Alixia Egnam Heaven Chapitre 6 - Partie 1

Chapitre 6 - Partie 1

À l’instant où elle craque, je réalise ma boulette et me maudis intérieurement. Envolée, la belle assurance de celle qui arguait être en mesure de se débrouiller seule. La voici à nouveau en larmes. Et moi ? Je suis incapable de trouver les mots pour la consoler. De ses mèches d’un rose improbable à son sweat trop large, en passant par sa manière de brandir ses vingt-deux ans comme un étendard, il est évident qu’elle cherche à prouver quelque chose. Je ne sais presque rien d’elle, hormis ce qu’elle a daigné me confier durant le trajet ou notre dîner improvisé... Pourtant, elle a dans les yeux une lueur de défi permanent qui m’intrigue. Heaven a ce regard plein de hargne, de ceux qui luttent chaque jour pour prouver leur valeur. Pas besoin d’être un génie pour comprendre que sa fuite en avant n’est pas un signe de faiblesse, tout comme ces larmes ne sont pas un signe de renoncement.


Elle finit par se calmer et accepte le mouchoir que je lui tends. Tandis qu’elle essuie le bord de ses yeux, j’avance ma main pour replacer une mèche tombée sur son front. Lorsque mes doigts effleurent sa peau, près de son oreille, mon pouls s’accélère subrepticement. La jeune femme plante son regard dans le mien, renforçant ma sensation vertigineuse. Elle est de ces personnes qui peuvent vous retourner le cerveau en une fraction de seconde : ses grands yeux clairs, bordés de taches de rousseur, mangent la moitié de son visage fin et délicat. Je reste là, à la fixer en retour, incapable de trouver les mots.


— Je ne voulais pas te vexer. Excuse-moi.


Je ne la connais pas, ne sais rien d’elle. À quoi ça rime, d’essayer de la réconforter ? Sauf que j’entends la voix de Cedric résonner dans ma tête. « Communiquer, ça n’a jamais tué personne, tu sais ! » Alors quoi ? Je devrais lui expliquer que, en dix ans de carrière, j’ai vu et vécu des horreurs sans nom, pas si loin d’ici ? Et que les drames n’arrivent pas qu’aux autres ? Mais quand j’imagine cette si jolie jeune femme seule dans son grand garage vide, mon rythme cardiaque s’emballe. Il pourrait lui arriver n’importe quoi !


Par chance, elle coupe court à toutes mes idées loufoques en chuchotant :


— Est-ce que tu crois que je pourrais brancher mon téléphone, histoire d’appeler mon frère ?


Je marmonne quelques mots à propos de mon chargeur dans mon sac, qui traîne près du seuil de la cuisine, et m’éloigne d’elle. En farfouillant dans mes affaires, je me morigène intérieurement : est-ce que j’ai vraiment pensé à elle comme « jolie » ? Mince ! Elle a vingt-deux ans. Vingt-deux ! Y’a vraiment quelque chose qui cloche chez moi.


Une fois son portable branché et son message envoyé, elle reste plantée contre le plan de travail, les mains cachées dans les manches de son sweat, les chevilles croisées. Au moment où j’ouvre la bouche pour l’inviter à s’installer pour la nuit, la voix de Pink se met à résonner dans la pièce. Heaven sursaute, avant de décrocher rapidement et se lance dans une conversation animée avec son interlocuteur. Pour lui donner de l’espace et l’intimité nécessaire, je m’éclipse jusqu’à ma chambre.


Chaque fois que je reviens dans le coin, je fais une halte ici. Lorna River est une vieille amie de mes parents et c’est avec bonheur qu’elle partage son espace de vie avec moi. Notre routine est toujours la même : lorsqu’elle sait que je dois débarquer, elle me bloque une de ses deux chambres d’hôtes et remplit le frigo. Il n’est pas rare que j’arrive après qu’elle s’est couchée. Mais elle ne s’inquiète pas et me connaît bien assez pour ne pas craindre d’être réveillée.


Cette pièce a beau changer de décoration chaque année ou presque, je m’y sens bien. Un grand lit king size flanqué de deux tables de nuit en chêne, assortis à l’armoire calée dans le coin opposé ; des rideaux occultants épais, marron cette année, et des cadres en tous genres, montrant la nature sauvage de la région.


Je ne peux m’empêcher de sourire en détaillant les clichés accrochés aux murs. Normal ! Ce sont les miens ! Lorna a mis ses menaces à exécution : puisque je refuse d’exposer mes photos, elle le fait elle-même ! En bas de chaque prise de vue, elle a inscrit mon nom, histoire d’enfoncer un peu plus le clou. Je suis presque certain de trouver mon numéro de téléphone ainsi qu’un prix à l’arrière de chaque cadre ! Avec une pointe d’amertume, je jette un regard au fauteuil Ikea installé près de la fenêtre. Certes, j’aurais aimé profiter d’une bonne nuit de sommeil, mais je ne peux décemment pas demander à Heaven de sacrifier son confort. Avec un léger soupir, j’attrape donc deux oreillers sur le lit, un plaid dans l’armoire et rejoins ma colocataire du jour dans la cuisine.


Toujours au téléphone, elle m’adresse un petit signe de la main à l’instant où j’entre dans la pièce.


— Merci, Colin. Ouais, à demain, conclut-elle.


À regret, elle abandonne une nouvelle fois son portable sur le plan de travail carrelé avant de s’avancer vers moi.


— Colin viendra me chercher demain dans le courant de la matinée. Est-ce que ça te dérange si…


— Non, voyons ! J’aurais même pu te ramener si tu le voulais.


— Non, t’as du travail. Il s’en veut déjà bien assez de ne pas pouvoir venir tout de suite. J’ai refusé. Je ne veux pas qu’il prenne de risque en roulant à moitié endormi.


J’approuve totalement, et l’invite à me suivre sans faire de bruit. Heaven ne cille pas en pénétrant dans la chambre.



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3 commentaires

francoise drely

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Il y a 4 mois

Drôle de situation pour tous les deux 😯

JULIA S. GRANT

-

Il y a 4 mois

J’adore l’ambiance que tu instaures entre ces deux-là. Et Lorna, c’est son agent artistique en fait 🤪😉. Bravo Alixia. J’adore ton histoire, mais ça tu le sais 🫶
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