Fyctia
Chapitre 8 - Elsie (2/3)
Ça pourrait être mon nouveau slogan. Elle pince ses lèvres et les étire légèrement sur le côté, l’air pensive. Gros chat gris peut se les cailler encore un peu dehors. En attendant, sa maîtresse adorée s’avance vers ma fournée magique et pique deux biscuits.
— Oublie pas, pas plus de trente, lui rappelé-je subtilement.
Elle lance un regard amusé vers Luc et croque dans le premier gâteau.
— Je ne risque pas d’oublier.
Le regard de mon ami passe de Prune à moi, plusieurs fois d’affilées, avant qu’il ne me fixe.
— Qu’est-ce qu’il s’est passé ?! ordonne-t-il. Je veux savoir.
— Tu ne lui as rien dit ? s’amuse Prune.
— Me dire quoi ?
La veine sur son front palpite et tente de jouer les négociatrices pour que j’avoue tout.
— Je préfère te faire mariner encore un peu.
— Sérieux Elsie…, souffle-t-il. Ça concerne Charlie, n’est-ce pas ?
— Tu pourrais lui demander directement, propose Prune.
— Il n’osera jamais.
— Oh… après trente biscuits, il est capable de tout lui dire, poursuit-elle.
Luc écarquille les yeux, tellement que je m’attends à les voir sortir de leurs orbites. À la place, il se réfugie d’un pas pressé dans les cuisines. Et parce que je ne peux pas laisser mon meilleur ami dans cet état, je promets à Prune de retrouver son chat et l’abandonne. Contre l’embrasure de la porte, j’observe mon coéquipier se défouler à l’aide de son rouleau à pâtisserie.
— Tu as dit que tu n’arrêtais pas de penser à elle, avoué-je tendrement. Devant elle.
Il s’arrête et les muscles de son dos se contractent. Je sais qu’il analyse ce que je viens de dire dans sa petite tête. Comme s’il avait le pouvoir de changer la réalité rien qu’en y pensant. Je l’ai toujours trouvé fascinant, bien qu’un brin compliqué. Ou du moins… qui se complique la vie. Lorsqu’il a dit qu’il pensait à Charlie, d’une façon tellement spontanée, j’ai cru que j’allais étouffer. J’étais tellement fière qu’il ose enfin l’avouer, et si triste de constater qu’il avait fallu qu’il noie son stress dans des biscuits pour oser le dire.
Il est tellement plus à l’aise dans son rôle de meilleur ami, toujours là pour me calmer les nerfs, pour m’aider à me sentir mieux. Mais dès qu’il s’agit de lui, ses émotions l’envahissent et une tempête emporte tout sur son passage. Je devrais peut-être lui donner des biscuits au CBD incognito. L’aider à vivre sans cette anxiété permanente.
— Et je pense qu’elle s’attend à ce que tu confirmes ça… sans être sous l’influence de mes super biscuits.
Il fait rouler ses épaules vers l’arrière pour chasser cette angoisse et reprend lentement l’étalement de sa pâte. Avant qu’elle ne vire au papier de soie, je m’avance et stoppe son mouvement.
— Si tu veux, on peut créer des biscuits chinois de Noël. Tu glisses ta déclaration dans un biscuit et tu lui offres.
Ma boutade, qui pourrait tout de même s’avérer être une idée de génie, parvient à faire naître un fin sourire sur ses lèvres. Je lui attrape la joue pour la presser et étirer davantage ce rictus.
— Arrête ça, lance-t-il d’une voix bien trop enjouée pour que je le pense agacé.
La seule chose qui me fait stopper ce petit jeu, c’est le téléphone qui résonne dans la pièce. Je laisse Luc à contrecœur pour aller décrocher.
— Biscuiterie « Nom d’un p’tit biscuit », j’écoute.
— Elsie ? C’est Robert.
Je tourne le dos à Luc pour chuchoter dans le combiné.
— On en a déjà parlé. Je n’ai pas besoin d’un truc plus fort pour mes biscuits.
Je l’entends rire.
— Rien à voir, promis. J’ai trouvé un chat.
— Ils se sont améliorés dans leur chasse au trésor, c’est bien.
Il s’esclaffe encore une fois et reprend :
— Je crois que c’est le chat de Prune.
— Il est gros et gris ?
— Oui et il a un collier avec écrit « Gros chat gris de Prune »
Prune a bien fait de faire appel à moi, je résous des mystères les yeux fermés. Il y a juste… un léger petit détail qui me turlupine.
— Pourquoi vous n’avez pas appelé Prune directement ?
Le silence qui s’en suit est long, bien trop long. Robert aurait tout simplement pu contacter Prune, dont le numéro est sur le fameux collier, mais c’est moi qu’il a appelée. Et ce silence n’est pas là parce qu’il cherche une réponse. Il cherche un mensonge convaincant.
— Elle ne répond pas, marmonne-t-il.
— Vraiment ?
— Tu pourrais venir le chercher ? Cécile est allergique.
— Vous cherchez à détourner la conversation ?
Robert pouffe légèrement et bafouille :
— Mais… mais pas du tout !
— J’arrive.
Lorsque je raccroche, Luc passe devant moi avec son plateau de biscuits prêts à être enfournés.
— Où est-ce que tu vas ?
— À la maison de retraite. Ils ont trouvé le chat de Prune.
— Déjà ?
— Que veux-tu, c’est peut-être un stratagème pour me faire venir et me faire rencontrer l’homme de ma vie.
— Parce que tu serais prête pour ça ? plaisante-t-il.
Je ne relève pas et l’embrasse sur la joue avant de traverser la boutique. En réalité, je n’ai même pas la réponse à cette question… et j’évite de trop y réfléchir. Je me concentre sur ma carrière, sur mes amis, et je n’entache pas le tableau de sentiments amoureux qui pourraient me faire souffrir. Sérieusement, qui a déjà souffert en mangeant un biscuit ?
Mes relations passées auraient pu être belles, si je ne vivais pas avec la peur que tout s’écroule. J’y ai peut-être cru avec Raphaël mais j’ai été trop naïve. Je ne ferai plus le premier pas, ni même le deuxième. Luc dira que je me protège derrière mon humour, que je préfère récolter le bonheur par procuration. Mais ça me va. Rendre les autres heureux. Voir les autres heureux. C’est ce qui m’apaise.
3 commentaires
Lunedelivre
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Il y a 19 jours
Emmy Jolly
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Il y a 20 jours
NICOLAS
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Il y a 21 jours