Fyctia

— Il t’a demandé quoi ?!

Ses baguettes se figent à mi-chemin entre sa box et sa bouche, et quelques grains de riz retombent sur son poulet thaï. Colin me fixe avec des yeux ronds, les lèvres entrouvertes, choqué par mon récit. Je dépose mon propre plat et glisse mes mains entre mes cuisses, tout en mâchouillant mes nouilles.

— Je ne savais pas quoi faire… tenté-je, une fois ma bouchée avalée.

Colin repose sa boîte et ses baguettes dans un mouvement d’humeur avant de croiser les bras. La mine renfrognée, il commence à élever la voix, visiblement remonté :

— Mince, Heaven ! Mais c’est ton garage ! Imagine s’il se plante !

C’est tout à fait ça. Si je tiens ma promesse et suis Archie ce soir chez ce type, ce sera pour me porter garante pour mon petit ami. Je le connais bien assez pour savoir que, s’il a besoin de moi, ce n’est pas pour mes beaux yeux. Une fois de plus, il s’est mis dans la merde. Sauf que cette fois, on parle de dizaines de milliers de livres sterling, somme qu’il ne possède clairement pas. Aussi, c’est presque avec détachement qu’il m’a demandé – non, supplié serait plus juste – de lui venir en aide en plaidant sa cause auprès de son patron ce soir. Il m’a promis de ne pas mettre mon nom en avant. Or, je ne possède que deux choses : mon patronyme et mon garage. Tout était si simple quand il ignorait l’existence du premier…

— T’en as parlé à Logan ?

Cette fois, c’est moi qui manque de m’étouffer :

— T’es sérieux, là ?

Colin arque un sourcil, histoire d’appuyer sa question. OK, il ne rit pas.

— Ça va pas la tête ! T’imagines comment ça se terminerait ? lâché-je sèchement.

Quelle question ! Mais oui, allons-y ! Impliquons mon père et sa folie meurtrière qui touchent déjà chaque homme qui a le malheur de croiser ma route ou me regarder d’un peu trop près. Je n’ose imaginer ce que cela donnerait de lui annoncer que l’un d’entre eux est dans une mouise incommensurable et que je vais le rejoindre dans ce bourbier ! Non seulement il deviendrait dingue, mais il me ramènerait illico presto à Aberdeen pour me jeter dans un couvent ou n’importe quel établissement répondant à ses critères d’un autre âge.

— Heav… Je suis persuadé que tu as pris la mauvaise décision. Tu le vois quand, ce fameux Pedro ?

— Ce soir.

Colin lève les yeux au ciel juste avant de se pincer l’arête du nez. Il a beau me connaître mieux que quiconque sur cette planète, je crois qu’il ne s'habituera jamais à mon côté borné, à la limite de la tête brûlée.

— J’imagine que ma visite impromptue n’arrivera pas à te faire changer d’avis ?

Je secoue la tête, ce qui fait danser mes boucles roses. Hors de question. Pas quand mon cerveau m’envoie des flashs de la lettre reçue par Archie il y a deux jours. Non content d’avoir utilisé un vocabulaire plus qu’explicite, avoir accompagné sa missive d’une balle de neuf millimètres a refroidi n’importe laquelle de mes idées farfelues pour tenter de sauver la peau de mon copain. Non, ce soir, que Colin l’approuve ou pas, je n’ai pas d’autre solution que de rejoindre le club où Archibald m’a donné rendez-vous.

Et à prier.