Fyctia
3.
Je me retrouve brusquement écrasée par un énorme câlin ponctué de mots tendres en anglais et en suédois.
« Oh ! Mon bébé ! Mon bébé d’amour ! Montre-moi ton beau visage. » sanglote à demi ma mère, avant de déposer des dizaines de baisers sur mes joues.
Je me blottis dans ses bras, en respirant son odeur de sucre, de cannelle et de clou de girofle. Quand j’étais petite fille, je pouvais deviner ce qu’elle avait préparé à la pâtisserie rien qu’au parfum de ses vêtements.
« Notre Willa est de retour ! » chantonne Anita, m’enlaçant à son tour.
« Excuse-les, ma chérie. L’âge les rends plus émotives et plus folles que jamais ! » se moque Elsa, m’écrasant elle aussi entre ses bras vigoureux.
« Seigneur ! » s’écrit-elle soudain en posant les yeux sur Freja, qui mange avec application son pain d’épice, indifférente à l’agitation ambiante.
« Elle te ressemble comme deux gouttes d’eau, c’est incroyable ! » s’exclame Anita.
Évidemment, ma mère a déjà abondamment parlé à ses sœurs de sa petite fille dont elle est si fière. S’étant mariée la dernière, le statut de première grand-mère de la fratrie lui offre le droit de se vanter pour le reste des temps.
Freja n’a jamais été un secret pour mes parents, et bien qu’ils ne l’aient jamais rencontrée, ils ont reçu suffisamment de photos d’elle durant les trois dernières années pour avoir déjà l’impression de la connaître. Sans oublier les appels Skype qui leur ont permis de la voir évoluer malgré la distance. Freja n’a d’ailleurs aucun mal à identifier sa grand-mère à l’instant où leurs yeux se croisent.
« Bonjour mormor !
-Bonjour kärlek !
-Freja, il y a deux personnes très importantes que je voudrais te présenter. »
Ma fille, tout bonnement adorable, délaisse son goûter pour fixer sur moi un regard sérieux et concentré.
« Voici min moster Elsa et min moster Anita.
-Mais tu peux m’appeler Anna comme tout le monde, ma puce. »
Les yeux de Freja s’écarquillent.
« Elsa et Anna ! » murmure-t-elle pour elle-même. « Elsa et Anna !! » répète-t-elle plus fort. « On est vraiment chez la Reine des Neiges, alors ?! Mormor c’est la sœur de la reine des neiges ! Est-ce que tu peux faire des tempêtes de neige avec tes mains ?! » interroge-t-elle curieuse, tout en saisissant la main de ma tante qui un peu perdue.
« C’est un film pour enfant qu’elle adore. Je te brieferai. »
Mais je n’ai pas le temps d’expliquer l’histoire de la Reine des Neiges à Elisabeth, car ma mère entreprend de me questionner à propos de mon voyage et des raisons de mon retour. Je passe la demi-heure suivante à résumer ce qu’a été ma vie au cours des quatre années écoulées, et à détailler mon périple jusqu’à Riverlake. Une fois mon récit achevé, ma mère se lève et tape dans ses mains.
« On file à la maison installer tes affaires et celles de Freja. Ensuite, il faudra que je revienne aider à préparer le repas de ce soir. C’est la soirée familiale, tu sais... »
Un poids se pose soudain sur ma poitrine. Mon angoisse doit se traduire sur mon visage, car mon grand-père attrape mes mains, et plonge ses yeux dans les miens.
« Tu es chez toi ici, Willa, comme n’importe quel autre membre de la famille. Et le premier qui dira le contraire aura affaire à moi, d’accord ? Maintenant, va vite poser tes affaires. Pendant ce temps, Freja et moi pourrions aller voir si nous trouvons de quoi faire des glissades. Tu as déjà fait de la luge, trésor ? »
Ma fille, en confiance totale avec Tove, m’adresse un signe de la main avant de se diriger vers la grange où sont entreposées toutes les affaires de ski.
« Elle est drôlement sociable ! » s’extasie ma mère, alors que nous récupérons les sacs dans le coffre de ma voiture.
« C’est la vie de nomade qui veut ça ! »
Depuis trois ans, Freja et moi voyageons énormément grâce à mon travail et à ma super boss et meilleure amie, Ophélie.
En entrant chez mes parents, je suis submergée par une nouvelle vague d’odeurs, de souvenirs et de sensations.
« Bienvenue à la maison ! » annonce ma mère, alors que je ferme les yeux pour ne pas pleurer.
Ma chambre est telle que je l’ai laissée en partant : mêmes murs rose poudré, doré et blanc, même couvre-lit tricoté main, mêmes photos de destinations lointaines sur les murs. Dire que, depuis, j’ai vu ces endroits de mes propres yeux ! Seules les photos qui ornaient le miroir de ma coiffeuse ont disparu. Je suis reconnaissante à ma mère de les avoir retirées pour m’éviter d’avoir à affronter immédiatement les fantômes de mon passé.
Je dépose mes affaires, et c’est au moment où je vais m’asseoir sur le lit que la vague de souvenirs me submerge. Je me précipite immédiatement hors de la chambre, le cœur battant la chamade, et dévale l’escalier pour rejoindre la cuisine, où ma mère pétrit la pâte en chantonnant les paroles d’une comédie musicale française, Peau d’âne, que nous regardions souvent quand j’étais enfant. C’est grâce à ce film que j’ai longtemps nourri le fantasme de posséder une robe couleur du temps !
« Alors, raconte-moi un peu ce nouveau projet ! » demande ma mère.
Je lui explique mon envie de me poser durablement quelque part, et l’envie d’Ophélie d’ouvrir un nouvel hôtel dans la région.
Je suis en train de détailler le projet, quand la porte d’entrée s’ouvre, puis se referme. Des voix graves nous parviennent et, en les percevant, je me fige comme une biche prise dans les phares d’une voiture.
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NB : les mots en italiques sont en suédois
mormor - mamie
kärlek - amour
min moster - ma tante
17 commentaires
SOLANE
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John Doe
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clecle
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