Fyctia
Chapitre 2 - Elsie (2/2)
J’essaie de feindre un sourire intéressé, mais je sens que celui-ci n’est qu’une grimace gênée.
— Je vais devoir copier des mots si je dis que je n’ai pas écouté ?
Par chance, Michel sourit et répète :
— Pour la compétition de Noël de cette année, j’aimerais que vous mettiez en avant des produits innovants… pour changer.
Les bras m’en tombent. Ma moue disparaît et mes lèvres deviennent lourdes, incapable d’émettre la moindre émotion positive. À l’opposé de mes comparses qui semblent intéressés par l’idée.
— Changer quoi ? Les traditions de Noël, c’est… indémodable, tenté-je d’argumenter. Pourquoi vouloir tout révolutionner ?
Carine toussote pour intervenir :
— Il faut tout de même avouer que ce que vous faites… c’est assez… classique.
Elle grimace sur ce mot, comme si c’était une insulte. Et je le prends comme une claque en pleine figure. Elle sourit, sans aucune bienveillance, plutôt une once de moquerie. Je tiens une biscuiterie. Alors je fais des biscuits et au contraire, j’estime que je cherche à faire dans l’originalité.
— J’ai déjà révolutionné la Saint-Valentin, lui rappelé-je.
— Tu ne vas pas vendre des biscuits « mords-moi » ou « lèche-moi » pour les fêtes, se moque-t-elle.
— Et pourquoi pas ? Ils pourraient même être distribués par un père Noël strip-teaseur s’il le faut !
Plus loin, une mamie éclate de rire :
— Moi je ne dis pas non.
La vision qui apparaît dans un coin de ma tête n’est absolument pas désagréable. J’échange un regard complice avec Germaine tandis que Carine lève les yeux au ciel. Je n’en reviens pas de devoir défendre mes idées pour une stupide compétition entre boutiques. Je tiens une biscuiterie, par conséquent, je fais des biscuits. Et à Noël, c’est un fait, mes clients raffolent de mes biscuits de Noël. J’en ai toujours fait, ça a toujours fonctionné. Pourquoi vouloir absolument changer la recette ?
— Est-ce qu’il y a un problème ? demandé-je au Big Boss. Les chiffres ne sont pas bons ?
Je sais que ma rivale tiquera si je parle de chiffre. L’année dernière, seulement dix euros nous séparait. Chaque année, mon chiffre d’affaires ne fait qu’augmenter alors que le sien diminue. C’est peut-être elle qui devrait se réinventer.
— J’ai envie de nouveauté, avoue Michel. Du punch ! Du piment !
— Vous voulez que je fasse des biscuits au piment ?
J’ai l’air désespérée et peut-être que je le suis. Je peux lui faire des biscuits à toutes les sauces, de toutes les formes s’il pense que ça boostera les ventes.
— Tu ne vas pas nous dire que tu es incapable de faire autre chose que des biscuits à la cannelle ? intervient Raphaël de sa voix rauque.
J'essaie d'ignorer le frisson que ce timbre procure malgré moi sur chaque parcelle de ma peau. Heureusement, le sang qui bous à l'intérieur de moi parvient à rétablir l'équilibre. Je tente de trouver de l’aide auprès de mes amies, mais toutes détournent le regard, incapable de pondre une répartie convaincante. Luc, à côté, ne décroche pas les yeux de son téléphone. Je sais faire des biscuits autres qu’à la cannelle, merde ! Je sais me réinventer et proposer de nouvelles idées !
— Et tu vas fabriquer quoi, toi ? lancé-je à Raphaël. Des bonbons au sucre ? Comme tous les jours ?
— On ne va pas mettre la pression à Raphaël pour sa première année, s’amuse Carine.
Ben tiens ! Il vaudrait mieux éviter de trop en demander au fils prodigue des Carpentier qui, dès qu’il s’agit de s’engager, détalle comme un lapin. J’écrase le pied de mon meilleur ami pour qu’il m’accorde un peu d’attention. Sous la douleur, il en oublie de faire sauter son personnage qui meurt une nouvelle fois. Aussitôt, une publicité s’affiche sur l’écran.
Et ça me donne une idée.
— Je vais faire des biscuits au CBD.
— Au CBD ? demande Cece. Tu es sûre ?
Absolument pas.
Tout s’emballe dans mon esprit et j’essaie de rassembler des arguments convaincants. Ils sont tous là, à attendre que je leur en dise plus sur ma lueur de génie. Par chance, Luc clique sur la publicité et tourne son téléphone vers moi.
— Bien sûr ! Le marché du CBD est en plein essor, annoncé-je. C’est légal et ça attire autant les jeunes en quête de fun que les personnes qui veulent se détendre.
À bien y réfléchir, cette idée n’est pas si stupide que ça. Les produits à base de CBD se vendent comme des petits pains.
— Pas besoin de se compliquer la vie avec une huile, poursuis-je. T’as juste à croquer un biscuit. Si vous voulez, je peux faire un premier test pour voir si les clients adhèrent.
La moustache de Michel frétille lorsque ses lèvres s’étirent en un grand sourire.
— Je trouve l’idée très intéressante.
— C’est quoi du CBD ? demande Carine.
— C’est un composé extrait du chanvre, explique Cece.
— Le chanvre ? Le cannabis ? s’insurge-t-elle. Michel ! Nous n’allons tout de même pas nous lancer dans la drogue !
Est-ce qu’elle panique pour la réputation de la ville ou parce qu’elle sent la victoire lui échapper lentement ?
Je laisse Michel répondre :
— Ce n’est pas de la drogue, c’est là toute la subtilité. Et Elsie a raison, c’est vraiment une très bonne idée. Quand Léon a sorti ses tablettes de chocolat au CBD, il a triplé ses ventes dès le premier mois.
Des euros scintillent dans les yeux du Big Boss. Carine, elle, me fusille du regard.
— Tu as attisé ma curiosité, Elsie ! lance Michel. J’ai hâte de goûter à tes biscuits.
Et de récolter mon pourcentage sur les ventes.
En bon prof devant ses élèves, Michel s’intéresse aux idées de mes voisins de boutiques. Et alors que Charlie lui explique son envie de créer des ateliers créatifs autour des couronnes de fleurs, je me reçois une lettre « E » en pleine tête. Derrière, Robert me fait signe de le rejoindre. Mon amie ayant capté toute l’attention de la table, je quitte ma place furtivement pour rendre la pièce à son propriétaire.
— La réunion n’est pas finie, vous le savez, lui murmuré-je.
Robert récupère son jeton et plonge sa main dans le sac. Je comprends à son pincement de langue qu’il essaie de deviner les lettres au simple toucher.
— Je trouve ton idée de biscuits géniale ! Faudra que tu me fasses goûter ! ordonne-t-il gentiment.
— Promis.
Il sort 3 pièces et ne cache pas sa fierté devant le regard épuisé de son adversaire.
— Si t’as besoin, je peux te fournir. J’ai plein de cannabis dans ma chambre.
Je souris machinalement avant de comprendre qu’il ne plaisante absolument pas.
— Vous avez du… cannabis ?
— Cannabis médical, avoue-t-il avec un clignement d’œil. Mais si tu veux, je peux t’en filer discrètement.
— C’est illégal, ça, Robert.
— Vous, les jeunes, vous manquez de fun !
Génial, je me fais remonter les bretelles par un grand-père de soixante-dix ans parce que je refuse de vendre de vrais space-biscuits.
— Si tu changes d’avis, tu sais où me trouver !
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Sarael
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Anna C
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Julie Alyès
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Scriptosunny
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Julie Alyès
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Cassy M. PUICH
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Justine_De_Beaussier
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Emmy Jolly
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