Fyctia
Chapitre 4(suite)
— Tu verras, je saurai te convaincre qu’il est possible de dire nous. Et puis mon salaire est assez conséquent, tu pourrais même arrêter de travailler et de prendre autant de risques.
Mon sang ne fit qu’un tour. Non content de me convaincre de lui donner une chance, il pensait pouvoir me transformer en femme d’intérieur ! Beurk ! Là, c’était le pompon. J’aurais pu laisser passer, après tout, ce n’étaient que des mots. Des mots prononcés par un homme que je n’aimais pas et qui comptait m’enchaîner. Je ne pus cette fois retenir ce que j’avais sur le cœur.
— Stop ! Ça suffit ! lui criai-je.
Aldaron siffla en direction de son maître comme s’il me soutenait. Bonne bête !
Dommage qu’il ait choisi un partenaire aussi con.
— Idris vient d’être victime d’un monstre. J’ai besoin d’informations pour pouvoir les sauver, lui et mes frères. Vous êtes tous là à me pomper l’air. Si c’est une bonne petite femme qui doit rester à la maison à s’occuper des enfants que tu veux, je te conseille de chercher ton bonheur ailleurs que chez les chasseurs. Je ne serai jamais cette femme et pas la peine de me faire du chantage, je trouverai mon info moi-même. Je suis une chasseuse, et même à quatre-vingts balais, je serai encore une chasseuse. Pourquoi penses-tu que je prends toujours les cas les plus difficiles ? C’est parce que je suis accro à cette adrénaline. Même en sachant que je mourrais sur une mission, je l’accepterais tout de même et ferais le plus de victimes possibles avant de clamser.
Je tournai les talons, prête à m’en aller, quand il me lança :
— Le dossier que tu recherches est sur la table près de la porte. Tu peux le récupérer.
Il n’ajouta rien de plus. J’attrapai le dossier en sortant d’un pas rageur. La prochaine personne à me prendre la tête risquait de se prendre un pain. J’en avais plus que marre d’être le dindon de la farce, j’avais des choses autrement plus importantes à gérer.
Aldaron ne me lâcha pas et je sortis avec lui sur le dos. Il se lova contre moi. Ça pouvait paraître étrange, mais j’étais sûre qu’il tentait de me réconforter. Je n’avais jamais vu Aldaron sous son apparence humaine, il préférait sa forme animale. C’était aussi pour ça que je n’avais jamais eu de mal à l’accepter.
— Aldaron, tu pourrais me dire où se trouve Daire ? Que ferait un serpent d’une panthère ?
Le serpent quitta mes épaules et glissa sur le sol. Et pour la première fois, je pus voir sa forme humaine. Il avait le visage balafré, mais rien qui puisse entacher sa beauté. J’étais subjuguée. Mes yeux descendirent un peu plus bas et oh là là ! il était complètement nu.
— Désolé, dit-il enfin, je déteste cette situation autant que toi, mais je ne pouvais te répondre sous mon autre forme.
J’avais posé la question sans attendre de réponse, mais s’il en avait une à me fournir, je ne dirais pas non. Je lui tendis ma veste, je n’avais rien d’autre. Il l’accepta cependant et la noua autour de ses hanches.
— Si Daire avait été une banale panthère, j’aurais dit que Méduse l’aurait choisie pour son prochain dîner. Tash, il y a quelque chose que moi seul peux percevoir. Daire possédait une partie de tes pouvoirs.
— Je ne voudrais pas te contredire, lui souris-je, mais je n’ai aucun pouvoir.
Il avait une étrange façon de se déplacer, il semblait toujours glisser, ses pieds ne quittaient jamais le sol.
— Tout être possède un certain pouvoir, comment crois-tu qu’il vous soit possible de nous invoquer ? dit-il en passant la langue sur ses lèvres.
Le tien a été scellé par Idris, peut-être parce qu’il était trop grand, je peux te dire néanmoins que ton familier aurait été comme moi. Et, comme les compagnons sont à l’image de leur maître, le tien aurait été très puissant. Peut-être ont-ils eu peur de toi.
— Qui aurait eu peur de moi ? La MIN ? Non, tu m’idéalises.
Aldaron sourit encore.
— Peut-être bien. Sais-tu pourquoi les familiers sont fidèles à leurs invocateurs ?
Je secouai la tête. J’étais sûre que l’un d’eux finirait par se rebeller, je n’avais pas confiance en leur prétendue loyauté.
— C’est parce que d’où nous venons, nous sommes prisonniers. Certains sont choisis pour être des serviteurs et sont traités comme des esclaves. Pour ceux comme moi qui ont la malchance d’être considérés comme mauvais à cause de légendes, nous sommes envoyés dans l’oubli. L’oubli est un lieu sombre, humide et vide. Nous sommes des milliers à y être emprisonnés, nous ne nous croisons pourtant jamais. O’Cain est celui qui m’a libéré. Même si je trouve qu’il a des réactions plutôt puériles, il est mon sauveur. Est-ce que tu comprends ?
Je n’avais jamais vu les choses sous cet angle, alors bien sûr que je comprenais. Je lui souris avant de répondre :
— OK, tu m’as convaincue. Vous êtes loyaux. Même si je pense que tu te trompes sur mon compte. Idris ne m’aurait jamais fait une chose pareille. C’est tout de même très intéressant de discuter avec toi, Aldaron.
— À ton service, Tash.
Puis sans prévenir, il reprit sa forme de boa et s’éloigna, certainement pour retrouver son maître. Je ramassai ma veste du bout des doigts, me rappelant qu’elle avait touché les parties génitales d’Aldaron. Un bon pressing ne serait pas de trop.
J’essayais de comprendre cet échange que m’avait accordé Aldaron, cela n’avait ni queue ni tête. Pourquoi m’avait-il subitement parlé de loyauté ? Pensait-il que je serais plus loyale à mon familier, si j’en avais un, qu’à la MIN ? Cela me paraissait impensable.
En remontant, je croisai des collègues qui me scrutèrent comme s’ils me voyaient pour la première fois et quand j’arrivai à nouveau à l’accueil, Edith me souriait et Kev applaudissait.
— Je n’aurais jamais pensé que tu lui dirais enfin ce que tu avais sur le cœur.
Je grimaçai. J’avais été tellement en colère que je n’avais pas imaginé que les autres pouvaient m’entendre. J’avais hurlé. Ça, je le savais. Sur le moment, j’avais été trop en colère pour m’en soucier. Je comprenais maintenant le regard des autres. Il ne manquait plus que ça !
— Ce n’est pas drôle, Keyvan.
— Oh que si ! C’est même hilarant. Tu viens de te faire des amis. Quatre-vingt-dix-neuf pour cent des chasseurs pensent comme toi. La chasse, c’est leur vie.
Je devais être aussi rouge qu’une tomate. Je me forçai donc à parler pour cacher mon malaise.
— Bon, ce n’est pas tout, dis-je en me grattant la gorge. J’ai de la lecture.
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