Fyctia
Chapitre 2 - Partie 1
Pour la dixième fois depuis que j’ai mis les pieds dans le club, je me répète que j’aurais dû écouter Colin et décliner l’invitation. Est-ce que cela aurait changé quelque chose ? Je dois avouer que, là, tout de suite, plantée dans un recoin de la salle sombre, à siroter un soda en attendant que Monsieur Archibald Johnston daigne m’accorder un regard, je ne comprends pas pourquoi je m’inflige une telle torture. Lui s’amuse, hèle des connaissances, descend plusieurs verres de vodka dont j’ai perdu le compte, et le voilà même qui flirte ouvertement avec la barmaid ! Oh, il reste fidèle à lui-même, et c’est, je crois, ce qui m’a séduite chez Archibald : cette capacité à attirer la lumière. Or, ce soir, j’aurais aimé qu’il s’éloigne de son schéma habituel pour m’accorder un peu plus d’attention.
Mine de rien, j’ai une boule au ventre, la sensation désagréable que quelque chose va mal tourner dans son affaire. Et je ne peux m’empêcher de craindre le pire. À plusieurs reprises pourtant, il revient près de moi, effleure ma joue, me souffle des mots doux à l’oreille ou dépose un baiser rapide sur mes lèvres. Juste quelques miettes d’attention avant de retourner jouer les tombeurs auprès de la barmaid. Mais à l’instant où je décide que j’en ai assez et que je claque mon verre sur le comptoir, prête à me lever pour partir, une grande main tatouée pose un billet sur le zinc. Un sifflement rapide émis par l’homme attire l’attention de ladite serveuse qui, aussitôt, hoche la tête et s’éloigne. Il me faut une demi-seconde pour décider si j’ai envie ou non de savoir à qui appartient cette main calleuse, couverte d’encre noire. Lorsque je lève les yeux, c’est pour croiser le regard noir d’un homme à la mâchoire carrée et à la barbe naissante, terriblement sexy. Ses prunelles sombres, l’assurance qu’il dégage, ses traits racés… Tout en lui est un appel à la luxure. Mais mes ardeurs sont bien vite calmées lorsque je reconnais le symbole tatoué sur le côté droit de son cou, dépassant tout juste de sa chemise impeccable : un petit trident accompagné d’un lys.
En bonne élève, je me remémore les leçons données par Stone, l’un des plus anciens hommes de mon père. « Le principal, disait-il, c’est de connaître son adversaire. » Aussi, il passait son temps à me parler des différents clans, gangs ou qu’importe le titre qu’on leur donne. Ils restent les ennemis, répétait Stone. Alors, ce soir, en reconnaissant la marque d’un des clans les plus craints de Sicile, mon sang ne fait qu’un tour. Mes dents se plantent dans ma lèvre inférieure tandis que je jette un regard à Archie : cet idiot continue de sourire, tout en alpaguant l’homme au costume :
— Diego ! Te voilà enfin ! J’ai bien cru que vous m’aviez oublié !
Sortis de nulle part, deux autres hommes en complet apparaissent de chaque côté de celui que je suis à présent certaine d’appeler mon ex aussitôt que cette histoire sera réglée, et le poussent gentiment, mais fermement vers Diego et moi. Ce dernier pose sa main sur mon coude et m’invite à le suivre à voix basse, le visage penché vers mon oreille :
— Tu es mignonne, tu nous suis sans faire d’histoire.
Je déglutis avec appréhension, mais la tête haute, je me lève et dégage mon coude en lissant ma blouse. Quoi qu’il arrive, je refuse de lui laisser croire qu’il a l’ascendant sur moi. Après tout, je ne suis pour rien dans cette histoire. Non, rien, si ce n’est avoir accordé ma confiance à l’abruti qui marche devant moi, sans cesser son babillage. Est-ce qu’il a toujours été aussi idiot, avec un verre dans le nez ?
Les trois hommes nous escortent jusqu’à une porte dérobée qui donne sur un escalier. Sans surprise, la volée de marches nous amène directement à un espace privé, où les basses de la musique nous parviennent difficilement. Là, derrière un bureau massif en merisier se tient Pedro Di Meglio, chef des Dios Mio, une branche plutôt redoutable de la Cosa Nostra. Celui qui nous toise dès notre entrée est craint par la moitié de l’Europe. Son nom ne fait pas autant frémir que celui de Logan Ferguson, mais on est clairement dans la même lignée. Seule différence ? Di Meglio n’est pas réputé pour son fair-play. Alors j’ose espérer qu’Archie ne s’est pas plus enlisé que ce qu’il m’a raconté. Autrement, je peux faire une croix sur mes espoirs de m’en sortir sans l’aide de mon paternel.
Cheveux grisonnants, un teint d’olive parfait et une certaine prestance naturelle, Di Meglio n’a pas besoin de lever le petit doigt pour faire taire son invité. D’un simple coup d’œil, il intimide Archibald, qui cesse son caquetage et croise les mains dans son dos, le nez plongé vers ses chaussures comme un gamin pris en faute. L’instant d’après, l’attention du quinquagénaire dévie dans ma direction. Mon premier réflexe est de soutenir son regard dur, refusant d’être la première à baisser les yeux. La devise de notre famille ? « Un Ferguson ne se laisse jamais intimider ». Toutefois, une petite voix me dit qu’il vaut mieux la jouer profil bas et ne pas envenimer une situation qui me semble déjà bien scabreuse.
— Monsieur Johnston. Je vois que vous n’avez pas tenu compte de mes conseils, puisque vous voici à nouveau dans mon club, à boire mon alcool. Et, comble de la goujaterie, en galante compagnie, alors que vous n’avez pas hésité à jouer les jolis cœurs auprès de notre barmaid. Vous m’aviez promis une surprise… Je n’imaginais pas que ce serait un joli brin de fille.
D’un geste rapide, le dénommé Diego se saisit du bras d’Archie, qu’il tord sans état d’âme, afin de lui plaquer le visage contre le plateau en bois, à quelques pouces à peine de son patron, en lui arrachant un couinement de douleur.
— Mais aussi jolie soit-elle, elle ne suffira pas à éponger ta dette, crétin.
Lentement, les rouages de mon cerveau se mettent en branle. Si je suis là ce soir, c’est pour plaider la cause de cet idiot. Alors pourquoi est-ce que je passe pour l’inconnue de service ? Pire, pourquoi ai-je l’impression d’être la cible des regards concupiscents des hommes de la pièce ? À l’instant où je m’apprête à remettre les choses à leur place, Archibald me coupe l’herbe sous le pied, avec une mine déconfite :
— Non, je... euh… J’avais un plan. Je le jure.
9 commentaires
JULIA S. GRANT
-
Il y a 5 mois
Alixia Egnam
-
Il y a 5 mois
JULIA S. GRANT
-
Il y a 5 mois
JULIA S. GRANT
-
Il y a 5 mois
Alixia Egnam
-
Il y a 5 mois
francoise drely
-
Il y a 5 mois
Alixia Egnam
-
Il y a 5 mois