Fyctia
2.
« Alma, c’est toi min skatt ?!
-Nej ! C’est moi, grand-mère. Willa. »
Ma grand mère n’a pas beaucoup changé depuis la dernière fois que nous nous sommes vues. Elle a peu vieilli, et personne en la voyant ne pourrait imaginer qu’elle fêtera ses soixante-dix ans en janvier. Ses yeux bleu glacier me fixent un instant, puis s’écarquillent de surprise alors qu’elle recule d’un pas, chancelante.
« Willelmina ?! Willa min älskling ! Tu es là ! C’est vraiment toi ?! »
Elle semble ne pas y croire. J’ai envie de courir me réfugier dans ses bras, comme lorsque je me faisais disputer enfant, mais Freja s’impatiente.
J’adresse un timide sourire à Agda, et retourne à la voiture. J’aide ma fille à enfiler sa veste et les minuscules bottes fourrées à l’effigie de sa princesse favorite qu’elle m’a suppliée de lui offrir. Je la dépose au sol, et elle pousse un petit cri de joie en entendant la neige craquer sous ses pieds. Il faut dire qu’en trois ans d’existence, elle n’a guère eu de possibilité d’en voir autrement qu’en photo ou à la télé. Aimera-t-elle toujours autant cela le jour où elle apprendra tout ce que la neige lui a volé avant même sa naissance ?
Ma grand-mère m’empêche de m’enfoncer plus avant dans les ténèbres en poussant à nouveau un cri de surprise.
« Mon dieu ! Alors c’est bien vrai !? Tu as fait de moi une arrière-grand-mère ! Bonjour, ma jolie ! Comment tu t’appelles ? »
Évidemment, Freja fait sa timide et court se cacher derrière mes jambes. Je passe une main dans ses boucles blondes.
« Freja, elle s’appelle Freja. »
Agda me regarde, et je vois les larmes briller dans ses yeux. Dans la mythologie nordique, Freja est la déesse guerrière de l’amour et de la beauté. C’était ma déesse favorite dans les histoires que ma grand-mère nous racontait, et c’est aussi le nom de sa propre mère.
« Et bien, Freja, je suis vraiment ravie de te rencontrer. Et si vous entriez vous réchauffe avec une boisson chaude ? Je sors tout juste une fournée de pain d’épice du four. »
Pas timide pour deux sous lorsqu’il s’agit de nourriture, ma fille accepte la main tendue, et me précède dans la maison.
A peine le pas de la porte passé, me voilà assaillie par les odeurs : épices, bois, feu de cheminée et pommes. Les souvenirs déboulent avec une telle force que je dois me tenir pour ne pas tomber. Freja, elle, a déjà disparu dans la cuisine avec Agda.
La grosse voix de mon grand-père retentit soudain :
« Et bien, Aggie chérie, qu’est-ce que tu nous ramènes-là ?
- Un ange, Tove, tu ne vois pas ? »
Je m’avance, bouleversée par le spectacle de ma fille dans la cuisine familiale, et de mon grand-père qui lui sourit.
« Est-ce que tu es le Père Noël ? » questionne Freja d’une petite voix, impressionnée malgré tout.
Il part d’un rire énorme qui fait trembler les vitres, mais il est vrai qu’avec sa barbe et ses longs cheveux blancs, il ressemble assez au gros bonhomme en rouge.
« Nej, Freja, ce n’est pas le Père Noël. C’est Tove, min morfar. Je t’ai parlé de lui, tu te souviens ? »
Mon intervention attire l’attention de Tove sur moi. Son rire s’arrête net.
« Willa, c’est toi ? Tu es revenue ? Oh ma Willa, min lilla tjej ! »
Cette fois, impossible de retenir les larmes qui roulent sur mes joues en voyant celles qui brillent dans les yeux de mon grand-père adoré.
« Surprise ! » je murmure d’une voix enrouée par l’émotion.
« Qu’elle surprise, ma Willa ! » chuchote Tove avant de m’étreindre.
Pendant un instant, j’ai à nouveau six ans. Même si je sais que les retrouvailles avec mes frères et cousins vont être plus compliquées, le simple fait de savoir que j’ai le soutient des autres membres de la famille suffit à rendre les choses plus faciles. Pendant que ma grand-mère prépare son chocolat aux épices en tendant à ma fille un pain d’épice aussi gros que sa tête, je m’installe à table et répond aux questions de mon grand-père sur mon retour.
« Maman m’a dit que tu avais été fatigué, et je me suis inquiétée. Et puis Freja n’avait encore jamais eu de Noël blanc.
-Tu es revenue à cause de moi ?
-En partie, oui. Mais je crois surtout qu’il était temps de rentrer. »
Tove me sourit et prend ma main dans son immense paume rendue rugueuse par le travail manuel.
« Et tu nous ramènes une jolie surprise dans tes bagages. D’où sort ce petit lutin ? »
Mon grand-père a trouvé une manière polie de demander qui a pu mettre en cloque sa petite-fille adorée, et où se trouve le père de cette enfant.
J’ai beau savoir qu’on va me poser la question souvent dans les prochaines vingt-quatre heures, là réponse n’en reste pas moins douloureuse comme un coup de poignard dans le ventre. Mon chagrin doit se lire sur mon visage, parce qu’il comprend tout seul. Enfin, presque...
« Quel âge as-tu, jolie Freja ?
-3 ans. » répond mon bébé, la bouche pleine de pain d’épice.
« Oh ! Willa! » souffle Tove, serrant ma main un peu plus fort.
Les larmes menacent une nouvelle fois de passer la barrière de mes paupières. Et si je ne fonds pas en larmes, c’est uniquement grâce au cri qui retentit brusquement dans mon dos.
« Elle est là ! »
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NB : les mots en italiques sont en suédois
min skatt - mon trésor
nej - non
min älskling - ma chérie
min morfar - mon papi
min lilla tjej - ma petite fille
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SOLANE
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