Fyctia

« Alma !

-Willa chérie ! »

Ma cousine tend ses bras dans lesquels je me jette avec bonheur.

« Ne me laisse plus jamais seule avec ces crétins préhistoriques ! » chuchote-t-elle, suffisamment fort pour que les garçons l’entendent.

« Sale peste ! » s’exclame affectueusement Nicholas.

Baltar ne desserre pas les dents, et nous jette un regard rageur. Alma et lui sont quasiment jumeaux, et depuis l’enfance, nous nous partageons l’attention de notre cousine. En m’accueillant à bras ouverts, elle prend manifestement mon parti, ce qui le contrarie énormément, ce dont Alma est parfaitement consciente.

« Ne fronce pas les sourcils comme ça, mon Balti ! Tu vas te faire des rides et plus aucune fille ne voudra de toi, ce qui me contraindra à t’avoir sur le dos pour l’éternité… »

Mais cette taquinerie ne déride pas mon frère, bien au contraire ! Il se renfrogne davantage.

« Quel caractère de merde, celui-là ! Bon, raconte-moi tout, ma puce ! Maman a parlé d’un tour du monde, et je veux tout savoir : où tu es allée, qui tu as rencontré, ce que tu as fait. »

L’expression « tour du monde » a pour effet de surprendre Klaus et mes frères. Je sens qu’ils préparent une nouvelle salve de questions, mais l’envie de les faire mariner un peu me traverse.

« Je vais donner le bain à Freja. Tu te joins à nous ? »

Alma jette un coup d’œil aux trois autres, et m’adresse un sourire machiavélique.

« Bien sûr, ma belle ! »

J’emmène ma fille à la salle de bain, où je fais couler l’eau dans l’immense baignoire. Ma cousine s’installe sur le rebord pendant que je surveille la température, et aide Freja à ôter ses vêtements.

« Comment tu te sens, ma belle ? Pas trop dur, ce retour au bercail ?! »

Cette simple question en cache tellement d’autres sous-jacentes que j’ai de nouveau envie de fondre en larmes.

« Tu sais quoi ? Je crois que tu es la première à me demander ça !

-C’est parce que tout le monde est tellement content de te revoir Willa…

-Klaus et Balti n’ont pas exactement sauté de joie en me trouvant dans la cuisine ! »

Alma émet un claquement de langue réprobateur.

« Ces gars-là sont des crétins. Je les aime de tout mon cœur, mais que le ciel nous vienne en aide s’ils continuent à se montrer incapables d’exprimer leurs sentiments et à se comporter comme des ours mal léchés. Tu leur as manqué, Willa, comme à nous tous, n’en doute pas. Et maintenant, raconte-moi ! Où es-tu allée te balader ? »

Durant la demi-heure qui suit, je détaille les différents endroits du globe que j’ai explorés ces dernières années, sous le regard attentif de ma cousine.

« Et qu’est-ce qui te ramène parmi nous ? N’interprète pas ma question de travers, ma puce, je suis ravie de te retrouver. Mais pourquoi maintenant ?!

-Ma patronne envisage de créer ici une sorte de complexe hôtelier, et elle voudrait que j’en prenne la direction. Elle m’envoie faire une sorte de repérage.

-Attends ! Tu veux dire que tu vas rester, que tu n’es pas seulement là pour Noël ?! Voilà qui change tout ! Personne ne pourra plus rester fâché contre toi si tu es vraiment de retour. C’est carrément... »

Elle s’interrompt soudain en découvrant mon visage grimaçant.

« Tu n’as pas envie de rester ?

-Si, plus que tout, tu peux me croire, mais... je ne sais pas si je vais y arriver.

-Comment ça ? Oh... je vois. »

J’ai énormément de souvenirs ici, mais tout est entaché par les évènements que j’ai vécus quelques années plus tôt.

« Maman a peur de la montagne. » annonce Freja, tout en manipulant ses jouets de bain à l’effigie de la Reine des Neiges, évidemment.

Je devrais penser à ouvrir directement un compte au Disney Store !

Alma me regarde, incrédule, et je sais à quoi elle pense. Il y a quatre ans, le ski tenait une place essentielle, voire centrale, dans ma vie. J’aurais même pu en faire carrière, si j’avais voulu. Mais depuis ce jour, depuis l’accident, je n’ai plus jamais chaussé une paire de skis. La neige a été mon amie la plus fidèle, avant de devenir ma pire ennemie.

« Oh! Willa, non !

-Freja, c’est l’heure de sortir du bain. »

Lâche ! Je suis lâche. J’enroule ma fille dans une serviette éponge, la frotte énergiquement, puis je l’aide à enfiler un pyjama bien chaud, et j’en profite pour me changer aussi. Qu’est-ce qu’on porte pour retrouver sa famille après une si longue absence ?

Finalement, j’opte pour un pull en cachemire vert bouteille que j’adore et un jean, sous le regard approbateur d’Alma. Pour les chaussures, la question ne se pose évidemment pas : des Moon Boots, le temps de parcourir le chemin qui mène chez mes grands-parents. Je tresse mes cheveux pour dégager mon visage, lorsque ma mère arrive dans ma chambre portant un baby phone.

« Je me suis dit que tu aurais envie d’entendre ce qu’il se passe si tu dois coucher Freja dans une chambre à un moment de la soirée. »

Je la remercie, en lui taisant le fait que ma fille ne me quittera probablement pas de la soirée. Cette enfant a grandi accrochée à ma hanche durant les trois premières années de sa vie, et il y a peu de chance que cela change ce soir précisément ! Elle a l’habitude de dormir n’importe où, le bruit environnant ne la perturbant pas le moins du monde à partir du moment où elle est près de moi.

Et lorsque vient l’heure de partir dîner, je la cale dans mes bras. Les gars ont fini par déserter le salon, et je me demande un instant s’ils sont partis avertir tout le monde du retour de la lâcheuse que je suis à leurs yeux.

Arrivée sur le pas de la porte, j’envisage un instant de faire demi-tour pour aller m’enfermer avec ma fille dans ma chambre d’enfant. Mais déjà ma mère m’accueille, et la présence d’Alma derrière moi empêche tout repli stratégique.

J’inspire donc une grande bouffée d’air glacé, et pénètre dans la maison.