Ce n’est pas surprenant, les gérants sur le point d’être franchisés ne sont jamais ravis de me voir, craignant que ma présence ne signifie la perte de leur emploi. Je devrais donc être indifférente au visage peu avenant qui m’accueille, si ce visage ne m’était pas familier.
« Brave Sanderson ! »
Brave et moi étions dans la même classe toute notre scolarité. Et il m’a méprisée durant tout ce temps. Je pense que son antipathie était principalement due à sa haine des skieurs de compétition en général, et de son père en particulier. Les années ont passé, et j’ai laissé le ski derrière moi, mais visiblement, Brave n’en a pas encore fini avec ses ressentiments.
« Tient, mais qui voilà ? Super G en personne ! Tu fais dans l’hôtellerie maintenant ? Laisse-moi deviner : le ski n’a pas fonctionné, et tu as décidé d’employer tes talents pour séduire les foules à d’autres fins ? »
Son cynisme associé au surnom de l’époque où j’étais la reine du slalom, me donne à la fois envie de pleurer et de lui arracher les yeux. Pour qui se prend ce type ?!
J’ai bien envie de lui rétorquer qu’il ne sait rien de ma vie et de ce que j’ai traversé ces dernières années, mais le dossier de rachat que je tiens sous le bras m’encourage à rester professionnelle. Si la vente se conclut, je serais amenée à travailler avec Brave, autant ne pas jeter d’huile sur le feu.
« J’ai rendez-vous avec Aveline Coulson.
- Elle n’est pas là ! Il faudra repasser plus tard. Ou mieux, ne jamais revenir !
- Allons, Brave ! Cesse de te comporter comme un enfant, veux-tu ? »
Nous tournons la tête en même temps, et je découvre au milieu de l’escalier une femme d’un certain âge. Elle respire l’élégance, et je songe qu’Ophélie sera certainement comme elle à soixante ans.
« Je suis Aveline, et tu dois être Willelminah Lindberg. Ta grand-mère ne tarit pas d’éloge à ton sujet.
- Vous connaissez Agda ?
- Ton grand-père a participé à la construction de cet hôtel, et Agda et moi sommes restées amies au fil des ans. Allons dans mon bureau, nous y serons plus au calme. Brave, sois gentil, demande à la cuisine de nous faire monter le déjeuner, s’il te plait.
- Sans arsenic pour le mien, si possible ! »
Je ne peux m’empêcher de glisser cette petite pique qui fait rire Madame Coulson, puis je la suis jusqu’à l’ascenseur. Nous montons jusqu’au dernier étage et pénétrons dans un sublime bureau qui offre une vue imprenable sur la vallée. Les murs lambrissés sont couverts de photos représentant les différentes équipes sportives et les célébrités qui ont séjourné à l’hôtel, mais également des membres de la famille.
Madame Coulson me désigne deux fauteuils recouverts de velour prune où nous nous installons.
« Excuse l’attitude de mon petit-fils, Willelminah. Il n’est pas très bien disposé concernant la vente de cet hôtel, comme tu peux t’en douter. »
Il me faut quelques secondes pour comprendre qu’elle parle de Brave ! Brave Sanderson est son petit-fils ! Incapable de répondre quoi que ce soit de cohérent après cette découverte, je me contente de bredouiller.
« Ce n’est rien. Et appelez-moi Willa, je vous en prie, Madame Coulson.
- À condition que tu m’appelles Aveline. Il n’y a eu qu’une seule Madame Coulson, ma belle-mère et, Dieu ait son âme, je ne tiens à lui être associée en aucune façon ! »
Je comprends mieux d’où Brave tient son sens de la répartie. On frappe à la porte, et un serveur pousse jusqu’à nous un chariot portant deux cloches sous lesquelles je découvre des patates rôties, un poulet à la peau dorée, et des haricots verts si joliment rangés dans l’assiette qu’ils en paraissent faux. Le tout sent délicieusement bon.
« J’espère que cela te conviendra, ma chère ? J’ai toujours trouvé que les affaires se concluaient mieux le ventre plein.
- C’est parfait, merci Aveline. »
Nous entamons le repas, tellement savoureux que, durant un instant, j’en oublie presque ce qui m’amène.
« Comme ma collaboratrice vous l’a certainement déjà expliqué, nous aimerions beaucoup franchiser votre hôtel pour lui permettre d’obtenir la visibilité qu’il mérite. Vous garderiez, évidemment, un pourcentage des parts à hauteur de vingt pour cent. L’offre que Wellington Hôtel vous propose est de quatre millions de dollars, et...
- Quatre millions ! Bonté divine, que vais-je bien pouvoir faire de tout cet argent ?
- Vous offrir une retraite bien méritée, et peut-être un tour du monde ? » je suggère, tentant un trait d’humour.
Encouragée par le rire d’Aveline, je m’apprête à reprendre mon argumentaire, lorsqu’elle m’arrête d’un geste de la main.
« Il est inutile de chercher à me convaincre, Willa. Ma décision est prise depuis longtemps : je suis bien décidée à vous céder l’hôtel. »
Mon cœur bondit dans ma poitrine. En dehors de la commission que je toucherai sur cette vente, et qui me permettra d’envoyer Freja à la fac de son choix sans le moindre problème, cette cession implique également que j’aurai un endroit où travailler si je décide de rester à Riverlake. Idée me remplit de joie autant qu’elle m’angoisse.
« J’ai cependant une condition à mettre à cette vente, si tu n’y vois pas d’inconvénient.
- Je vous écoute !
- Je ne veux pas que l’hôtel soit détruit. Vois-tu, cette bâtisse est une vieille personne, tout comme moi, et nous y avons vécu bon nombre d’événements, aussi bien joyeux que tragiques. J’y tiens vraiment !
- Ce n’était de toute façon pas au programme. »
Je sors de mon dossier les plans que nos architectes ont réalisés pour d’éventuels aménagements et modifications et Aveline écoute mes explications avec beaucoup d’attention. Les deux heures suivantes s’écoulent sans que je m’en rende compte.
« Je pense qu’il est temps pour moi de m’en aller. Je vous ai déjà beaucoup trop accaparée !
- Bien au contraire, ma chère. Il y a longtemps que je n’avais pas rencontré quelqu’un d’aussi passionnée par son travail. Tu me rappelles la jeune femme que j’étais en arrivant ici ! »
Le compliment me fait rougir.
« Si cela vous convient, je vais contacter ma hiérarchie, et nous conviendrons d’un rendez-vous pour la signature.
- C’est parfait !
- Aveline, pardonnez ma curiosité, mais puis-je vous poser une question personnelle ?
- Je t’en prie.
- Pourquoi vendre ?
- Pour Brave. Le jour où je ne serai plus là, je ne veux pas qu’il se sente lié à cet endroit par une sorte de dette posthume. Je souhaite qu’il soit libre de partir, et de faire ce que bon lui semble.»
Je hoche la tête, et la salue avant de quitter son bureau… Pour me trouver nez à nez avec Brave Sanderson.
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