Fyctia
Chapitre 8 - Partie 3
Une heure. Ma jambe tressaute sous la table pendant que mes doigts tapent sur le bois au rythme d’une mélodie dont je n’ai pas retenu le nom. Mes yeux parcourent la foule des badauds, sans repérer Hastings. Pour la deuxième fois en quinze minutes, le jeune homme boutonneux affublé d’une cravate immonde se plante à côté de ma table pour prendre ma commande. N’ayant pas envie de le voir revenir dans cinq minutes, je me décide à prendre un autre café. Espérons que Robert finisse par arriver ! Je déteste le manque de ponctualité.
Ça m’horripile. Et c’est encore plus agaçant venant d’un militaire haut gradé !
Au même instant, à une dizaine de mètres se découpe la large silhouette de Robert Hastings : la petite soixantaine bien assumée, des cheveux blancs coiffés à la perfection, un long manteau de laine grise et une écharpe rouge, mon ancien chef se fondrait sans problème dans la foule des civils anonymes. Pourtant, son regard aiguisé, sa démarche féline entre les passants sans attirer leur attention trahissent l’habitude des infiltrations, selon moi. L’art de passer inaperçu…
Je n’esquisse pas un mouvement lorsqu’il s’installe face à moi, le bras levé en direction du serveur avant de m’adresser un sourire franc :
— Cochrane. J’ai bien cru ne jamais te revoir. Tu deviens difficile à convaincre.
Je me contente d’un signe de la tête, en guise d’assentiment. Ouais, j’avais décidé de raccrocher. Pour les beaux yeux d’une fille qui n’en a rien à cirer d’un pauvre type comme moi !
— Disons, commencé-je, que j’ai trouvé une nouvelle source de motivation.
Aucun de nous ne décroche un mot durant les quelques secondes nécessaires au garçon pour prendre la commande de Rob et la ramener à la vitesse de l’éclair. Ce n’est que lorsqu’il repart en bredouillant que Hastings reporte son attention sur moi. Il extirpe une enveloppe de sa poche intérieure, puis la fait glisser sur la table.
— Bon, je ne te demande pas la lune. Tout ce dont on a besoin, ce sont des photos nous permettant de connaître les habitudes exactes de Ferguson : quand il quitte sa forteresse, avec qui, l’heure à laquelle il se lave les dents… Peu importe ! Mais chaque détail compte.
— Pourquoi lui ?
Les sourcils froncés, je jette un rapide coup d’œil sur le rapport rédigé et les quelques images du type. Hormis un air arrogant et une allure de milliardaire qui jure dans le paysage de la campagne tranquille de Dunbroch, je ne vois pas ce qu’on peut lui reprocher. Son nom ne me dit rien, pas plus que ceux des hommes étiquetés comme étant proches de lui.
— Disons qu’il sait très bien la jouer profil bas. Mais nous savons qu’il pèse lourd dans les trafics entre le Royaume-Uni et le sud de l’Europe. Et mes supérieurs veulent le coincer. C’est tout ce que tu as besoin de savoir.
— Une famille ?
— Oui. Mais là aussi, nous n’avons rien trouvé à nous mettre sous la dent.
Je soupire devant l’ampleur de la tâche. On est loin du jet-setteur de la Côte d’Azur s’exhibant sans vergogne, ou du milliardaire russe qui adore provoquer. Non, cet homme-là semble comprendre que, pour vivre heureux, il vaut mieux vivre caché. Mais si je peux m’éloigner de Londres pendant quelques semaines, je ne vais pas dire non. Et pour couronner le tout, le montant inscrit en bas de mon contrat est astronomique. Presque indécent. Je relève la tête, et ce que Rob lit sur mon visage le fait éclater de rire.
— Satisfait ? Il me semble que tu avais évoqué l’envie de devenir indépendant. Avec ça, tu pourras t’installer à ton compte. Ouvrir une galerie ou je ne sais quoi. Et tu n’entendras plus parler de moi. Jamais.
Ouais. Je n’aurais plus à me soucier de l’argent, c’est clair. Et qui sait ? Si je me fais choper et dézinguer par ces mafieux, j’aurais autre chose en tête que les jambes de Mina autour de moi ou sa façon de me larguer tous les quatre matins ? J’attrape le stylo que me tend mon ancien chef avec un rictus victorieux et paraphe les quelques feuilles qu’il s’empresse de ranger. Puis, sans un mot, je me lève et m’éloigne, après avoir tapoté son épaule de la main gauche. En rejoignant mon 4x4 garé dans un souterrain tout proche, je me mets à siffloter un air. C’est quoi, cette chanson, déjà ? Oh. Céline Dion. Un fou rire me gagne lorsque je me remémore la manière dont la petite elfe aux cheveux roses s’égosillait dans sa voiture. L’espace d’un instant, je me demande si elle a trouvé ma carte dans l’étui de son téléphone. Arf, sans doute. Et elle l’a balancée aussi vite.
C’est aussi bien. Je ne sais pas ce qui m’a poussé à lui donner mes coordonnées, de toute manière. La détresse dans ses grands yeux bleus quand je l’ai traitée de gamine ? Ou le soulagement qu’elle a ressenti en enlaçant son frère ? Parce que, quoi qu’elle en dise, elle avait l’air paumée. Elle m’a fait l’effet d’être le genre de personne que tout le monde catégorise comme solide.
Sauf que, lorsqu’on vous colle l’étiquette de dur à cuire sur le front, plus personne ne se demande si vous êtes encore en capacité de gérer. Non, on vous charge. Encore et encore. Si je devais retenir une chose de cette unique nuit passée aux côtés de Heaven, c’est que sa coupe est pleine. Elle n’arrivera pas à encaisser plus longtemps. J’espère juste que son frère sera là, quand il faudra recoller les morceaux.
Une fois installé sur mon siège, j’inspire un grand coup, les yeux fermés et les mains crispées sur le volant. Je dois appeler Cedric et lui demander un congé sans solde. Encore. Il va me tuer.
12 commentaires
francoise drely
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Il y a 3 mois
bilbo
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Il y a 3 mois
Alixia Egnam
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Renée Vignal
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JULIA S. GRANT
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IvyC
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Il y a 3 mois