Fyctia
Regarder les étoiles (Stella)
— J’espérais débaucher tôt ce soir, se plaint Darcy. Timy se réveille toutes les nuits en ce moment, je suis épuisée.
Assises sur deux caisses de bouteilles vides à l’arrière du restaurant, nous prenons une petite pause dans la relative fraîcheur apportée par la nuit. Tony a titubé jusqu’à la salle pour discuter avec des clients réguliers. Évidemment, il ne viendrait à l’idée de personne de se plaindre de son état d’ébriété au travail.
Darcy grignote des chips à même la poche et je colle mon verre rempli d’eau fraiche contre mes joues. Nous observons une voiture rouge s’engager dans l’allée de l’autre côté du terrain vague qui jouxte le restau et s’arrêter à la petite station essence. Ici, pas de grande enseigne ; à tout heure du jour ou de la nuit, c’est Sammy, le pompiste qui vient servir les clients. À l’ancienne. Il vérifie le lave glace, passe un coup de chiffon sur le pare-brise et vous met le plein, si c’est ce que vous désirez. Je pense qu’il s’attèlera à ces tâches jusqu’à sa mort.
Le conducteur descend de la Cadillac – un modèle de collection -, échange quelques mots avec Sammy avant de traverser l’étendue d’herbes sèches parsemée de détritus. Sa démarche est assurée, rapide, même si tout le poids du monde semble s’être posé sur ses épaules. Un tourbillon se soulève à ses pieds, l’entoure. C’est comme si l’inconnu avait été amené ici par le sable lui-même. Sa silhouette se dessine quand il passe près de notre enseigne clignotante, mais je ne parviens pas à le voir plus clairement.
— Encore un ! se lamente Darcy.
Une fois qu’elle est rentrée, je m’accorde quelques minutes supplémentaires à examiner les étoiles au-dessus de moi. Elles voient tout, savent tout sur nous, le bien comme le mal. Est-ce qu’il y a quelque chose qui nous attend là-haut ? C’est possible, mais pas pour moi. Je ferme les yeux, à la recherche d’une paix intérieure que je sais pourtant absente.
Avec un soupir, je retourne à l’intérieur. Il y règne une effervescence inhabituelle, c’est le phénomène « nouveau client ». Les têtes sont tournées vers l’étranger et les messes basses vont bon train.
— Le type de la Cadillac est canon ! s’excite Darcy avec une voix de petite souris. Regarde discrètement.
Il est de profil, aussi je ne vois pas son visage. Grand, athlétique, métis. Il porte un débardeur blanc et un jean trop grand qui lui tombe sur les hanches quand il s’étire. Même si ses vêtements sont auréolés de sueur et salis par le sable, tout dans sa tenue indique l’argent et des boutiques qui n’existent pas à des kilomètres à la ronde. Il a dû se perdre. Depuis qu’ils ont construit une autoroute qui contourne la ville, plus aucun touriste n’a de raison de traîner dans les environs, sauf s’il ne sait pas lire une carte routière.
L’étranger s’est installé dans le coin « internet », un vieil ordinateur mis à disposition des clients gratuitement. Avec le développement des portables, plus personne ne l’utilise, mais Tony tient à le conserver avec le téléphone à pièces à côté du juke-box. Il maintient que ce sont des arguments commerciaux. Hormis Bob, un complotiste forcené qui vient une fois par semaine, je n’ai jamais vu un client s’assoir à cette table depuis que je travaille ici.
Darcy a jeté son dévolu sur le nouveau. Normal, ce gars, c’est une porte de sortie comme une autre. Elle m’a parlé un jour de son rêve. Ça s’appelle Coup de foudre au restau. Rien d’original, évidemment, mais pour Darcy, c’est le Graal. Un inconnu débarque, il la remarque dans son joli petit tablier qu’elle a cousu elle-même, tombe sous son charme, veut l’emmener avec lui, il accepte son fils sans hésitation… et ils filent heureux dans le soleil couchant.
Improbable ? Tout à fait. Pour autant, est-ce que ça fait du mal de rêver ? Je ne crois pas.
Si je croyais en une entité supérieure capable d’exaucer les vœux, je prierais pour que Darcy rencontre son chevalier à l’armure scintillante. Je doute néanmoins que ce soit ce type. Les yeux rivés d’abord à l’écran, puis au menu, il la regarde à peine pour passer sa commande. Pareil quand elle lui sert un grand café. Incapable de rester en place, il se frotte le visage, essuie ses mains sur son jean, tambourine la table. Il a l’air épuisé, à cran.
Je me détourne de lui pour m’occuper des clients restants. Les excités de la 4, des étudiants qui se croient en terrain conquis. Monsieur Donovan à la 8, présent tous les soirs quel que soit le temps, pour manger un burger, une triple portion de frites et un milkshake à la cerise.
Dehors, les tourbillons semblent s’accentuer. Les grains de sable mitraillent la vitrine. Je n’aime pas ce bruit. Sur le juke-box, Calling you de Jevetta Steele joue ses premiers accords.
A hot dry wind blows right through me
The baby's crying and I can't sleep,
But we both know a change is coming,
Coming closer sweet release
(Un vent chaud et sec me traverse
Le bébé pleure et je n'arrive pas à dormir,
Mais nous savons tous les deux qu'un changement arrive,
Il se rapproche, douce libération)
39 commentaires
Katie P
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Il y a un an
Miladie Delvreau
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Il y a un an
AnnaShaw
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Giselle Marion
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Laureline Maumelat
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blondie.64
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François Lamour
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Il y a un an