Fyctia

Rue commerçante

30 novembre

16h14

L’opération Merry Chillmas est officiellement lancée !

La communication sur les réseaux sociaux a eu un succès fou. Le premier jour de la dégustation, la foule de clients s’étendait sur cent mètres. Carine a failli en dévorer sa pétition. 2 signatures seulement. Elle et Raphaël. Je ne peux pas lui en vouloir, c’est de bonne guerre. Et puis… les goûteurs sont revenus dès le lendemain pour acheter les biscuits. Même pas de remarques sur leur prix plus élevés, juste des félicitations pour cette nouveauté. Autant dire que je me suis retenue d’acheter le stock de fleurs de Charlie pour me les lancer devant mes deux haters.

— Dis-moi, tu es sûre qu’il ne s’est rien passé avec Charlie ? Tu sais… quand j’ai légèrement abusé des biscuits.

Luc stoppe son pétrissage pour tenter de capter mon attention. Pour ma part, je garde mes mains dans mon mélange de farine et de beurre pour homogénéiser tout ça. J’ai toujours été contre l’usage intensif des robots pâtissiers. Certes, c’est un gain de temps, mais j’aime travailler la pâte avec mes doigts. C’est comme ça qu’on fait les meilleurs biscuits. Ça me rappelle les après-midis durant lesquels mon père me partageait tout ce que sa mère lui avait appris. Il n’aimait pas sortir et nous n’avions pas beaucoup d’argent pour les activités extra-scolaires. Alors, il déversait la farine à même la table. Rajouter du beurre, une pluie de sucre et un œuf ou deux. Le tour était joué. Pas besoin de plus, juste lui et moi. Il posait son index enfariné sur mon nez pour y laisser une trace. Juste pour me faire rire. Nous goûtions les biscuits dès qu’ils sortaient du four, avant de souffler la bouche ouverte pour calmer les brûlures. Et puis nous recommencions, encore et encore. Les biscuits n’avaient jamais le même goût parce qu’il ne suivait aucune recette.

4 ingrédients. 4 mains.

Il n’y avait pas besoin de plus.

— Elsie ?

Les saveurs du passé qui me reviennent ne laissent qu’un arrière-goût amer à présent. Mes mouvements sont mécaniques, à la recherche de ces sensations que j’aimais tant, mais je ne trouve rien. Mon père n’est plus là pour passer ses mains au-dessus des miennes. Ni même pour me révéler ses secrets de cuisine et…

— Elsie ?! hurle brusquement Luc.

Mon sursaut manque de me faire renverser ma préparation et je fais face aux yeux écarquillés de Luc. Je l’interroge du regard avant que ses traits ne se détendent. Il ferme la bouche et fronce lentement les sourcils.

— Tout va bien ? demande-t-il.

— Quoi ? Tu t’inquiètes parce que t’as failli me faire perdre l’ouïe ?

— Tu étais visiblement perdue dans tes pensées, note-t-il d’une voix douce.

— J’étais concentrée, c’est tout.

Je récupère les pépites de chocolats pour les incorporer à ma pâte et fuir cette conversation douloureuse. Luc me connaît par cœur, et nous pâtissons l’un en face de l’autre depuis des années. On ne peut rien se cacher.

— Tu as mis des oignons dans ta pâte ?

Ce n’est que lorsqu’une goutte s’éclate dans ma préparation que je comprends pourquoi Luc s’est montré soudainement inquiet. J’essuie mes yeux d’un coup d’avant-bras et plante mes pépites une à une dans mon mélange beurre-farine. Ce geste répétitif m’apaise et retarde le moment où je relèverai la tête. Parce que Luc n’a absolument pas bougé.

— Tu veux en parler ?

Je n’aime pas quand il est comme ça. Je préfère quand il râle parce qu’il a glissé sur une plaque de verglas… parce qu’il a trouvé un de mes cadeaux cachés dans les toilettes… parce qu’il s’est réveillé avec la célèbre chanson de Mariah Carey dans la tête. Je veux qu’il me fasse rire.

Des rires pour remplacer les pleurs.

— Elsie ! C’est une catastrophe ! entendons-nous soudainement dans la boutique.

Après un regard, nous laissons de côté nos préparations pour rejoindre Prune qui a débarqué en furie dans le magasin. Les cheveux tout ébouriffés, elle est là, haletante, au milieu de la pièce.

— Mes biscuits rendent tout le monde malade ?!

Elle se redresse et hausse un sourcil, outré.

— Gros chat gris a disparu !

J’essaie de rassembler les pièces du puzzle. Elle débarque à moitié débraillée, en hurlant à la catastrophe… pour un chat ?!

— Oui mais… mes biscuits sont toujours aussi bon, n’est-ce pas ?

Elle fulmine et la mettre dans cet état a le même effet que lorsque je taquine Luc. Je retrouve le sourire, mon cœur oublie pourquoi il avait envie de pleurer. Et j’arrive à reprendre une respiration calme.

— Je plaisante, d’accord ? Ton chat revient toujours.

— Les températures baissent et ils ont annoncé de la neige cet après-midi, déclare-t-elle en faisant les cent pas devant moi, la tête entre les mains.

— Tu es en train de dire que je dois bien me couvrir ?

Luc me donne un coup de coude dans les côtes tandis que Prune cesse son manège. Elle est stressée, je le sais. Mais à moins que son chat n’ait décidé de se réchauffer dans mon four, je ne vois pas ce que je peux faire de plus.

— On va le retrouver, lui assuré-je. Il suffit de passer une annonce et si tu veux, dès que mes biscuits sont cuits, je ferai le tour du pâté de maison. J’explorerai la ville entière s’il le faut.

Elle soupire de soulagement, parce qu’elle sait que, même si je prends la chose à la légère, il est hors de question que je la laisse dans une impasse.

— Il ressemble à quoi déjà ? la questionné-je.

Ses narines se dilatent et ses traits se durcissent. Elle était facile celle-là, mais beaucoup trop tentante.

— Détends-toi… tu veux un biscuit ?