Laureline Maumelat Getaway car Protéger quelqu'un (Finn)

Protéger quelqu'un (Finn)

Est-ce qu’elle va me suivre ?


La certitude que je lisais dans son regard, il y a quelques minutes à peine, s'est évaporée. J'assiste, impuissant, au combat qui semble se dérouler en elle.

Finalement, ses yeux bondissent de ma main tendue au cuistot prostré au sol en train de pleurer de douleur. Me prenant totalement par surprise, elle va l’aider à se relever avec une délicatesse que cet enfoiré ne mérite pas. Elle allume le robinet et lui passe les mains sous l’eau en lui expliquant qu’il doit rester dans cette position une quinzaine de minutes. Ensuite, elle s’approche de son oreille et lui murmure des mots qui me sont inaudibles.

Lui grommelle :

— Je vais te buter.

Quand elle me dépasse, sans même m’accorder un regard, elle dit simplement :

— Maintenant, on peut y aller.


Une fois à l’extérieur, je me mets à courir vers la station service. Pas besoin de vérifier, je l’entends qui me suit. Cour arrière, terrain vague, station. Plus vite on quittera cette ville, mieux ce sera. Je déverrouille la Cadillac que le vieux a nettoyé des jantes au pare-brise. Je lui ai expressément demandé de la laisser couverte de poussière, mais il semble que l’envie de chouchouter une voiture de collection ait été plus forte que ma requête.

Sans échanger un mot avec la serveuse, je prends le volant, elle s’assoit côté passager et nous nous engageons sur la rue principale, nous obligeant à passer devant le restaurant. Elle reste les yeux rivés à la façade jusqu’à ce que je tourne et que l’enseigne lumineuse disparaisse de mon rétroviseur. Elle respire vite, fait encore volte-face plusieurs fois, mais il n’y a plus rien à voir. Personne n’est à nos trousses. Son patron doit encore agoniser dans sa cuisine.

Puisse-t-il y crever. Quand j’ai vu son corps aviné pressé contre elle, j’ai dû réprimer mon envie de le détruire. Littéralement.


Avant de travailler pour Solomon, je n’étais entouré que de femmes. J’ai grandi auprès de ma grand-mère, ma mère, mes sœurs, mais aussi de voisines bienveillantes toujours là pour donner un coup de main. Lorsque j’assiste à ce genre de scène, je repense à chacune d’entre elles. Si je n’ai pas plongé la tête du pervers dans sa friteuse, c’est uniquement parce que la serveuse était là.


Je ne regrette pas une seconde d’avoir fait demi-tour pour lui proposer de partir avec moi. En sortant du restau, je jurerai avoir senti son regard dans mon dos et entendu ses pensées faisant écho aux miennes. Le sable me cinglait le visage, m’empêchait d’avancer, comme si le vent me repoussait vers elle. Mes jambes refusaient de continuer à s’éloigner.


Mais maintenant, qu’est-ce que je fais ? Qu’est-ce qu’on fait ?


Je jette un œil vers elle. Elle se tient trop raide sur le siège. Je la sens sur la défensive. Ses mains sagement posées sur ses cuisses, elle lisse par intermittence son tablier. Alors que je pensais qu’elle serait soulagée, elle semble en proie aux doutes.

Je ne peux pas l’en blâmer. Il y a une heure, nous ne nous connaissions pas. C’est toujours le cas, d’ailleurs. Je suis l’inconnu ; la nouveauté tout autant que le danger potentiel. Elle a sûrement l’impression d’avoir quitté un piège pour plonger tête baissée dans un autre. Mon instinct me crie qu’elle voulait fuir cette vie, mais n’est-ce pas prétentieux de croire que c’était avec moi ?


Finnigan, le bon samaritain… A-t-on déjà entendu plus drôle ? J'en rirais presque.


Plusieurs phrases se forment dans ma tête. Je n’en prononce aucune. Je ne sais pas quoi dire. Rien de tout ça n’était planifié. Jamais je n’ai envisagé de mêler quelqu’un à ma mission. C’est dangereux, stupide, irresponsable. Égoïste aussi. Je ne lui rends pas service.


Prochain arrêt, la première gare de train ou de bus. Elle doit avoir de la famille quelque part, un point de chute. N’importe où sauf dans cette voiture aussi rouge que l’enfer.


Elle a toujours cette mèche folle qui s’évertue à lui retomber sur le visage, mais cette fois elle ne la retire pas. Perdue dans ses pensées, elle regarde droit devant. Au bout de plusieurs longues minutes durant lesquelles nous ruminons sans doute chacun de notre côté cette décision aussi inattendue que déstabilisante, elle se tourne calmement vers moi.


— Ramène-moi là-bas.

Quoi ? Je fronce les sourcils. J’ai peut-être mal entendu.

— Fais demi-tour.

Elle ne hausse pas la voix. Pas besoin. Sa détermination est revenue.

Je grimace et rétorque :

— Tu as plus peur de moi que de ton patron ?

— Ce n’est pas par peur que je veux y retourner.

— Tu as entendu ce qu’il t’a dit à la fin ?

— Oui.


Je ne comprends rien à sa réaction. Quand on a l’occasion de s’extirper de sa condition, il faut la saisir ! Qu’elle ne veuille pas continuer la route avec moi, je peux l’encaisser, mais retourner là-bas, c’est du suicide.

— Si c’est à cause de moi, je pensais justement te déposer dans une…


Du bout des doigts, tremblante, elle effleure mon poignet. Sa peau est froide et pourtant cette sensation provoque une décharge qui remonte dans mon bras. Jusqu'à mon cœur. Les mots s’éteignent dans ma gorge.

Son contact plus pressant m’oblige à la regarder :

— S’il te plait, insiste-t-elle.


Son intonation pleine de douceur et ses yeux brillants de larmes sont comme un uppercut. Je ne veux pas la faire pleurer. Je ne peux qu’obtempérer.


— Tu n’as pas besoin d’aller jusqu’au restaurant, précise-t-elle. Dépose-moi chez moi, j’habite plus près.

Mes mains se contractent sur le volant et le demi-tour que j’opère manque de contrôle. La voiture dérape, les pneus crissent. Du coin de l’œil, je devine son regard désapprobateur. Après quelques brèves indications, je m’engage sur un chemin de terre criblé d'ornières qui mène à un camp de mobile home décrépis.

— Ici, ça ira.

Sans aucune hésitation, elle descend, claque la portière. J’ouvre la fenêtre côté passager pour ajouter quelque chose, mais rien ne sort de ma bouche. Elle se penche, s’accoude et me considère en silence. Dans ses yeux, un éclat farouche a chassé les larmes. C'est déjà ça.


Elle finit par me tendre la main pour que je la serre. Je ne sais pas pourquoi, mais à ce moment-là je n’en ai pas envie. Pas envie de la toucher. Pas envie qu’elle justifie son désir de revenir dans cette ville merdique. Pas envie de lui dire au revoir.


So many things I'd rather say

But for now, it's goodbye

You say I'm always leavin'

You, when you're sleepin' alone

But the, the car's outside

But I don't wanna go tonight


Tant de choses que je préfèrerais dire

Mais pour l'instant, c'est au revoir

Tu dis que je te quitte toujours

Quand tu dors seule

La voiture est dehors

Mais je ne veux pas y aller ce soir



Car’s outside de James Arthur


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27

27 commentaires

Céci.B

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Il y a un an

Mais... pourquoi elle fait ça !

CoralieHossen

-

Il y a un an

Oh non !! (bon, je sais, ce n'est pas très original...)

AnnaShaw

-

Il y a un an

Oh non !!!! J’ai cru que ça y était, qu’ils s’en allaient ! Mais la voilà de retour ! Pas pour longtemps j’espère !

Miladie Delvreau

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Il y a un an

Quel plot twist. Incroyable.

MONTENOT Florence

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Il y a un an

Bonjour likes de soutien 😊

barbaralaine

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Il y a un an

Oh non, ils ne peuvent pas se quitter comme ça :'(

Eva Boh

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Il y a un an

J’ai adoré ce chapitre. Je crois que c’est mon préféré pour l’instant.

Laureline Maumelat

-

Il y a un an

merci beaucoup, ça me fait plaisir ♥

Giselle Marion

-

Il y a un an

Il y a une telle douceur chez ces deux personnages torturés. Comment sont ils restés si purs malgré la vie qui n'a pas l'air de leur avoir fait de cadeau 🥺 j'aimerais tellement pouvoir enchaîner sur la suite sans attendre la publication du prochain chapitre 😭

Laureline Maumelat

-

Il y a un an

merci de ton commentaire ♥ oui, je voulais des personnages foncièrement bons dans un monde dur, pour qu'ils aient envie de créer leur propre univers
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