Fyctia
Chapitre 5 - Elsie (1/2)
Ils sont chauds. Ils sentent bon. Ils donnent particulièrement envie de croquer dedans.
Et pourtant, j’en suis incapable.
Mon instinct maternel ? Après tout, ce sont mes petits bébés. Ma peur d’être déçue ? De me rendre compte que j’ai complètement merdé ?
Ou tout simplement la fatigue. J’ai passé tout l’après-midi à pâtisser pour sortir une vingtaine de biscuits. J’ai fait tous les tests. J’ai varié les huiles ainsi que les dosages. J’ai même sorti des cookies aux pépites de chocolat. Venant directement de Léon, le chocolatier qui a déjà fait ses preuves avec ses produits au CBD. Ma carte Joker si les clients doutent de moi.
Pour plus d’impartialité, j’ai décidé de ramener mes nouvelles créations à la soirée de Cece. Parce que Prune est incapable de mentir, Charlie s’en voudrait trop si elle me laissait vendre des biscuits infâmes et Cece sait que je peux tout entendre.
À chaque fin de mois, nous nous réunissons pour passer un moment loin du stress de la rue. Une fois chez l’une, et puis chez l’autre. Ce soir, c’est la reine des cocktails qui reçoit et je salive d’avance en pensant à ses margaritas. Pourtant, lorsque je dépose mes précieuses créations sur la table basse, je ne découvre que des bouteilles en plastique.
— De l'eau ?
Cece analyse un instant l’assortiment de boissons qu’elle a préparé et hausse les épaules.
— Quoi ? réagit-elle. Tu as dit que tu voulais nous faire goûter tes biscuits, je me suis dit que boire de l’alcool en même temps allait forcément fausser le résultat.
J’ouvre la bouche, prête à protester, mais ne peux que la refermer lentement. Faute de répartie. Je me suis fait prendre au piège de l’amitié.
— Ta dévotion me touche au plus haut point, lui déclaré-je, presque attendrie.
— Je n’y peux rien. J’essaie juste d’être à ta hauteur.
Son sourire me fait tiquer. Même si cette fille m’adore et que je lui ai sauvé la mise à de nombreuses reprises, elle n’est pas avare de ce type de compliments.
— Ôte-moi d’un doute. Tu es en train de me vénérer de façon purement innocente parce que je suis un être exceptionnel… ou tu me passes délicatement une pommade anesthésiante parce que tu as un truc douloureux à me dire ?
Elle grimace.
— J’ai peut-être invité une personne supplémentaire à cette soirée, avoue-t-elle difficilement.
Et parce que le timing est parfait, la porte d’entrée s’ouvre sur Charlie en pleine discussion avec…
— Raphaël Carpentier, marmonné-je tout en gardant le sourire.
Enfin, le sourire, c’est vite dit. Une grimace crispée serait plus appropriée. Et avant que je ne puisse lui faire avaler une dizaine de biscuits de force, Cece attrape mon poing serré et me ramène jusqu’à la cuisine.
— Tu vas pouvoir ravaler ta rancœur une heure ou deux ? me demande-t-elle.
Je la fixe, de mon regard le plus noir possible.
— Trente minutes ? tente-t-elle.
Je lève les yeux au ciel et croise les bras.
— Deux minutes ?
Un soupir long et régulier souffle sa frange droite.
— Sérieusement ? Dix secondes ?
— Je veux bien faire cet effort pour toi, abdiqué-je sérieusement.
Ses lèvres s’étirent et elle m’attrape par les épaules pour me faire pivoter. Je croise aussitôt le regard de celui qui avance d’un pas sûr dans le salon. J’ai bien peur que les dix secondes se soient écoulées trop rapidement. Je pourrais partir, claquer la porte telle une diva… Mais j’ai besoin de cette soirée pour me rassurer avant la grande dégustation. J’espère juste que parmi toutes mes créations, il y en a une qui donne une envie de vomir fulgurante. Et que Raphaël sera le seul à la goûter.
— Elsie, tu t’es encore surpassée, annonce Charlie en contemplant mes bébés. Ils sont magnifiques.
— C’est… des biscuits, commente Raphaël.
J’échange un regard avec Cece et traverse la pièce pour les rejoindre dans le salon. Je m’installe sur un pouf devant les deux arrivants qui squattent déjà le canapé. Cece reste derrière l’héritier des Carpentier pour me donner des conseils sous forme de grimaces diverses et variées. Cette fille n’a jamais été douée pour le mime.
— Tu veux que je t’emmène aux urgences ?
Elle me fait les gros yeux et s’accroche au dossier du canapé. Au même instant, la porte d’entrée s’ouvre sur Prune qui ne s’enquiert aucunement des formules d’usages et court pour s’affaler à côté de moi.
— Dites-moi que vous n’avez pas commencé à planer sans moi, déclare-t-elle, essoufflée.
— Mais personne ne va planer ! corrigé-je. Le CBD a les effets apaisants, mais pas les psychotropes. C’est pour ça que c’est légal.
Le sourire de Prune se transforme en une moue boudeuse.
— Il y en a à la vanille, aux épices et aux pépites de chocolat, lui expliqué-je. Tu pourrais au moins goûter avant de faire la tête.
— Luc n’est pas là ? s’intéresse Charlie en prenant un cookie aux pépites de chocolat.
— Il ramène la dernière fournée.
En parfaite meilleure amie, j’omets de préciser le fait qu’il stresse complètement. Ce matin, Luc s’est réveillé avec l’envie de parler de ses sentiments à Charlie. Il veut l’inviter à boire un verre en tête à tête. Apparemment : « sans une chieuse et ses sous-entendus stupides ». Et je connais Luc, il doit agir vite !
Charlie est la première à croquer dans un biscuit, et je garde les yeux rivés sur elle, à guetter le moindre effet. Ça me permet aussi d’éviter le regard pénétrant de Raphaël. Je sais qu’il me fixe, mais la seule chose qui m’intéresse, ce sont les changements sur le visage de mon amie. Elle mâche inlassablement et son regard se perd vers les autres invités. C’est mauvais signe.
— C’est pas bon, c’est ça ?
Elle avale difficilement et observe le biscuit qu’elle tient entre ses mains.
— C’est… un cookie classique, non ?
Je me laisse tomber en avant jusqu’à ce que mon front tape contre la table basse. La boule de stress réapparaît au creux de mon ventre.
— Je vais faire un flop, marmonné-je. Mes clients vont m’accuser de vendre des biscuits classiques hors de prix ! Ma biscuiterie va devenir une boutique de donuts avec des bonbons industriels sur le glaçage.
Un des invités claque la langue contre son palais, visiblement indigné par mes propos. Et je sais pertinemment de qui il s’agit. Il ne faut pas évoquer les confiseries de grandes surfaces à Raphaël, au risque d’être brûlé vif. Ce type ne vit que pour le sucre cuit.
Lorsque nous nous sommes rencontrés, je dégustais des bonbons cerises. J’avais à peine tiré sur la première qu’il a récupéré le reste pour le jeter. J’en étais offusquée. Je lui ai demandé pour qui il se prenait… et il m’a dit qu’il allait me montrer ce que c’était que des vrais bonbons.
Je revois la scène comme si c’était hier. Lui, penché sur le marbre, ses mains étirant le sucre cuit. Je me souviens de ses bras nus, de ses muscles contractés lorsqu’il soulevait la masse pour la replier d’un geste sec. En y repensant, ma bouche s’assèche.
Raphaël a toujours été doué de ses mains… De ses doigts qui restaient marqués par le sucre… et rendaient nos moments intimes particulièrement délicieux.
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Mononst
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Emmy Jolly
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Lunedelivre
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Ama Ves
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NICOLAS
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Il y a un mois