Fyctia
Chapitre 5 - Elsie (2/2)
— Je peux goûter ? demande Prune.
Sa main sur mon épaule disperse mes pensées et je me redresse lentement en prenant soin d’éviter le regard de l’homme assis en face de moi. Pendant que Prune récupère un biscuit, je serre délicatement mes jambes l’une contre l’autre. Visiblement, une partie de mon corps meurt d’envie de reparler à Raphaël en tête à tête. Mais pour l’heure, je m’intéresse à mon amie qui mâche encore sa bouchée. Pourquoi ai-je l’impression qu’elle cherche la dixième décimale de Pi ?
— Et si tu me dis que c’est un sablé à la vanille, j’arrête tout et je me reconvertis dans l’élevage d’alpagas.
— On pourra toujours faire un business de vêtements en laine d’alpagas, s’amuse-t-elle.
Même si elle sourit, je n’arrive pas à en faire de même. Je sais bien que c’est mon premier essai, mais je n’ai pas envie de recommencer encore vingt fois mes recettes jusqu’à trouver la bonne !
— Tu es en train de dire que ça n’a aucun goût, c’est ça ?! C’est juste des sablés bidons ?
Elle écarquille les yeux et lève les mains.
— Non, c’était juste une plaisanterie, se rattrape-t-elle. Je le trouve délicieux.
— Délicieux en tant que sablé à la vanille ou en tant que sablé au CBD ?
— Personnellement, je sens une légère touche végétale. C’est subtil.
Je vérifie le biscuit qu’elle a goûté et soupire de soulagement lorsque je constate qu’il s’agit de ma première fournée. Avec un dosage plus faible que les autres. J’en récupère un autre et lui tends.
— C’est mieux avec celui-là ?
Elle croque et ses sourcils se soulèvent aussitôt. Ils dansent inlassablement, au même rythme que sa mâchoire.
— Tu te rends compte, Prune, que le suspense est insupportable ? articulé-je mécaniquement pour ne pas hurler.
Mon amie déglutit lentement avant que ses lèvres forment un joli sourire.
— C’est beaucoup mieux, avoue-t-elle. Il n’y a pas de doutes sur ce qu’il y a dedans.
— Et tu sens quelque chose de… particulier ?
— Tu te doutes bien que l’effet n’est pas instantané, intervient Raphaël. Il faut attendre que le corps digère.
Ma fierté fait une chute de dix étages. Je passe du regard rassurant de Prune au jugement critique de Raphaël. Quitte à choisir un Carpentier, je préférais passer la soirée avec Noé. Il est beaucoup plus sympa et bienveillant que son grand frère. C’est avec lui que je m’entends le mieux, car c’est lui qui travaille toute l’année dans la confiserie. Jusque-là, Raphaël s’est contenté de passer un coup de tête de temps à autre. Il ignore tout ce que cette rue représente.
Je déteste Raphaël Carpentier. Pour la simple et bonne raison que j’ai aimé Raphaël Carpentier, et que ce mec m’a brisé le cœur de la pire des façons. C’était brutal. C’était cruel et j’ai mis un an à m’en remettre. J’ai voulu avoir une explication, mais il ne me l’a jamais donnée, parce qu’il a décidé de ne plus jamais répondre à mes messages, après un vulgaire « je ne suis pas intéressé ». Il s’est brouillé avec son père et il est parti. Quand je l’ai revu après des mois d’absence, c’était comme si nous étions devenus deux inconnus.
Le coup de bonbons, c’était juste pour me séduire. Et ça a marché. On s’échangeait des regards à travers les vitrines. C’est dans le salon de Cece qu’il m’a invité à boire un café. C’est chez Charlie qu’il m’achetait des fleurs. Chez Carine qu’il a trouvé le seul cadeau de Noël qu’il ne m’ait jamais offert. Nous étions en plein marché de Noël alors tout était rassemblé pour que Raphaël me fasse une cour digne de ce nom, qui a conquis mon cœur de guimauve.
Je peux accepter le fait qu’il ait décidé de se consacrer à son travail et que je n’étais pas assez mature. J’avais vingt ans, je sortais beaucoup trop, et j’avais des amis bien plus immatures que moi. Mais ce que j’ai encore du mal à digérer, c’est l’absence totale de réponse à mes messages. Même celui où je lui demandais simplement de justifier son choix de ne pas poursuivre la relation.
— Ce n’est pas grave, lance Cece. On va bien trouver quelque chose à faire en attendant.
En bonne amie, Cece me rejoint et attrape un biscuit aux épices pour le goûter. Je pourrais me réjouir du gémissement qui s’échappe de ses lèvres, mais j’ai soudainement peur que cette dégustation soit biaisée par le fait que ce sont mes amies les cobayes. Il est évident qu’elles vont tout faire pour me rassurer et m’encourager. Je sais très bien comment elles fonctionnent. Elles sont toujours là, prêtes à gérer toute situation de crise, même si c’est à coup de chocolat chaud et de bouquet de fleurs.
— C’est vrai qu’ils sont bons.
Mon souffle se coupe. Cette voix ne vient d’aucune de mes amies. Alors, je me tourne lentement vers le seul qui ait pu prononcer ses mots… et qui déguste tranquillement un gâteau.
— Tu as dit quelque chose ou je suis sujette aux hallucinations auditives ?
Raphaël lève doucement la tête pour croiser mon regard. Les yeux écarquillés, les sourcils relevés, il reste un instant figé avant de jeter un œil aux filles.
— J’ai dit quelque chose qu’il ne fallait pas ? demande-t-il.
— Non, c’est ça qui est… étonnant, avoué-je alors.
Nouveau dilemme débloqué. Raphaël Carpentier est-il sincère ou cherche-t-il seulement à m’encourager sur une pente glissante où je vais forcément me casser la figure ? Devant mon air suspicieux, il ricane.
— Tu as entendu ça, lance Cece à Charlie. Il a dit que c’était bon.
— Et sans sourciller en plus de ça, poursuit la fleuriste. Peut-être qu’Elsie va arrêter de douter de nous après ça.
Raphaël esquisse un sourire et croque une deuxième fois dans son cookie, sans me lâcher du regard. Mon cœur tambourine dans ma poitrine. Je suis beaucoup trop proche de lui. Et je n’aime pas du tout ce regard qu’il me lance.
— Tu fais de l’espionnage industriel pour Carine, c’est ça ?
Il hausse un sourcil, amusé. Par chance, la sonnerie retentit, m’offrant une porte de sortie inopinée. Je devance notre hôtesse pour la soirée et sautille pour ouvrir à mon meilleur ami. Avachi contre l’encadrement de la porte, Luc m’offre un étrange sourire et un plateau…
Vide.
— Tu as perdu les biscuits sur le chemin ? Tu avais peur de ne pas retrouver ta route ?
Mon coéquipier baisse les yeux et je peux voir ses sourcils se redresser lentement devant la surprise.
— J’étais légèrement stressé, souffle-t-il.
— Me dis pas que tu les as tous… mangés ?
Il penche la tête sur le côté et il se met à sourire, avec une lenteur exagérée. Comme si chaque mouvement de son visage lui demandait un effort surhumain.
— La bonne nouvelle… c’est que je suis plus stressé, déclare-t-il.
Je soupire en me prenant la tête entre les mains.
— L’autre bonne nouvelle, c’est que tes biscuits semblent faire effet, lance Raphaël derrière moi.
Je sursaute et me retourne brusquement pour m’assurer que personne d’autre n’est témoin de la scène. J’ai envie de lui faire ravaler son sourire moqueur, mais là, je dois surtout trouver un plan d’attaque. Je n’ai pas besoin que la rumeur selon laquelle mes biscuits font vraiment planer se propage.
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Ama Ves
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