Fyctia
Chapitre 3: Enfin le week-end!
Alors que fermement décidée à rattraper mon retard, je m’appliquais à noter chaque équation et presque chacun des mots que prononçait Monsieur Mac Grégorre, Jess avait déposé ses longs bras à plat sur son bureau pour soutenir son menton. Elle n’avait pas bougé d’un cil depuis presque une heure. Pourtant, même enfouis sous ses cheveux cuivrés, ses yeux ne rataient rien de ce qui se passait au tableau. Jess avait le regard rivé sur la seule chose qui l’empêché de s’endormir sur le bureau : M. Mac Grégorre. C’est fou ce que je l’enviais. Situés trois rangés derrière-elle, les deux « Zozo », comme les surnommés Jess, passaient leur temps à bavarder et à cogner leurs stylos sur leur bureau. Je connaissais leur voix par cœur.
Depuis mon arrivée dans ce lycée, Willy et Romain passaient leur temps de cours à papoter au dernier rang de chaque classe. Les professeurs de chaque matière les avaient recalés le plus loin possible du tableau, si bien que trop timide pour me positionner aux premiers rangs, je ne fus jamais bien loin d’eux. Leur voix et leur mentalité, voilà les seules choses que je connaissais de ces deux garçons, toutefois, cela suffisait à m’ôter toute envie de voir leur visage. Les propos que tenaient les deux garçons ne m’encourageait pas à aller dans ce sens. Ils ne parlaient que de virées nocturnes et de fêtes aux apparences d’orgie. Ils étaient à mille lieux de mes centres d’intérêt.
À seize heures, la sonnerie annonçait la fin des cours et le début du week-end ; Jess s’étira comme après une longue sieste, tandis que je mettais de l’ordre dans mon sac-à-dos. Adossée contre sa chaise en bois, Jess s’amusait de me voir aussi appliquée pour une tâche des plus banale, alors qu’elle avait depuis longtemps rangé ses propres affaires : En vrac.
—À ce rythme on sera lundi avant que tu aies tout rangé, s’esclaffa-t-elle.
—C’est bon, il ne me reste plus que ça. Annonçais-je fièrement en brandissant un lourd classeur.
—C’est fou ce que tu peux être maniaque ! Ce ne sont que quelques cahiers et deux bouquins, c’est pas les documents sacrés du Vatican.
—Peut-être pas, mais je me donne un mal de chien pour tout noter correctement, et rattraper mon retard. C’est pas pour tout mettre en boule dès que la sonnerie annonce la fin d’un cours.
Comme à notre habitude —mon côté maniaque y étant pour beaucoup—, nous fûmes les dernières à sortir de la salle de classe. Les couloirs du lycée étaient dévalés par un flot d’élèves de tout âge et de toutes tailles, allant des sixièmes et leur mètre vingt les bras en l’air, aux terminales, dont la plupart dépassaient allégrement le mètre quatre-vingts. Tous tentaient de se frayer un chemin parmi le torrent de silhouettes. Il était impossible de distinguer le moindre visage dans cette cohue. Nous attendîmes patiemment que le plus gros de la vague soit passé avant de nous lancées dans la rivière de corps.
La salle dans laquelle s’était tenue le cours de mathématique se situait au deuxième étage, si bien que tous les élèves des deux étages supérieurs se retrouvaient dans ce long couloir qui débouchait sur un large escalier. Leur rassemblement créait un véritable goulot d’étranglement dans lequel nous n’avions aucune intention de nous aventurer. Les élèves de troisième n’hésitaient pas à bousculer ceux de sixième et de cinquième dont on distinguait à peine les tignasses derrière leurs énormes cartables, reproduisant bêtement ce qu’ils avaient eux-mêmes vécu plusieurs années auparavant. Sans doute pensaient-ils que c’était là une version moderne de « la loi de la jungle », et que cela faisait partie de la vie. Jess et moi étions d’un avis totalement opposé au leur. On ne voyait dans ce rituel qu’une preuve de plus de la stupidité dont pouvaient faire preuve les autres adolescents.
Après de longues minutes d’attente dans l’encadrement de la porte, la majorité des élèves avait dévalé l’escalier. C’est à ce moment que nous nous engageâmes en direction de la sortie. Il ne restait plus avec nous que quelques retardataires aux allures d’intellectuels qui, comme nous, avaient pris le parti de laisser passer la vague, et ainsi éviter de se retrouver au sol comme le jeune garçon en pleurs à quelques pas des escaliers.
—Ça va aller ? lui demanda Jess alors qu’il rangeait tout le contenu de son cartable éparpillé autour de lui. Il baragouina quelques mots parfaitement incompréhensibles tout en séchant ses larmes, et adressa un hochement de tête comme seule réponse. Jess l’aida à se relever, puis elle m’entraina dans les escaliers sans se retourner.
—Tu as un grand cœur malgré tes airs farouches, la taquinais-je à mon tour.
—Ne dis pas de bêtises, il m’a juste fait penser à toi. Si je ne t’avais pas prise sous mon aile lorsque tu as débarqué de ta campagne, tu aurais fini comme-lui.
Je m’abstins de protester. Je n’étais pas aussi fragile que ce que Jess voulait bien le croire, et puis c’est moi qui lui avais suggérer de ne pas se jeter tête baissée dans le torrent d’élève dès la fin des cours. Même seule, j’aurais adopté la même stratégie, et n’aurait certainement pas terminée comme le jeune garçon. Néanmoins, je savais aussi que sans Jess et sa réputation à l’intérieur de ces murs, j’aurais certainement eu à subir tout un tas de moqueries et autres bizutages, sorts généralement réservés aux nouveaux élèves, d’autant plus s’ils débarquèrent de la province.
Les tatouages de Jess avaient un curieux effet dissuasif sur les autres élèves.
Lorsque nous atteignîmes le portail du lycée, Jess se lança dans un rituel qui m’était devenu familier. La blondinette déposit son sac duquel elle tira un gilet de laine, tandis je jouais les guetteuses. Parmi le défilé de bus, motos et voitures, je scrutais l’horizon en quête d’un véhicule en particulier : La Mercedes noire du père de Jessica.
—R.A.S.
C’est fou ce qu’un simple vêtement peut changer une personne, pensais-je. Bien que ce rituel ne variât pas d’un pouce depuis plusieurs semaines, je fus toujours étonnée. Ce petit bout de laine tricoté lui donnait l’apparence d’une élève modèle. Bien loin de l’image que Jess s’évertuait à donner dans l’enceinte du lycée.
—Alors ? tirant sur ses manches, Jess attendais fébrilement mon verdict.
—Euh… ça devrait aller, dis-je en la scrutant de la tête aux pieds. Il ne manque plus que ta queue de cheval. Tourne-toi. Jess s’exécuta tout en cherchant l’élastique qui trainait au fond de la poche de son jean depuis le début de matinée.
—Voilà, comme ça c’est mieux. Je me hâtais de préparer Jess avant l’arrivée de la Mercedes noire. Alors, quelque chose à redire sur mon côté maniaque ? La taquinais-je.
—Ouais, répondit Jess du tac-au-tac. Il est aussi relou qu’utile.
Un nouveau clin d’œil me fit sourire.
1 commentaire
Dacia
-
Il y a 2 ans