Fyctia
Chapitre 6 - Raphaël (2/2)
Devant l’hilarité générale, Cece se lève et vise Luc avec son téléphone.
— Qu’est-ce que tu fais ? demande Charlie.
— Autre stratégie, tu mets la photo de Luc sur tes boîtes avec le slogan « Effet garanti »
— Luc va me tuer, se désespère Elsie.
Cece lui envoie tout de même la photo qui ne peut s’empêcher d’esquisser un sourire en la découvrant. Charlie, elle, caresse tendrement les cheveux de Luc avant de s’éloigner pour le laisser s’allonger sur le canapé. Lorsqu’elle me rejoint de l’autre côté du salon, elle demande :
— Au fait… Noé ne devait pas venir avec toi ?
Sa question intéresse tout le monde. J’imagine qu’elles sont beaucoup plus proches de mon petit frère. Après tout, c’est lui qui travaille dans la confiserie tout le long de l’année.
— Il profite que je prenne la relève pour se reposer.
— Et pourquoi ce n’est pas lui qui prend la relève ? maugrée Elsie.
Elle me lance un regard noir, une moue boudeuse sur les lèvres. J’ignore si sa mauvaise humeur est due à l’état de Luc ou si elle voit mon retour définitif d’un mauvais œil. Après tout, c’est elle qui a dit ne pas être intéressée. Elle n’a qu’à m’ignorer, comme elle l’a toujours fait.
— Il a toujours été question que ce soit moi qui hérite de l’entreprise. Tu le sais bien, lui rappelé-je.
J’insiste sur ce dernier point en maintenant l’échange. J’ai bien envie de lui rappeler le moment où je lui ai dit, il y a cinq ans, à notre premier rendez-vous officiel. Elsie se tenait à mon bras, les yeux rieurs. Elle était fascinée par ce que je lui racontais, et me tannait pour que je lui apprenne à faire des bonbons. Jusqu’à ce que, quelques jours plus tard, elle me dise que c’était inutile que je la recontacte. C’était froid, brutal et à l’opposé de l’image que je me faisais d’elle. Mais à mon retour en ville, la voir dans les bras d’un autre a suffi à officialiser la rupture.
— Tu n’es pas vraiment le genre de mec fiable. Tu viens, tu fais ton taf et tu te barres aussi sec.
Ses paroles glacent l’ambiance, et m’envoient des piques en plein cœur. Il n’est plus question de l’effet de ses biscuits au CBD, c’est à moi qu’elle en veut. À croire que j’ai fait quelque chose qui justifierait qu’elle m’envoie sur les roses.
— Ce n’est pas comme si on m’avait donné une occasion de rester, balancé-je à mon tour.
Elle ouvre la bouche, outrée, et reprend :
— Cette rue, ce n’est pas une opportunité qu’on accepte ! On est une famille. On s’aide les uns, les autres.
Je fronce légèrement les sourcils. Son ton… son expression. Elle en fait une affaire personnelle, à croire que je m’attaque à elle rien qu’en acceptant de reprendre la confiserie. Elle est très attachée à cette rue, pas besoin de le préciser. Si elle le pouvait, elle vivrait dans sa biscuiterie, juste pour garder ces moments de bonheur que ce bout de trottoir lui offre. Mais je ne vais certainement pas m’excuser de faire partie de l’équation.
— Va falloir t’y faire, Elsie. Dans la vie, on ne contrôle pas toujours tout.
Elle se fige et retombe lentement dans son fauteuil. Ses yeux se voilent, ses lèvres retombent et n’affichent plus aucune expression. J’ai l’impression d’avoir été trop dur, et Charlie le remarque bien puisqu’elle s’éclaircit la gorge pour attirer notre attention.
— Vous pensez que Luc va se réveiller une fois que les biscuits ne feront plus effet ?
Elsie pose un regard triste sur son meilleur ami.
— Désolée Charlie, je crois qu’il est parti pour sa nuit.
— Je ferai mieux de rentrer, déclaré-je alors.
Je ne leur donne pas l’opportunité de me retenir et traverse le salon pour récupérer mon manteau. Devant la porte, tout s’embrouille dans ma tête. J’agis de façon impulsive et je ne devrais pas donner à Elsie autant d’emprise sur moi. J’attrape mon manteau et hésite un instant. Cette soirée aurait pu être le début de nouvelles amitiés. Vadrouiller aux quatre coins de la France aide à gagner en expérience, pas à créer de relations durables. Lorsque je revenais pour aider mon père, je retrouvais bien quelques amis, mais ils ont tous leur vie, et je suis devenu presque anecdotique dans celles-ci. Après tout, les personnes que je suis censé côtoyer tous les jours sont ces filles. Et j’ai juste envie de repartir sur de bonnes bases.
— Attends Raphaël !
J’obéis à Cece qui me rattrape à l’entrée de son immeuble. Elle reprend sa respiration, une main posée sur l’encadrement de la porte et refuse de faire un pas de plus. Le sol est gelé et elle est pieds nus.
— N’en veux pas à Elsie. Cette période… ça a toujours été compliqué pour elle.
Son léger sourire disparaît sous une grimace désolée. C’est vraiment à moi de prendre des pincettes avec Elsie, l’amoureuse de Noël ?
— Si c’est trop de pression, qu’elle arrête de se donner autant de mal avec cette compétition stupide !
Cece fronce les sourcils et penche la tête sur le côté.
— Mais c’est pour elle qu’on fait ça, avoue-t-elle.
— Que vous faites quoi ?
Je n’arrive pas à lire dans son regard. Elle jette un œil derrière son épaule et puis baisse la tête, comme si elle cherchait une porte de sortie. Comme si elle en avait trop dit. D’aussi loin que je me souvienne, le marché de Noël a toujours existé, bien avant Elsie. J’ai grandi dans cette rue, mes yeux d’enfants étaient émerveillés par leurs illuminations. Qu’est-ce que l’arrivée d’Elsie a bien pu changer ?
— Elle n’aimerait pas que ce soit moi qui te parle de ça. Mais… ne sois pas trop dur avec elle. C’est tout ce que je peux te conseiller.
Elle me laisse sur ces mots et je reste là, à fixer le vide qu’elle a laissé, cherchant à comprendre ses véritables intentions derrière cette fausse confidence.
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Cassy M. PUICH
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Julie Alyès
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Emmy Jolly
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NICOLAS
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