Dacia Gargouilles. La porte des ténèbres. 7.2 Les Statues

7.2 Les Statues

—Tu m’as bien dit que tu sauvegardais tes dessins dans ton ordinateur, non ?

C’était trop beau pour être vrai ! Mes pieds touchaient à nouveau la terre ferme, cependant, la chaleur de mes joues se répandit jusqu’à mon front.

—Euh… c’est-à-dire que… bredouillais-je. Mais c’était sans compter sur Jess, sa curiosité légendaire et bien sûr, sur ses dons d’adolescente manipulatrice.

—Aller, tu ne vas pas te faire prier ! Hé, oh ! C’est moi, Jess. Tu sais ? ta meilleure amie forever !

—Tu sais bien que je ne les montre jamais.

Je fus confuse, et Jess diaboliquement persuasive. Bien que sachant qu’elle exagérait —comme toujours—, l’intonation douce, presque suppliante de sa voix mélangée aux fins traits de son visage poupon, atteignirent leur but.

Je me senti coupable.

—Faisons un compromis.

La lionne à la robe blonde sentait que sa proie était prise au piège. Elle me donna le coup de grâce :

—Tu me montre tes dessins et je te montre mes photos.

Le sang ne fit qu’un tour dans mon esprit embrumé. Tout comme je gardais jalousement mes dessins pour moi, Jess ne dévoilait jamais ses clichés. Ce fut une occasion unique d’assouvir la curiosité que je nourrissais depuis plusieurs mois. —De toute façon, me dis-je. J’allais succomber à sa diabolique supplique—.

Autant profiter de cette contrepartie aussi inattendue qu’inespérée.

Je saisissais mon sac-à-dos resté blottit contre le grand lit de Jess depuis mon arrivée. M’en apparat, et le déposit sur la table basse devant l’écran géant.

—Ne te moques pas, dis-je en tirant l’ordinateur portable du sac.

—Promis, jura t-elle.

J’aurai imaginé Jess être plus théâtrale, peut-être même déposant une main sur son cœur, mais il n’en fut rien. Rassurée, je m’employai à allumer ma petite boite à secrets. Saisissais le mot de passe, et ouvris le fichier intitulé « montélo ».

Montélo était le surnom que la plupart des habitants de Montélimar donnaient à leur ville. Une sorte d’appellation amicale comme celle que l’on donne aux personnes qui nous sont proches. Un ami, un membre de la famille, voir, un animal domestique.

Pour moi, Montélimar était tout cela, mais aussi tellement plus encore. C’était mon lieu de naissance, mes racines, et en même temps mon sanctuaire. C’est là que j’ai créée tous ce qui a construit ma vie et ma personnalité.


Ici nous sommes tous différents. Antoine s’est immergé dans son travail, si bien que nous ne passons presque plus un seul instant ensemble. Marie tente —Tant bien que mal— de se reconvertir dans son rôle de femme et mère au foyer. Tandis que moi…

Si Jess n’était pas là, je crois bien que je serai devenue une de ces filles que l’on voit dans les films : Une de ces ados seules dans son coin. Incapable de communiquer avec qui-que-ce-soit, toujours l’air triste. Une paria totalement associable.

Nous passions en revue les différents dessins. Le premier qui s’afficha à l’écran, représentait « les allées provençale ». Situées à seulement quelques centaines de mètre du collège dans lequel j’avais passé la majeure partie de ma scolarité, étaient mon lieu de prédilection. Je m’y rendais aussi souvent que possible, mon bloc-notes et un crayon à papier dans un sac-à-dos, et m’installai à différents postes d’observation avant de me lancer dans une frénésie artistique. Cette avenue très passante de Montélimar était toujours arpentée par des voitures et des piétons. Un parc remplit d’animaux allants des chèvres aux poissons rouges de toutes taille et couleur, en passant par des paons, des tortues et de nombreux canards, longeait l’avenue d’un côté tandis que de l’autre, une multitude de bars, pizzérias et autres établissements de restauration, côtoyaient des banques ainsi que des boutiques de souvenirs.

De la vaisselle en porcelaine, aux santons multicolores, en passant par le nougat ; la spécialité locale, on trouvait ici tout ce dont les nombreux touristes avaient besoin pour repartir avec le coffre rempli. Pour les âmes d’artistes comme la mienne, les allées provençales offraient autant de points de vue différents.

La centaine de dessins qui s’affichèrent les uns après les autres, représentaient les milliers d’heures que j’avais passée à immortaliser ce lieu sous tous ses angles.

Nous fîmes défiler les dessins du dossier durant de longues minutes. Le dernier d’entre eux attira plus particulièrement l’attention de Jess. Il s’agissait d’un dessin représentant ma première visite de la maison hantée. —J’avais dû le glisser dans le dossier « montélo » par erreur.

—On change carrément d’ambiance, souligna Jess en scrutant le dessin tout en noir et blanc.

Le contraste avec les couleurs vives des dessins représentants les allées provençales sautait aux yeux.

—Désolée, dis-je. Je ne sais pas comment il est arrivé là.

Je m’apprêtais à le déplacer vers un autre dossier de l’onglet « image », lorsque Jess m’interpela.

—Je ne parle pas du dossier, fit-elle en précisant qu’elle-même n’était pas du genre organisé. C’est le point de vue de l’artiste que je trouve intéressant.

Mes yeux suivirent son regard. Jess semblait happée par les coups de crayon. Une étincelle fit briller ses grands yeux bleus.

—Je me demande juste pourquoi tu ne les as pas dessinées, ajouta-t-elle, un léger frémissement dans la voix.

—Dessiné, qui?

—Eh, bien, les statues! clarifia Jess.

J'en restai scotchée.

Les pensées se bousculèrent dans ma tête. Jess me faisait-elle une de ses blagues favorites ? Celles qui consistaient à se moquer de la petite provinciale fraîchement débarquée dans la capitale? Non ! Ce ne devait pas être ça. Certes, lorsque j’ai intégré ce nouveau lycée Jess adorait plus que tout me taquiner: J’ai eu droit à tout un tas de blagues et de calembours durant près d’une semaine, cependant, nous avons rapidement nouée des liens grâce à notre passion commune, et les moqueries cessèrent.

—J’ai juste dessiné ce que j’ai vue, dis-je en décidant de jouer la franchise. Au risque d’être prise au piège de la taquinerie.

Jess me regarda comme si je venais de lui parler d’extraterrestres. —Ou bien, peut-être était-ce moi qu’elle prit pour un alien ?—

—Tu as dessiné « ce que tu as vue », reprit-elle, dubitative. C’est un terme de dessinateur pour dire que c’est l’inspiration du moment ?

—Euh… non. Enfin, ça veut dire ce que ça veut dire.

Jess me toisa. Ses pupilles se contractèrent à mesure que ses paupières ses plissèrent.

—Attends-moi un instant. Fit-elle en se dérobant.

Se dirigeant droit vers un bureau débordant de cahiers et de classeurs scolaire, elle se retourna dans ma direction :

—Tu es certaine que c’est ce que tu as vu ?

Jess fut trop éloignée pour que j’en fusse sûre, cependant, j’eu l’impression que ses lèvres se mirent à tressailler.


Tu as aimé ce chapitre ?

0

0 commentaire

Vous êtes hors connexion. Certaines actions sont désactivées.

Cookies

Nous utilisons des cookies d’origine et des cookies tiers. Ces cookies sont destinés à vous offrir une navigation optimisée sur ce site web et de nous donner un aperçu de son utilisation, en vue de l’amélioration des services que nous offrons. En poursuivant votre navigation, nous considérons que vous acceptez l’usage des cookies.