Alixia Egnam Heaven Chapitre 10 - Partie 1

Chapitre 10 - Partie 1

Ian


Glasgow, Écosse


Deux jours. Ça ne fait que deux jours que je suis à Glasgow et j’en ai déjà ras le casque. Ce type a une vie des plus ennuyeuses et j’ai même dû vérifier par trois fois que je ne m’étais pas trompé de cible. Non, c’est bien ce grand gaillard, sapé comme un lord et vivant plusieurs mois par an dans une jolie maison en briques rouges à la périphérie de la ville que les services secrets ont dans le viseur. Le reste de l’année, il se retranche à Aberdeen, ville cossue en bord de mer au nord du pays, d’où il gère ses affaires sans sortir de sa propriété.


Si j’en crois le rapport posé sur mes genoux, il se servirait de sa société de transport pour faire entrer illégalement des armes et des marchandises peu reluisantes. Mais le type est malin : hormis une ou deux mises en examen pour délit d’initié qui n’ont jamais abouti, il n’y a strictement rien contre Logan Ferguson. Rien. Nada. Pourtant, son nom est connu des services de police de toute l’Europe. Il a la réputation d’être celui qu’on contacte lorsqu’on veut un travail rapide et soigné. Dans les années 1990, il était même lié à des affaires de meurtres dans les pays de l’Est. Et sans que l’on sache ni pourquoi ni comment, il s’est calmé et s’est fait beaucoup plus discret. Interpol était sur le point de le coffrer, mais il a disparu des radars pendant quelques années, juste assez pour bénéficier du temps de prescription. Puis son nom a commencé à circuler à nouveau. D’abord dans les réseaux mafieux, puis sur le dark net. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que depuis, il sait passer entre les mailles du filet.


Aussi, me voilà, posté devant une église du centre de Glasgow, à attendre que Monsieur daigne se montrer. Il est entré dans le bâtiment voilà quinze minutes, et n’en est toujours pas ressorti. À ses côtés, deux de ses hommes, dont Liam Stonewell, connu sous le sobriquet de Stone et fiché pour narcotrafic. Cet homme était l’un des contacts privilégiés avec un gang de Boston. Des Irlandais, paraît-il. Un palmarès impressionnant, mais une seule condamnation. Pour conduite en état d’ivresse, la blague !


Attablé à un café, en face de l’église, je trie les photos que j’ai étalées. Ce sont les clichés pris la semaine passée : le Loch, le soleil couchant, la silhouette fantomatique de Urquhart Castle au loin… et au milieu des prises de vues de paysages, un sourire. Deux grands yeux bleus à tomber et des cheveux blonds striés de rose.


Heaven.


Avec nostalgie, je me souviens de l’instant où j’ai pris cette photo. Nous venions de sortir de la maison, laissant Lorna accabler le pauvre touriste d’informations sur les environs. Elle m’a posé des questions sur mon métier, sur ce que j’aimais photographier. Et sans réfléchir, j’ai saisi ma chance.


Elle n’a pas protesté ni ronchonné. Elle s’est presque prêtée au jeu. Presque, parce qu’elle n’a pas cherché à minauder ou à se montrer sous son meilleur profil. Non, elle m’a fixé et a attendu que j’aie terminé. Elle a même levé les yeux au ciel, me lançant un « t’as bientôt fini ? », qui m’a fait rire. Je ne sais pas pourquoi j’ai pris cette photo. Ni même pourquoi je l’ai développée. Cette fille a tout juste vingt-deux ans et n’est clairement pas pour moi. Et si je ne suis pas foutu de garder une nana comme Mina, qui me connaît depuis toujours, comment est-ce que je peux même imaginer pouvoir retenir l’attention d’une gamine qui doit avoir le monde et les hommes à ses pieds ?


Bordel, est-ce que j’ai vraiment pensé ça ? Est-ce que je m’imagine pour de vrai que quoi que ce soit puisse être possible entre Heaven et moi ? D’une, je ne la reverrai jamais. Et de deux, j’ai dix piges de plus : tout ce que cette fille devrait m’inspirer, c’est une envie de la protéger, rien de plus. Car lorsqu’elle s’est mise à pleurer dans la petite cuisine de Lorna, ce n’était pas simplement parce que j’ai eu le malheur de la traiter de gamine. Non, elle a laissé libre cours à des larmes salvatrices, de celles que l’on verse lorsque l’on est sur le point de tout perdre. Je le sais, parce que j’ai versé les mêmes un nombre incalculable de fois. Pour les horreurs que j’ai vues à travers le monde. Pour mon ancien job que je ne supportais plus, mais que j’avais trop peur de quitter. Pour Mina. Oui, mais voilà… Cette fille éveille en moi quelque chose de différent, sur lequel je suis bien incapable de mettre des mots. Incapable… ou trop peureux ?


Perdu dans la contemplation de la photo, j’en oublie le rapport du MI5 posé sur mes genoux, à l’abri des yeux indiscrets. Par chance, un mouvement dans ma vision périphérique me fait lever la tête : Ferguson et ses acolytes sortent de l’église et se dirigent vers le SUV noir garé en bord de trottoir. À la hâte, je rassemble mes photos et avale mon café froid, avant d’abandonner un billet sur la table. Sans avoir l’air de me presser, je fourre mes affaires dans ma sacoche et me lève, téléphone en main. Simulant l’envoi d’un message, je rejoins ma Passat. Le plus dur reste à faire : suivre Ferguson sans me faire repérer. Pour cela, je change quotidiennement de voiture de location, afin de ne pas attirer l’attention. Je varie aussi les modèles : hier, une familiale, aujourd’hui une berline plus haut de gamme… Le but étant de me fondre dans le flot des automobiles de la ville, sans avoir l’air de coller au train de ma cible. C’est une méthode qui a fait ses preuves.


Mon bonnet en laine enfoncé sur mes oreilles, ma chemise à carreaux, mon jean délavé et ma doudoune ocre, je ne me distingue en rien des badauds se pressant devant les vitrines des magasins, décorées aux couleurs du prochain évènement commercial. J’accélère le pas, tant pour rejoindre ma voiture assez vite que pour éviter de poser les yeux sur les panneaux et les angelots criards collés sur chaque vitrine.


La Saint-Valentin…


Je préfère ne pas y penser. Me dire que, dans quatre jours, je vais devoir, non seulement sourire et prétendre que tout va bien, mais en plus assister à l’engagement le plus important dans la vie de mon meilleur ami, tout en ayant envie de me pendre à chaque fois que je vais poser les yeux sur sa frangine.


Super programme.

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2 commentaires

francoise drely

-

Il y a 3 mois

😊❤️

JULIA S. GRANT

-

Il y a 3 mois

Oh Heaven…. Il l’aime déjà 😃😋🤩
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