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Échec à l’hôpital 6
Il n’a ensuite pas eu de mal à surveiller les agissements et les sorties d’Alex, jusqu’au jour de la randonnée avec son club motocycliste. Malheureusement pour lui, il a échoué dans sa tentative, mais a eu, une fois de plus, beaucoup de chance de pouvoir semer son poursuivant. Cette chance l’a suivi jusqu’au jour de la visite rapide et impromptue de Maloire dans son studio, alors qu’il s’apprêtait à rentrer chez lui, plus tôt que prévu. Cela lui avait permis de faire un grand ménage, de vider les lieux et les quitter sous l’apparence d’une jeune femme en survêtement.
Le reste de l’histoire ne revêt aucun secret pour la police, puisqu’il a concouru à son arrestation et à sa perte. Il avait pourtant tout prévu en repérant les lieux auparavant, dérobant sur place une tenue d’infirmière et prenant soin de s’informer téléphoniquement auprès d’Alex qu’il ne courait aucun risque en lui rendant visite. Mais le sort en a voulu autrement.
Aujourd’hui s’est ouvert son procès, dans lequel il est accusé d’avoir assassiné trois personnes et d'avoir tenté d’en tuer une quatrième. Il ne devrait pas durer trop longtemps, car Vincent Fleury, qui a tout avoué aux policiers, ne s’est pas rétracté et a plaidé coupable. Il est défendu par un jeune et talentueux avocat, rémunéré en partie par lui, par son cousin Gaby Picard et son ami de toujours, Stéphane Valmer, tous deux venus l’assister dans la salle d’audience. Il n’attend pas grand-chose de ces ébats ou débats qui auront lieu, et en connaît par avance l’issue. Dans le box de l’accusé, il est calme et serein comme à l’accoutumée. Il contemple la salle avec un détachement qui ferait penser qu’il n’est pas concerné par cette audience.
Cette salle, bondée à craquer, où sont venues s’amasser quantité de personnes, curieuses de con-naître le motif qui l’a poussé à commettre ces actes odieux et le dénouement de cette affaire qui a fait couler beaucoup d’encre et de salive. Dehors, le parvis est encombré de journalistes et de photo-graphes en quête de sensations. Bref, c’est l’événement, en quelque sorte le procès du siècle pour Grandbourg, ville habituellement sans histoire.
Le procès touche à sa fin. Vincent a raconté en détail son enfance douloureuse, lorsqu’à sept ans, il a perdu son père victime d’un accident du travail. Ce dernier, couvreur de métier, est tombé d’un toit et s’est tué net dans sa chute. La nouvelle de sa mort a été difficile à digérer, surtout pour un gamin en admiration pour son père qui était à la fois son protecteur, son instructeur et son modèle. La suite n’a pas arrangé son état psychique, puisque sa mère est décédée deux ans plus tard des suites d’un cancer du sein. Sa disparition a été longue et particulièrement éprouvante pour l’enfant qu’il était. La vue de sa dégradation physique et le ressenti de ses souffrances ont fini de l’anéantir. C’est comme cela qu’il a intégré le foyer « Saint Antoine de Padoue », où son cousin Gaby, lui aussi devenu orphelin, est venu le rejoindre l’année suivante. Les parents de Gaby, qui sont, par lien de parenté, son oncle et sa tante, sont morts tous deux dans un accident de la route.
C’est dans ce désarroi complet, au cœur de ce foyer empli de tristesse, que se sont forgées cette forte amitié et cette fraternité entre lui, son cousin, Stéphane et sa sœur Marion, eux aussi victimes d’un destin hors du commun. Les liens qui les unissaient et les unissent encore sont si forts qu’ils dépassent l’entendement. Il faut avoir souffert comme ils ont souffert pour en mesurer l’intensité. À eux seuls, ils ont alors recomposé une nouvelle famille.
C’est à partir de là qu’a commencée la triste histoire, lorsque son cousin Gaby s’est amouraché de Marion et que cette dernière, rongée par ses démons et ses drogues, s’est peu à peu autodétruite. La vue de son cousin malheureux et de Marion hantée par son passé lui a été insupportable. Ces douleurs morales qui affectaient particulièrement le couple se reportaient aussi sur lui et sur Stéphane, leur rendant à nouveau l’existence insoutenable. Comme il ne supportait plus de voir ses proches, qu’il aimait tant, souffrir de la sorte, il a pris la décision d’en supprimer la cause. À ses yeux, comme à ceux de Gaby, la cause était la mort accidentelle des parents de Stéphane et Marion, provoquée par Marcel Savin. Plus de cause, plus d’effet pensait-il. En supprimant Marcel et Madeleine Savin, tout rentrerait dans l’ordre. Marion sortirait de sa tourmente, Gaby, son amoureux retrouverait le moral et, Stéphane, ne serait plus inquiet pour sa sœur.
Vincent, qui était, on ne peut plus, redevable envers Stéphane de lui avoir sauvé la vie, a donc décidé de passer à l’action. Il considérait que depuis sa noyade évitée de peu, il vivait un surplus de vie, une sorte de rab et que, par conséquent, par amour pour son cousin et ses amis, il lui revenait le droit et l’obligation d’agir. Cette conviction ne l’a pas abandonné par la suite, bien au contraire, elle s’est renforcée quand Marion, enceinte et sur le point de se marier avec Gaby, a mis fin à ses jours. La douleur était à son paroxysme et la motivation qui le poussait aussi. Il n’avait pas prévu cette éventualité dramatique, et, pris dans une sorte de folie, il a décidé de prolonger sa série meurtrière pour la venger.
Les jurés ont écouté avec attention le récit de Vincent, y compris celui, tout aussi pathétique, développé par son avocat sur le drame subi par les enfants Valmer. Mais, bien qu’ils aient été touchés dans leur sensibilité, ils n’ont pas, pour autant, effacé de leur esprit les actes impardonnables qui ont été commis. La plaidoirie magistrale, qu’est en train de faire son avocat n’y changera pas grand-chose et Vincent l’a bien compris.
Sans laisser paraître de signe extérieur de nervosité, il déplace lentement son regard dans la salle. Il croise ceux de son cousin Gaby et de Stéphane, qui ont l’air plus inquiets pour lui qu’il ne paraît l’être lui-même. Légèrement en retrait, il aperçoit Maloire et Edgar, ses pourchasseurs venus assister au procès. Un peu plus loin, à l’écart en raison de son handicap, il croise le regard d’Alex Savin, rempli de haine, mais qu’il soutient jusqu’à lui faire baisser les yeux. Apparemment, Vincent ne craint plus rien, il semble même serein.
Le jury a quitté la salle pour s’isoler et délibérer sur le sort de l’accusé. Vincent a lui aussi quitté son box accompagné de son avocat, en attendant que le jury statue sur son avenir. Le temps qui passe n’a désormais plus d’importance pour Vincent Fleury.
La porte s’ouvre et les jurés entrent en file indienne pour reprendre place sur les deux rangs de leur box. Ils s’assoient et, à la demande du juge, le chef du jury se lève et tend un billet à l’huissier qui le porte au magistrat. Ce dernier l’ouvre, prend connaissance de la décision du jury et le donne à l’huissier qui le rend au premier juré. La porte du box des accusés s’ouvre à son tour et pour laisse entrer Vincent et son avocat.
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