Fyctia

Debout dans le hall, Colin garde son attitude figée, jusqu’à ce qu’Ian s’éclipse, prétextant aller chercher mes affaires. La blague ! Je n’ai que mon portable et mon vieux sac. Mais quand mon frère enlève ses lunettes pour me prendre dans ses bras et que je lis l’inquiétude dans ses prunelles, je remercie le ciel d’être seule avec lui.

— Merde, Heav. J’ai flippé ! marmonne-t-il contre mes cheveux.

— Flippé de quoi ? Je t’ai dit que tout allait bien.

— Mouais. N’empêche, avant ton appel, je me faisais un sang d’encre.

Colin, ou le drama incarné. Je me recule un peu et lui adresse un sourire timide.

— Y a ce type qui est venu au garage et… j’ajoute à voix basse.

Son front se plisse, mais il s’abstient de répondre quand Ian se gratte la gorge à l’autre bout du couloir. Il s’avance ensuite vers nous, mon sac à la main.

— Tiens, Tilda.

Devant la mine circonspecte de Colin, je lève les yeux au ciel et agite les doigts, histoire de lui signifier que je lui expliquerai plus tard. J’attrape la lanière tendue par le photographe et la passe sur mon épaule.

— Merci. Je crois qu’on va y aller, cette fois.

Comme sortie de nulle part, Lorna apparaît, un Tupperware à la main.

— C’est un petit quelque chose pour la route.

J’ouvre la bouche pour protester : la route ? Mais il n’y a que deux heures de trajet, d’ici à Édimbourg ! Sauf qu’un coup d’œil à Ian, posté derrière la vieille dame, m’en dissuade. Il me fait de grands signes, pour me faire comprendre qu’un refus n’est pas envisageable.

— Merci beaucoup, c’est très gentil, me contenté-je de dire en serrant la boîte contre moi.

— Tu redonneras le Tupp à Ian. Ça fera une raison de plus à ce grand dadais pour venir me voir. Il n’arrive pas à comprendre qu’il n’y a pas que le travail qui compte. Pourtant, il aurait dû l’intégrer, en changeant de vie. Mais tu connais les hommes. Ils n’en font qu’à leur tête !

Je n’ai pas le cœur de lui dire que je ne reverrai sans doute jamais Ian. Je ne voudrais pas lui être désagréable alors qu’elle m’a ouvert sa porte. Et puis, qui sait ? On pourrait bien se croiser un jour ou l’autre, non ?

Après avoir étreint Lorna une dernière fois, adressé un signe de la main et des remerciements à Ian, Colin et moi nous installons en voiture. Direction Édimbourg.

Les premiers miles se font dans un silence de mort. Colin est énervé, et moi… Je n’en sais rien à vrai dire. Pour être honnête, cette petite bulle hors du temps était magique. Durant une soirée, j’ai oublié Archie, les Siciliens ou la perte de mon garage. C’était chouette. Mais illusoire. Retour à la réalité, Heaven. Ce n’est qu’au bout d’une bonne dizaine de minutes que mon chauffeur desserre les mâchoires.

— Trip doit arriver demain.

Merde. Trip, le meilleur ami de mon père et, accessoirement, son bras droit, doit profiter d’un séjour à Édimbourg pour me rendre une petite visite de courtoisie. Du moins, selon les critères de mon père. Parce qu’en réalité, il s’agit surtout de venir contrôler que rien ne cloche dans la vie de la petite princesse de Logan Ferguson.

— Tu ne crois pas qu’il serait temps de le mettre au parfum ? tente Colin, les mains crispées sur le volant.

— Non.

Impossible d’argumenter plus. Soyons clairs : je n’ai pas mille solutions. Me débrouiller seule pour retrouver Archie et ses soixante-quinze mille livres, ou avouer à mon paternel que j’ai merdé en beauté. Je ne sais pas si c’est l’air de la campagne ou le manque de sommeil, mais je suis encore persuadée de pouvoir m’en sortir seule.

Et quand mon téléphone se met à vibrer dans ma poche, je me surprends à espérer.

Grave erreur.

Parce que si le numéro n’est pas dans mon répertoire, je n’ai aucun doute sur l’identité de l’expéditeur :

Numéro inconnu

• Ne t’éloigne pas trop. Ce serait dommage d’avoir à te ramener par la peau des fesses pour que tu tiennes ta parole. Même si je me ferais une joie de me charger de toi.