Fyctia

— Merry Chillmas tout le monde !

Luc laisse son plateau à Elsie et traverse l’appartement pour s’asseoir entre Charlie et Cece sur le canapé. Ou plutôt, pour s’affaler d’une façon peu gracieuse. Dans la cuisine, sa meilleure amie se débarrasse de son plateau et lâche en passant devant moi :

– Aucun commentaire.

La voir fulminer est particulièrement plaisant. Et l’envie de titiller ce stress est tentante.

— Rassure-toi, personne ne va croire que tu vends vraiment de la drogue. Enfin… sauf si Luc se met à discuter avec une guirlande lumineuse.

Elle grogne et traverse la pièce d’un pas lourd. Les yeux rivés sur son ami, elle guette la moindre de ses réactions tandis que je les rejoins dans le salon. Les filles poursuivent leur discussion sur la compétition de Noël. Aucune d’entre elles ne semble avoir capté l’état dans lequel se trouve le nouveau venu. Pourtant, celui-ci n’arrive pas à détacher son regard de Charlie, un sourire béat collé au visage.

— J’ai quelque chose sur la joue ? s’amuse Charlie.

— Je dois absolument te dire quelque chose, avoue-t-il en penchant sa tête en arrière.

Charlie sautille pour se retrouver face à lui et répond :

— Je t’écoute.

Lentement, Luc ouvre la bouche, mais aucun son n’en sort. Autour de la table basse, toute l’attention des filles est rivée sur lui. Après une longue minute, Cece tapote sur son épaule.

— Tout va bien, Luc ?

— Oh Cece ! lance-t-il en se tournant vers elle. Dis… tu n’aurais pas des cacahuètes ?

Le regard de notre hôtesse parcourt l’assemblée, mais aucun de nous ne parvient à trouver une explication logique à ce revirement de situation. Elsie, elle, tente de feindre l’innocence, mais ses jambes flageolent en silence et ses doigts malmènent ses collants noirs.

— Je vais te chercher ça, répond Cece avant que Charlie ne se racle la gorge.

— Tu n’avais pas quelque chose à me dire ?

Luc revient vers la fleuriste et ses yeux pétillent dès qu’ils rencontrent les siens. Son sourire niais revient.

— Bien sûr ! Je voulais savoir ce que tu avais prévu pour… la compétition de Noël.

— Je vais organiser des ateliers floraux l’après-midi et…

Charlie stoppe sa confidence dès l’instant où Luc se met à bâiller à gorge déployée. Le coude posé sur le dossier du canapé, la tête contre sa main, il peine à garder les yeux ouverts.

— Je t’ennuie ? lui demande-t-elle.

— Non, ce n’est pas ça, je suis juste… fatigué.

— Elsie te fait bosser tant que ça ? le questionne Prune.

— Non, je suis juste épuisé parce que je n’arrête pas de penser à Charlie, déclare-t-il sans quitter la jeune femme des yeux.

Les joues de cette dernière se teintent de rose tandis qu’elle détourne le regard. Luc, lui, ne semble pas avoir mesuré la portée de ses mots. Je ne suis pas assez présent dans cette rue pour connaître tous les secrets des relations qui lient les commerçants entre eux. Je sais que Prune parle de son chat comme si c’était son enfant, et qu’elle hésite à considérer sa colocataire comme une amie ou une ennemie. Cece adore recevoir du monde depuis sa rupture avec son fiancé. Et Elsie se démène toujours pour aider les autres et ne pas avoir à affronter ses angoisses. J’ignorais tout du béguin de Luc pour Charlie. Et visiblement, elle aussi.

Au milieu de cette bombe, Cece revient et tend un bol rempli de cacahuètes à Luc.

— Non merci, dit-il.

— Tu te fous de moi ? Tu viens de m’en réclamer !

— T’es sûre ?

Agacée, Cece claque le bol sur la table et file s’asseoir à côté de Prune dont le regard passe de Luc à Elsie.

— On peut m’expliquer ce qu’il arrive à Luc ? demande-t-elle.

Les bras croisés, Elsie fusille son meilleur ami du regard. Sa poitrine se soulève lentement, à croire qu’elle se retient de lui sauter dessus pour l’étrangler. Luc, lui, est à mille lieues de se rendre compte des conséquences que sa dégustation en solitaire va engendrer.

— Vous avez déjà pensé à l’injustice du Père-Noël ? explique-t-il. Genre… il offre des cadeaux seulement aux enfants sages ? Mais les vilains dans ce cas ? Ils ont le droit à un avocat pour se défendre ? Ou genre… un syndicat ?

Cette fois, tous les regards se tournent vers la biscuitière.

— Luc a peut-être, légèrement, mangé toute la deuxième fournée de biscuits, avoue-t-elle lentement.

Toutes se tournent vers Luc qui tapote son menton en contemplant le plafond.

— Tu es en train de dire qu’il est complètement stone ? s’inquiète Prune.

Elsie grimace :

— Non. Il est juste… très détendu.

— Quand on sait à quel point il est crispé en temps normal, poursuit Charlie. Son organisme doit être en état de choc.

Charlie l’analyse, amusée, avant de se tourner vers Elsie :

— Mais sinon, à propos de ce qu’il a dit ?

— Je pense que tu devrais en reparler avec lui… quand il sera descendu de son petit nuage.

J’essaie de capter le regard d’Elsie, toujours stressée, les bras croisés, en train de calculer combien de temps Luc va rester dans cet état. J’imagine tout ce qu’il lui passe par la tête. Et si sa dégustation d’échantillon se passe mal et que tous ses clients se retrouvent dans cet état ? J’aimerais réussir à la rassurer, mais si j’ouvre la bouche, elle se mettra automatiquement sur la défensive.

— Tes biscuits sont redoutables en tout cas, constate Cece.

— Il faut juste… éviter d’en manger une trentaine d’affilée, poursuit Prune.

— Vous croyez que je dois mettre un avertissement à la dégustation ? leur demande Elsie. Stopper tout le processus ?

— Mais non, réagit aussitôt Charlie. Il suffit juste de les vendre par cinq si vraiment tu as peur que tes clients se gavent de biscuits.

À côté, Luc répond par un ronflement tandis que Prune reprend :

— Honnêtement, je doute qu’une autre personne tente l’expérience de manger autant de biscuits d’un coup.