Fyctia

J'attends ma valise avec impatience devant le tapis roulant, et je serais prête à mordre si quelqu'un se met en travers de mon chemin. Je voulais commencer ma vie à Chicago dans les meilleures conditions, mais l'univers n'est clairement pas du même avis : mon vol avait été un désastre.

Je m'étais ruiné pour avoir une place du côté du hublot, mais il a fallu que je me batte avec un instagrameur dont la place n'était, selon lui, pas assez "esthétique". Le reste du vol n'a pas été mieux. Entre les hurlements terribles du bébé deux rangs devant moi, et les ronflements de mon voisin qui raisonnaient dans tout l'avion; je n'ai qu'une hâte, sortir de cet enfer volant.

Bien évidemment, je suis encore d'une humeur massacrante et j'espère qu'une fois sorti de l'aéroport, l'air pollué de Chicago ramènera en moi ce petit côté aventurier qui s'était estompé. À peine ai-je aperçu ma valise verte que je l'empoigne déjà et me précipite dehors comme si j'étais poursuivie par une horde de zombies. Il faut absolument que je m'échappe avant que la poisse ne me rattrape.

Je saute dans le premier taxi qui se présente à moi et lui donne l'adresse de mon frère, ou plutôt, j'épelle avec difficulté à cause de ma respiration saccader par ma course ma nouvelle adresse. C'est tout de suite moins classe dit comme ça...

La voiture démarre et parcourt la rue à toute vitesse. Paradise de Coldplay passe à la radio et je ne peux m'empêcher de faire comme si j'étais une de ces héroïnes de film en collant ma tête à la fenêtre. Il fait trop froid pour l'ouvrir, alors je me contente d'écraser mon nez disgracieusement contre celle-ci, avec la bouche en "o" et les yeux écarquillés devant les immenses tours. Je peux entendre le conducteur ricaner au-dessus de la chanson et lui sert mon regard le plus noir. Il peut toujours se gratter pour avoir un pourboire celui-là !

Quand il s'arrête enfin, je suis de nouveau excitée de commencer une nouvelle vie dans cette merveilleuse ville. Je souris comme une idiote, même quand il me précise le prix de la course. Je ne me rappelais pas que l'héroïne devait vendre son rein pour payer son taxi. Je sors les quelques billets que m'ont donné mes parents avant de partir. Au revoir fortune, ce fut un plaisir de ne plus être pauvre le temps d'un abominable trajet en classe éco.

À peine descendu du taxi qu'il s'en va aussi vite qu'il est arrivé. Je me retrouve avec ma grosse valise verte devant un immeuble en brique rouge, et qui est d'une taille bien plus réduite que les grattes ciels que j'ai vu il y a quelques minutes. Je regarde la liste de noms sur l'interphone jusqu'à tomber sur celui de mon frère. Ma chance semble être revenue, je m'attendais à attendre pendant des heures, gelée dans le froid de cette fin de janvier, mais dès que j'ai appuyé sur le bouton, que déjà une voix robotique grésille avant que la porte ne s'ouvre.

Je prends l’ascenseur jusqu'au troisième étage sans m'attarder sur l'entrée. J'ai juste envie de voir mon nouvel appartement, et surtout, je me prépare à vivre avec un frère qui est pour moi comme un inconnu, tant ça fait longtemps que je ne l'ai pas vu.

L'ascenseur ouvre ses portes sur le troisième étage et je reconnais mon frère qui m'attend dans le couloir. Il a bien changé, mais je pourrais le reconnaître au milieu d'une foule. Il est le portrait craché de notre père, en plus jeune bien évidemment. On se regarde l'un l'autre droit dans les yeux.

On est censé dire quoi dans ce genre de situation ?

Je n'en sais rien et apparemment lui non plus, mais comme on dit un geste vaut parfois mieux que mille mots ! En tout cas, c'est ce que doit penser mon frère lorsqu'il me prend dans ses bras dans une étreinte chaleureuse.

-Ça fait si longtemps Hanae, tu as tellement grandi !

Je fais toujours la même taille que lorsqu'il est parti il y a six ans, mais je ne tiens pas à être désagréable dès le premier jour. Il a tout le temps pour découvrir que je ne suis plus la petite fille qu'il a laissé derrière lui sans un regard.

Edwin finit par s'écarter un instant pour détailler mon visage et j'en fais de même. Il est légèrement plus grand que moi, mais est si maigre que j'ai eu peur de le casser si je le serrais trop fort. Sa barbe est mal rasée, ses cernes sont assez profonds pour pouvoir enterrer un cadavre, et ses yeux sont d'un bleu semblable aux miens. En soi, je dirais qu'il ressemble à un clochard qui n'a pas trouvé un banc confortable depuis des semaines.

-Aller, viens ! Je t'emmène dans ta nouvelle maison, dit-il en me prenant ma valise des mains sans que je n'aie le temps de protester, je t'ai même aménagé ta propre chambre, dit il en parcourant le couloir, j'ai aussi été faire des courses avant que tu n'arrives, tu aimes toujours autant le beurre de cacahouète pas vrai ?

-Je suis allergique aux arachides depuis mes trois ans.

-Bien sûr, je le savais ! Recommence-t-il avant d'ouvrir une porte et de s'engouffrer à l'intérieur.

Il ne le savait pas. Il n'avait jamais réellement cherché à le savoir...

-Bienvenue chez toi ! reprend-il avec un immense sourire et les bras écartés.

Je m'avance dans l'entrée où sont déposées toutes les chaussures d'Edwin et qui donne sur le salon ou trône fièrement un canapé d'angle. Mon frère me fait une rapide visite. En face du salon, se tient la cuisine ouverte avec son comptoir et ses deux chaises hautes. En longeant la petite cuisine, il me présente la première porte derrière laquelle se cache une salle d'eau minimaliste mais fonctionnelle. Il m'indique que la pièce d'à côté est sa chambre avant d'enfin me présenter la mienne. La décoration de tout l'appartement est à l'image de ma chambre qu'il semble si fier de me montrer : inexistante. J'ai l'impression d'être rentrée dans un catalogue IKEA !

Je le remercie et m'affale sur le lit deux places alors qu'il me laisse enfin seule pour déballer mes affaires.

La douceur des draps me tend les bras et je suis prise d'une flemme monstrueuse. J'éventre ma valise attrapant une serviette et mon pyjama le plus confortable, avant de me rendre à la salle de bain. Après m'être battue avec le pommeau de douche, je ressors de la salle de bain encore plus exténuée que je ne l'étais avant d'y entrer. J'explique à Edwin, qui fait à manger, que je suis trop fatiguée et qu'il n'a pas besoin de me réveiller pour manger. Sans plus de cérémonie, je m'échoue tel une larve sur le matelas, alias, sûrement la meilleure chose qui me soit arrivée depuis que je suis montée dans cet avion.

Et pendant un cours instant, je ne pense plus à rien, m'endormant un sourire de béatitude sur les lèvres. Si à cet instant, j'avais su dans quoi j'allais m'embarquer, j'aurais sûrement déjà pris mon billet retour.