Fyctia
Chapitre 3 - Raphaël (2/2)
Je pourrais être attendrie par sa générosité, mais je ne vais pas me laisser berner par son sourire innocent.
— Tu sais qu’il s’agit de bonbons industriels ? Et que tu viens d’entrer dans une confiserie ?
Elle hausse les sourcils, peu convaincue, et fourre la sucrerie dans sa bouche. Si y a bien une chose pire que le sucre, c’est la quantité astronomique de produits chimiques rassemblés dans un si petit truc.
— Et alors ? lance-t-elle.
— Et alors ? Je fabrique des bonbons, et ils sont cent fois meilleurs que ces poisons que tu tiens dans la main.
Elle écarquille les yeux et en oublie de mâcher.
— Tu fabriques des bonbons ?
— Tu croyais que je faisais quoi ? Que j’achetai des bonbons en magasin et que j’ouvrais les paquets pour les revendre à l’unité ?
Son haussement d’épaules répond pour elle. Dans un silence pesant, elle se met à faire le tour de la boutique pour inspecter chaque bonbonnière. Hugo, lui, s’amuse en contemplant le regard sérieux de sa gamine.
C’est ce qui arrive lorsqu’on reste en contact avec son meilleur ami de lycée. Un jour, on rencontre un mec qui tente une descente des escaliers du lycée en skateboard, et le lendemain, on dédicace son plâtre. Et puis… 10 ans plus tard, on le retrouve paralysé avec une minuscule crevette de 49 centimètres dans les bras. J’ai tout partagé avec lui, de mes plans de drague foireux à nos secrets de fabrication. Nous avons fait les quatre cents coups ensemble, et Hugo était toujours partant pour me suivre, où que j’aille. Alors, lorsque j’ai commencé à bosser dans la confiserie, il squattait les cuisines pour me regarder faire. Dès que mon père avait le dos tourné, il en profitait pour mettre la main à la pâte. Et c’est parce qu’il était aussi passionné que moi que j’ai entrepris de lui apprendre le métier.
Nous avions envie de travailler ensemble, dans cette confiserie. Alors, j’ai proposé à mon père de l’embaucher. Il n’a jamais accepté.
« Seul un Carpentier peut travailler dans la confiserie Carpentier »
Honnêtement, je préfère mille fois travailler avec Hugo plutôt qu’avec mon frère. Et je pense même que Noé préférerait être remplacé par mon meilleur ami.
— Alors… comment se passe la relève ?
— C’est bizarre, avoué-je. J’ai l’impression d’être le petit nouveau, même si… tout le monde me connaît.
— Je trouve ça cool. C’est comme une nouvelle vie qui commence.
— Le divorce, c’était une nouvelle vie qui commençait. Pourtant, tu n’as pas trouvé ça cool.
Un fin sourire naît sur ses lèvres. Il s’en amuse malgré lui. Il a eu le temps de se faire à sa vie de célibataire, un an après sa rupture avec la mère de Zoé. Andréa était la femme de sa vie. Elle a demandé le divorce pour lui donner un électrochoc, il a accepté parce qu’il pensait qu’elle méritait mieux. Zoé espère encore voir ses parents réunis et je pense, qu’au fond, eux aussi.
— N’essaie pas de détourner le sujet. C’est de toi qu’il s’agit. Toi et la charmante blondinette qui vend des biscuits, juste en face.
Sa remarque me touche en plein cœur. Il faut dire que Hugo a toujours été plus doué à ce jeu.
— Juste en face, c’est Charlie. Elle est rousse.
— Ne joue pas avec les mots, tu sais bien de qui je parle. Tu veux que j’épelle son prénom pour être sûr ?
— Ça va aller.
— Ça va aller, je n’ai pas besoin de dire son prénom ou ça va aller, je peux vivre en face d’elle ? s'amuse-t-il.
J’ignore sa question et préfère rejoindre Zoé pour lui faire goûter un vrai bonbon. À travers la vitre, j’aperçois la biscuiterie d’Elsie. Je l’imagine dans sa cuisine, les mains pétrissant la pâte tandis que ses dents mordent le bout de sa langue. Son tic lorsqu’elle est concentrée.
Elsie Beaumont est une des raisons pour laquelle j’étais ravi de bosser loin d’ici. Et ce, même si elle a été ma principale motivation pour rester ici, il y a cinq ans. C’est pour être sûr de vivre auprès d’elle que j’ai poussé mon père à prendre sa retraite. D’ici, j’avais une vue directe sur elle.
La voir tous les jours était un bonheur lorsque l’on s’entendait bien. Mais c’est devenu invivable dès l’instant où les choses ont dérapé entre nous et que son regard sur moi a changé. J’ignore encore ce qu’il s’est passé. J’ignore encore si j’ai envie d’améliorer les choses entre nous.
— Raphaël ! Je te cherchais !
La porte d’entrée claque et me sort de mes pensées tandis que Carine se hâte pour me retrouver. Elle enroule son écharpe autour de son cou et sort de son sac un carnet. Elle le tourne dans tous les sens avant de me le tendre.
— J’ai besoin de ta signature. Je lance une pétition !
— Encore ? À cause des vélos qui circulent sur la rue piétonne ? Vous savez qu’on ne peut rien faire pour eux.
— Rien à voir, je veux empêcher Elsie de faire de cette rue, une rue du deal !
— Une quoi ? intervient Hugo.
Il nous rejoint et se penche vers la feuille vierge. Enfin, presque. Carine est la seule à avoir signé, sous un énorme slogan « Non aux biscuits à la drogue ».
— Le CBD, c’est légal, lui rappelé-je. Elsie ne va pas se lancer dans un trafic.
— Qu’est-ce que tu en sais ? Qui ne te dit pas que, bientôt, des dealers viendront boire le thé chez Cece ?
— Vous partez un peu dans les extrêmes, non ?
Carine Bernard est la grand-mère de cette rue. Et comme toute grand-mère, elle campe sur ses positions, convaincue d’avoir raison. Ce n’est pas sa moue bougonne qui me convainc de signer son bout de papier. Juste l’envie de faire rager Elsie.
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Lunedelivre
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Scriptosunny
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