Alixia Egnam Heaven Chapitre 5 - Partie 2

Chapitre 5 - Partie 2

Aïe. Est-ce que je dois lui répondre, honnêtement ? Mais tandis que je réfléchis à la réponse la moins stupide, il grimace devant mon silence.


— Oh, tu sais, je voulais juste… Enfin, c’est histoire de discuter. Et… pour savoir où tu veux que je te dépose. Je ne voulais pas être indiscret.


Flûte. Je tombe sur un mec sympa, un gentil garçon, et je ne suis même pas capable d’aligner deux mots.


— Euh… Je viens d’Édimbourg, en fait, et…


— Édimbourg ? Ah oui, ce n’est pas tout près. Tu veux que je t’y emmène ?


Même si l’idée est tentante, je ne me vois pas lui demander de faire deux heures de route en pleine nuit.


— Non, ça ira. Quand on arrivera, je brancherai mon téléphone et mon colocataire viendra me chercher. Enfin…


J’espère.


Je cale mes mains entre mes jambes pour les réchauffer. Mon sauveur semble se rendre compte de ma gêne puisqu’il tourne deux boutons en s’excusant :


— Tu as froid ? Si tu veux, je dois avoir un plaid sur le siège arrière.


Je me tortille pour saisir la couverture tout en remerciant Ian. Mais en tirant sur le tissu, je manque de faire tomber un objet plutôt lourd. Je tends le bras au maximum, histoire ne pas casser… quoi que soit cette chose.


— Oups, pardon, mon appareil photo te gêne ? Pose-le au sol, t’inquiète.


C’est effectivement un Nikon Hybride dernier cri, qui doit valoir une petite fortune. Alors au lieu de l’abandonner sur le sol, je le place délicatement sur mes genoux après m’être enroulée dans le plaid.


— Tu fais des photos ?


— Oui, c’est mon travail. Et toi ? Tu fais quoi à Édimbourg ?


— Je suis mécano.


Ian se met à pouffer et moi, je retrouve ma mauvaise humeur du même coup. Combien de fois ai-je dû affronter les préjugés, lutter contre le sexisme de mes pairs ? Non content d’avoir à prouver ma valeur en tant que professionnelle, je dois très souvent faire face aux regards dédaigneux ou suspicieux. Oui, être une femme de moins de vingt-cinq ans, ce n’est pas un avantage, dans ce milieu où l’expérience et la masse musculaire prévalent. Conneries.


— Quoi ? Une femme n’a pas le droit d’aimer les voitures et le cambouis ?


— Nan, c’est pas ça… C’est que c’est moche de tomber en panne au milieu de nulle part et de ne pas pouvoir y faire quelque chose, surtout quand on s’y connaît, non ?


Ouais… Enfin si on compare avec ce qui m’attend et ce que j’endure depuis quelques mois, c’est juste une tuile de plus.


— Avoir un diplôme n’est pas synonyme de supers pouvoirs, c’est un fait, mais… avoue que c’est ironique ! se marre-t-il.


Si tu savais, mon pauvre Ian. Toute ma misérable vie est à l’image de cette soirée. La dernière chose qu’il pouvait m’arriver, c’était de tomber sur un beau gosse et son appareil démesuré. Je rougis seule en réalisant le double sens de ma phrase. Mince ! Je me tortille sur mon siège, attirant l’attention de mon chauffeur.


— Ça ne va pas ?


Cette fois, sa voix prend une inflexion qui trahit son inquiétude. Je devrais sans doute le rembarrer, me montrer méfiante. Quand il tend la main et fait mine de toucher mon genou, c’est l’anarchie dans ma tête. En quelques secondes, les rouages de mon cerveau se mettent en branle et tous les conseils prodigués par les hommes de mon père refont surface. Vise les yeux. Casse-lui le petit doigt. Protège ton visage en te mettant en boule. Pourtant, Ian ne me touche pas, se contente de relever davantage le plaid sur mes jambes, sans jamais quitter la route des yeux. Et moi ? Je le scrute, analyse ses mots et ses gestes.


Certes, monter en voiture avec le premier venu n’était pas l’idée du siècle. Même si ce dernier est beau comme un dieu nordique et a l’air doux comme un agneau. Respire, Heav. Tu peux tout affronter. Ce mantra, qu’Abby me répète depuis ma plus tendre enfance, a un goût amer, ces derniers temps. Ma belle assurance commence à s’étioler.


Plus les miles défilent, plus la conversation de mon chauffeur me met à l’aise. Si durant les premières minutes, Ian s’est contenté de conduire sans lâcher un mot, il n’a suffit qu’une ou deux questions de ma part pour qu’il se déride. Il me parle des photos qu’il a réalisées dans la journée, de sa volonté de donner vie aux mythes et légendes du coin grâce à ses clichés, espérant ainsi sublimer l’article qui les accompagnera. Il parle avec passion, un sourire au coin des lèvres, les yeux rivés sur la route ; de mon côté, j’en profite pour le regarder et boire ses paroles. À le voir comme ça, on l’imaginerait plus garde du corps qu’artiste. Pourtant, il est évident qu’il maîtrise son sujet. Il met une telle énergie dans ses propos que je l’envie. Comme j’aimerais pouvoir m’extasier sur le quotidien, moi aussi ! Sauf que là, c’est l’image d’un Archie ricanant qui me revient en mémoire. À nouveau, les larmes me montent aux yeux : mon garage, c’est ça, ma passion. Que me restera-t-il, quand j’en serai dépossédée ? Je serre les dents et les poings, me recroquevillant un peu plus sous le plaid qui sent la lessive et le parfum masculin. Les yeux clos, je savoure le confort de l’habitacle et me laisse bercer par les cahots de la voiture et la voix grave de Ian.


Je n’ai conscience de m’être assoupie qu’au moment où une main me secoue, tandis qu’un timbre rauque me murmure :


— Eh, on est arrivés.


Je me réveille en sursaut, poings en avant, prête à en découdre : mais aussitôt, mon regard est happé par deux billes vertes. Ian me dévisage en se mordant les lèvres pour dissimuler un sourire.


Il me faut encore une ou deux secondes pour que mes idées se remettent en place. Archie... Ma voiture en panne... Ian ! Gênée, j’abaisse les poings avec un sourire forcé. Mon chauffeur du jour détache sa ceinture avant de me désigner un bâtiment de l’index.


— J’avais réservé ici pour la nuit. On va faire le moins de bruit possible, pour ne pas déranger la proprio. Elle n’est pas toute jeune. Et dès que ton téléphone le permettra, tu pourras prévenir tes proches.


J’acquiesce d’un hochement de tête, avant de m’étirer comme un chat. Il me faut toute la volonté du monde pour m’extraire de la chaleur du plaid et affronter le froid de la nuit.


Par bonheur, la pluie a cessé et la maison n’est qu’à quelques mètres. Enfin, un vrai lit !

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10 commentaires

francoise drely

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Il y a 4 mois

Ian a l'air très sympa. Je l'aime bien ❤️
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