Fyctia
La lumière des néons (Finn)
Il faut que je m’arrête. Je roule sans discontinuer depuis trop longtemps ; mes yeux se ferment tout seuls. Mes dernières heures complètes de sommeil dans un pieu remontent à bien avant mon départ ; je n’ai plus de force. Si je me cartonne, Solomon gagne et ça, c’est hors de question.
En plus, je crève de chaud. La couche de peinture noire sur la carrosserie n’est pas la seule chose que je n’ai pas pu achever : la climatisation dysfonctionne. Elle pulse un air insignifiant et chaud. La poussière qui entre par les fenêtres ouvertes colle sur ma peau trempée de sueur. Je déteste ces grandes étendues de sable parsemées de villes déprimantes. Je tuerais pour un lit et une douche.
Je soupire. En plus, j’ai l’impression de tourner en rond ! Dans cet antique modèle de Cadillac, pas de GPS. Et comme j’ai balancé mon téléphone (je ne sais pas si Solomon peut le tracer, mais c’est plus sûr), je dois m’orienter à l’aide d’une vieille carte volée dans une bagnole lors d’un arrêt dans un parking, hier.
J’avais repéré mon itinéraire avant de partir, évidemment, mais c’était sans compter les travaux, les déviations et les flics à tous les coins de rue. À croire qu’aucun détour ne me sera épargné !
Il faut que j’achète un atlas routier. Ces trucs doivent bien encore exister… Je me rends compte à quel point je suis largué sans mon téléphone. Tant que j’y suis, je m’offrirai un grand café, genre tonneau, avec des glaçons, ce sera le luxe suprême après avoir siroté de l’eau tiède pendant des heures.
Malgré mon état d’épuisement, un doute subsiste. Est-ce que j’ai été assez loin ? Est-ce que l’emprise tentaculaire de Solomon s’étend aux bleds paumés que je traverse ? Peut-être. Peut-être pas. Mais je dois maintenir ma vigilance, c’est ce qui m’a permis de rester en vie jusqu’à aujourd’hui.
Au bout d’une vingtaine de kilomètres, le néon du Lost paradise motel semble me narguer. Je sens d’ici l’odeur de cigarette imprégnée dans la literie, je visualise la moquette élimée, le gérant qui encaisse sans lever les yeux de son téléphone… Pas un paradis, certes, mais vu mon état, ce serait un palace.
Mais m’y arrêter serait une erreur grossière.
J’achèterai ce dont j’ai besoin dans la prochaine station. Il y aura peut-être même une douche. Et ensuite, je trouverai un coin au calme pour m’allonger une heure sur la banquette arrière. De toute façon, c’est tout ce que je peux m’accorder. Plus vite j’atteindrai mon objectif, plus mon plan restera un mystère pour Solomon.
À l’entrée de l’agglomération suivante, je tombe sur une station immense. Aire de jeux, nombreux camions sur le parking, les pompes à essence qui tournent à plein régime. Parfait. Plus il y a de monde, moins on me remarque. Je me faufile à l’arrière pour éviter d’être trop visible depuis la route. Je m’extirpe de la voiture, le dos mouillé de transpiration, étire mon corps endolori et fourbu. Je m’accorde quinze minutes avant de repartir : boire, me laver, acheter à manger et ensuite, tracer vers l’horizon. En passant à l’avant du bâtiment, même si je suis déjà en train de saliver à la pensée de mon café glacé, mes antennes à emmerdes captent des ondes négatives. Ouais, reçu cinq sur cinq.
D’un large regard aux alentours, je ne mets pas cinq secondes à repérer une voiture aussi discrète que la mienne, garée entre deux poids lourds. Je me plaque contre le mur et jette un coup d’œil furtif. Merde !
Parmi les clients réguliers, les touristes en shorts, les enfants qui demandent une glace, une des femmes qui sort de la station se démarque. Comme un cafard au milieu de coccinelles. C’est l’Ange. D’origine cambodgienne ou vietnamienne, je crois, jolie, toujours habillée de noir, elle se déplace dans une caisse qui ressemble à un corbillard. Je ne connais pas son vrai nom, mais je sais de quoi elle est capable. Sa petite taille et sa silhouette fluette cachent une rapidité de mouvement et une habilité hors norme au combat rapproché. Toujours aux basques de Solomon, elle est envoyée pour accomplir les basses besognes. Si elle me trouve, elle m’arrachera les yeux pour me faire parler.
Je ne pensais pas que les sbires que Solomon a envoyés à mes trousses auraient autant d’avance. Leur échapper va s’avérer plus compliqué que je ne l’escomptais.
Je suis trop con. Je n’aurais pas dû chercher le confort. Les hôtels et les stations sont les premiers lieux qu’ils doivent visiter. Mon seul avantage est qu’ils n’ont pas de photo de moi à faire circuler. Solomon a une peur panique des téléphones et de tout ce qui est susceptible d’enregistrer ses agissements ; il oblige ceux qui bossent avec lui à les déposer dans un joli petit panier à l’entrée de son immense baraque. Je n’existe pas non plus sur les réseaux. Comme j’étais le chauffeur attitré de Sol, j’avais un statut à part, je ne traînais pas avec ses sous-fifres et la plupart ne m’ont même jamais rencontré. Sauf l’Ange, une fois. Et je suis bien certain qu’elle se souvient parfaitement de ce à quoi je ressemble.
Je réintègre ma caisse, rallume l’autoradio et accélère. J’ai soif, j’ai la dalle et j’ai la rage. La fatigue s’est envolée, chassée par l’adrénaline, mais elle va revenir. Il faudra que je mange et que je dorme très bientôt. En attendant, je fais demi-tour et repars de là où j’arrive. Il me paraît logique de penser que l’Ange va continuer d’avancer. Si je retourne un peu en arrière avant de prendre une route secondaire, j’espère éviter de croiser son chemin.
L’espoir et ma capacité d’adaptation, c’est tout ce qui me reste, parce que la chance n’a jamais fait partie de l’équation.
Comme ce n’est pas encore l’émission d’Aurora, je change de station et mets une musique planante. De quoi tenir jusqu’au prochain arrêt.
Here comme the lightning,
Here comes the fight
Here comes the thunder,
And then the quiet…
(Voici l'éclair,
Voici le combat
Voici le tonnerre,
Et puis le calme…)
And then the quiet de Margot Todd
21 commentaires
Miladie Delvreau
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Il y a un an
Mymy M. *Sakuramymy*
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Il y a un an
AnnaShaw
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Eva Boh
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barbaralaine
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Laureline Maumelat
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Thalyssa Delaunay
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Giselle Marion
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Laureline Maumelat
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