Fyctia
Chapitre 9 - Partie 1
Heaven
Edimbourg
Lorsque je pose un pied dans mon atelier, mon nez se fronce en reconnaissant les effluves caractéristiques d’une cigarette que l’on vient d’écraser. Avant que je ne repère le type, une grande main vient s’abattre sur mon épaule pour me tirer en arrière, tandis qu’un bras s’enroule autour de mon cou et qu’une voix éraillée, me chuchote :
— Et là, qu’est-ce que tu vas faire, gamine ?
Mon assaillant resserre un peu plus sa prise sur ma gorge, cherchant sans doute à me faire paniquer. Aussitôt, mes réflexes se mettent en branle : je fais donc pivoter mon corps sur la droite, dans une manœuvre qui permet de libérer un peu mes voies respiratoires avant de balancer mon poing vers l’arrière, espérant atteindre son visage. Et quand je me baisse en ployant mon genou droit, le poids de mon adversaire bascule vers l’avant et l’emporte par-dessus mon épaule. L’homme retombe lourdement sur le sol, avec un grand éclat de rire :
— Pas mal, pour un poids plume.
Le souffle court, le cœur battant à tout rompre, j’ai tout sauf envie de rire en toisant le bras droit de mon père allongé sur le sol.
— Mince, Trip ! T’es pas bien ! J’ai eu peur !
Colin apparaît à mes côtés et tend une main à celui que nous avons toujours considéré comme notre oncle pour l’aider à se relever.
— J’espère bien que t’as peur, se marre Trip. T’es loin de la maison, et il peut t’arriver n’importe quoi, argue le grand barbu.
Il semble tout de même fier de mes réflexes :
— Quoi qu’il en soit… bien joué. T’as retenu les leçons. C’est bien.
Oui… Parce que, quand les autres gamines jouaient à la poupée avec leur maman, j’apprenais à survivre dans un monde hostile. Pour moi, en plus des cours de danse qui me faisaient rêver, il y avait les cours de self-défense qui rassuraient mon père. Et Trip. En grandissant, on m’a rabâché qu’il ne faut pas se fier aux apparences ; on m'a enseigné à déceler les signes de filature, à ne pas céder face aux menaces. Stone m’a même appris à tenir l’alcool ! Selon lui, le fait d’être une fille n’est pas une raison pour en faire moins qu’un homme. « Et ne laisse jamais l’opportunité à quelqu’un de mettre un truc dans ton verre. Privilégie les bières aux cocktails : on l’ouvre devant toi, et tu ne la lâches pas », répétait-il. Si mon père avait su, ça aurait chauffé pour son matricule !
Alors, avoir Trip ici, aujourd’hui, c’est comme avoir un oncle près de moi. Sauf que… je donnerais tout pour qu’il s’en aille. Parce que si j’en crois le message reçu il y a deux heures, Diego Di Meglio, neveu de Pedro, va débarquer pour me rappeler à son bon souvenir.
Numéro inconnu
Je serai dans ton garage à 11 heures.
Histoire de contrôler que tout se passe bien avec le futur bien de mon oncle. Sois à l’heure. Diego.
Hum.
Je devrais m’estimer heureuse, il a pris la peine de signer cette fois ! Oh, je ne me demande pas comment il a obtenu mon numéro. Ou ce qu’il me veut, encore. S’il y a bien une chose que je veux éviter, c’est que les deux hommes se retrouvent face à face. Non seulement parce que je ne souhaite pas qu’il s’entretuent, mais je refuse purement et simplement que toute cette affaire arrive aux oreilles de mon père ! Je caresse encore l’espoir vain de trouver un plan B. Il ne me faut que quelques jours supplémentaires. Je vais retrouver Archie.
À quel moment est-ce que ma vie est devenue un tel capharnaüm ? Trip qui prend le temps de taper la discute avec Colin, Diego qui est censé débarquer dans moins de vingt minutes et Archie qui reste introuvable. Tout va bien dans le petit monde de Heaven. Avec un regard entendu, Colin attire Trip à l’étage pour lui offrir un verre.
— Allez, vieux loup. Je veux te faire goûter mon dernier cocktail. Ça te dit ?
Le barbu marmonne, pour la forme. Il a toujours été friand des mélanges savants de Colin. Mais les déguster dans un verre à pied avec une petite ombrelle ne rassure pas Trip et sa virilité de Néandertal.
Je leur adresse un signe de la main et attends qu’ils aient gravi les marches pour lâcher un lourd soupir. Mes épaules s’affaissent naturellement quand l’air quitte mes poumons et que l’espoir se fait la malle. Il m’a fallu deux jours pour obtenir la pièce nécessaire à la réparation de ma voiture ; pendant ce temps, j’ai dû appeler Archibald une bonne centaine de fois. J’ai même tenté de passer par sa famille. Or, vu le ton glacial employé par sa mère, c’était une très mauvaise idée.
En quelques mots, elle a mis fin à toutes mes espérances : non, elle n’a pas de nouvelles de son fils. Non, il ne lui a pas dit pourquoi nous n’étions plus ensemble. Elle espère juste qu’il n’a pas décidé de se jeter dans la Tamise. La blague ! Elle imagine sérieusement me rassurer avec des conneries pareilles ? Après m’avoir priée de ne plus la contacter, elle m’a raccroché au nez. Sympa.
Pour être honnête, sa réaction ne me surprend pas. Elle ne m’a jamais portée dans son cœur et ne s’en est jamais caché. À tel point que je la soupçonne de me dissimuler la vérité. Archibald doit être assis à ses pieds, à la regarder avec un air de cocker battu, pendant qu’elle caresse sa tignasse rousse en me maudissant au téléphone. Bon… Peut-être que j’exagère un peu. Mais mince, est-ce qu’elle réalise dans quelle merde je me trouve à cause de son précieux bébé ?
Sans trop savoir pourquoi, je sors mon portable de ma poche et fixe l’écran noir. Je n’ai plus de solution. J’ai tout tenté. Je suis même allée voir le banquier. Mais mes recettes ne sont pas suffisantes pour garantir un emprunt aussi important. Pas au bout de deux ans d’activité. Il aurait fallu que je puisse justifier d’un investissement conséquent, et ça, je ne sais pas faire. Sur le chemin du retour, l’autre jour, Colin m’a bien suggéré de faire des devis loufoques, quitte à graisser la patte des entrepreneurs. Sauf que ce n’est pas ma façon de faire. Si j’ai choisi de m’éloigner d’Aberdeen et de mon père, ce n’est pas pour tomber dans les mêmes travers, à quelques miles de chez lui, pour ainsi dire sous son nez. Non, je dois trouver une vraie solution pour me faire de l’argent rapidement.
En mordant ma lèvre inférieure, j’extirpe une carte, cachée entre mon téléphone et la housse. Un morceau de carton clair, avec un logo géométrique dessiné à l’encre argentée, et un nom. Ian Cochrane.
Je ne sais pas pourquoi je m’y accroche. J’aurais dû la balancer, sans y réfléchir. Pourtant, mon estomac se noue quand je songe aux mots griffonnés au dos. Pas besoin de retourner la carte, je les connais par cœur.
Je te laisse mon numéro, Tilda.
Appelle-moi. Jour et nuit. Mais ne pleure plus.
Et… ne chante plus.
2 commentaires
francoise drely
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Il y a 3 mois
JULIA S. GRANT
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Il y a 3 mois