Fyctia
Chapitre 4: Yǔ lòu
Comme chaque jour, le grincement de la porte d’entrée annonça mon arrivée. Je déposai mon sac-à-dos sur un des fauteuils du salon. D’ordinaire, je montais directement mes affaires dans la chambre et me lançais dans le rattrapage des devoirs. Ce rituel ne variait qu’à l’arrivée du week-end.
—P’a, M’an ? Une chose ne variait jamais, qu’importe le jour de la semaine. Je m’attendais à trouver Antoine confortablement installé sur le canapé du salon, tandis que Marie serait dans la cuisine adjacente, préparant ses fameuses pâtes.
Mais la maison était curieusement vide.
Inquiète, je prospectais chaque pièce du rez-de-chaussée d’abord, puis ce fut au tour de l’étage. Passant de la salle de bain à la chambre parentale, je marquai l’arrêt devant la chambre d’Antoine et Marie. Je frappai à la porte en faisant tout mon possible pour ne pas porter mon attention sur ce qui pouvait se passer derrière les murs de cette pièce. Mes parents savaient très bien que leur fille serait rentrée des cours à cette heure-ci, les probabilités qu’ils soient dans la chambre étaient minces. Cependant, je ne voulus pas prendre le moindre risque.
—Angie, ma chérie. Tu es rentrée ?
La voix d’Antoine provenait de l’étage inférieur. Je me précipitais vers les escaliers et fûs surprise en constatant le large sourire qu’il arborait.
—Qu’est-ce qu’il se passe ? Pourquoi c’est désert ici ?
—Ta mère est dans le garage. Viens, nous avons quelque chose à t’annoncer.
Malgré le sourire d’Antoine, je sentis mon cœur se serrer et mon ventre se nouer. La dernière fois que mes parents eurent une annonce à me faire, ce fut le jour où ils m’annoncèrent qu’Antoine avait eu une promotion et que nous déménagions à Paris: Qu’allaient-ils m’annoncer aujourd’hui ? Tout se mélangeait dangereusement dans ma tête : Marie était-elle enceinte ? J’aurais adoré avoir un grand frère ou une grande sœur avec qui discuter le soir, après les cours. Mais l’optique de l’arrivée d’un bébé signifiait une myriade de cris et de pleurs à toute heure du jour et de la nuit. Or, j’avais affreusement besoin de sommeil et de calme pour rattraper tout mon retard scolaire.
—Ah ! s’esclaffa Marie alors à peine eu-je franchit le seuil du garage. Il ne manquait plus que toi.
Une coupe à champagne dans la main, Marie s’avança vers moi et me serra fort dans ses bras. Je voulu protester. Mes parents n’avaient pas l’habitude de se montrer aussi expressifs, c’est certainement la raison pour laquelle j’étais toujours sur la retenue.
Toutefois, je ne prononçai pas un mot.
—Vous m’inquiétez tous les deux. Grognais-je, toujours blottie entre les bras de ma mère.
—Non, non. Ne t’en fait pas, murmura Marie en lâchant son étreinte. Elle adressa un regard oblique en direction d’Antoine, l’invitant à parler le premier.
—Tu te rappelle pour quelle raison nous avons emménager ici ? me demanda-t-il.
Sa question me prit au dépourvu.
—Tu veux dire, mise à part pour m’embêter et m’éloigner définitivement de tous mes amis ?
—Angelina ! me gronda aussitôt Marie.
—Pardon, me repris-je. J’ai eu une longue semaine.
Antoine me répondit avec un sourire compatissant.
—J’ai enfin terminé le logiciel sur lequel je travaillais à Montélimar, affirma-t-il. Ne saisissant pas de quoi il en retournait, je préférai rester muette.
« Quoi ? c’est pour ça toute cette… cérémonie ? » Me dis-je intérieurement.
—J’ai reçu un mail de Monsieur Auvono en personne, déclara Antoine. Il est très satisfait de mon travail, et devine quoi ? J’ai eu une promotion !
Il leva sa coupe vers le ciel et Marie se joignit à son mouvement.
—Monsieur Auvono ?
—C’est le PDG de mon entreprise, précisa-t-il. Enfin bref, reprit Antoine. Tout ça pour te dire qu’à partir d’aujourd’hui je suis officiellement le nouveau responsable en chef de tout le programme de recherche et développement de l’entreprise "Auvono Logi-Tech".
Antoine se lança dans une longue explication du logiciel qu’il avait développé. D’après-lui, ce bijou permettrait d’unir le Cloud et la domotique. Il expliqua qu’il suffirait d’un téléphone portable, ou d’un ordinateur pour créer un planning qui régirait chaque pièce d’un domicile, ou de n’importe quel local professionnel. Une personne pourrait, par exemple, programmer qu'une plaque chauffante s’allume et s’éteigne à une heure précise, bien avant de rentrer chez-elle, afin de réchauffer un plat et pouvoir le consommer dès son retour au foyer. Sans avoir à perdre de temps.
—Et encore, ce n’est qu’un exemple des possibilités infinies de mon logiciel ! Cette technologie va révolutionner le monde, affirma Antoine.
—Donc, ça veut dire que tu ne cherches plus de travail ? demandais-je, les yeux rivés sur Marie qui sembla rougir un instant avant de se reprendre :
—Tu sais, ce n’est pas évident de trouver un travail comme celui que j’avais. Tout ce que j’arrive à trouver ici, ce sont des missions intérimaires pour faire du ménage. Cette promotion tombe au meilleur des moments. Et puis… ça me permettra de rester ici, et de m’occuper de ma petite fille chérie.
—Je ne suis plus un bébé, protestais-je. J’ai presque quinze ans, je peux très bien m’occuper de moi.
Je fus sincèrement heureuse pour mon père. Néanmoins, la perspective de repas essentiellement constitués de pâtes jusqu’à ce que je parte à l’université et devienne enfin autonome n’avait rien de réjouissant.
—Oui, je sais bien que tu es grande. Mais tu travailles tellement dur pour rattraper ton retard qu’on ne se voit presque pas. Bientôt tu iras à l’université, puis ce sera le début de ta vie professionnelle. Et pour finir, tu te marieras et tu auras des enfants, soupira Marie.
—Oula, tu t’enflamme un peu ! Je ne suis pas pressée de me marier.
La seule idée qui me faisait encore plus peur que de passer deux nouvelles années à consommer les repas confectionnés par ma mère, était de me retrouver coincée entre quatre murs, à entretenir une maison et préparer les repas pour un homme, fusse-t-il mon mari.
Je n’étais pas ce que l’on peut appeler une adolescente rebelle, pas plus que je ne fus féministe. Cependant, les relations garçons-filles ne m’intéressaient pas le moins du monde. Ma seule expérience dans ce domaine se résumait à un bisou à la volé lors de mes onze ans.
—La vie passe tellement vite, soupira Marie. On ne sait jamais ce qu’elle nous réserve…
—En parlant de projet d’avenir, l’interrompais-je avant de devenir virtuellement grand-mère. Monsieur Auvono, c’est bien Charles son prénom ?
—C’est bien ça, répondit Antoine le regard interrogateur. Pourquoi cette question ?
—Jess et son père m’ont invité à diner chez eux demain soir.
2 commentaires