Robcar Funeste engrenage La tentative échouée

La tentative échouée

La matinée s’est parfaitement déroulée dans ce décor vallonné à souhait, où la file de motos se déplaçait, tel un serpent, sur les méandres de la route. Penchant tantôt à droite, tantôt à gauche, dans un basculement répété qui avait la grâce d’un ballet. Un arrêt par-ci, une photo par-là et les voilà maintenant tous réunis sur la place de ce petit village isolé au sommet d’une colline. Ils ont rangé et aligné leurs motos sur la place de la Mairie, juste en face du café-restaurant du même nom qu’ils s’apprêtent à envahir. Heureusement que la chose était prévue et programmée, car une fois installés sur la terrasse, il ne reste plus de place pour le moindre estivant de passage. La patronne les accueille avec un sourire à s’en mordre les oreilles, tant la clientèle est rare en ce lieu retiré.

Ce doit être la journée du motard aujourd’hui, car un petit groupe de quatre, déjà sur place à leur arrivée, vient se joindre à eux pour échanger impressions, anecdotes et souvenirs. On les croirait venus d’un autre monde ou plutôt du Nouveau Monde, celui situé de l’autre côté de l’Atlantique. Leurs engins, leurs allures et leurs tenues vestimentaires tranchent radicalement avec ceux de la troupe de Grandbourg. Ils chevauchent des machines atypiques qui ressemblent plus à des tracteurs qu’à des bolides de course customisés. La forme pataude et rondouillarde de ces routières est à l’opposé de celles anguleuses et futuristes des sportives. Leur large selle et leur haut guidon ne sont plus des instruments de torture, mais des agréments de confort indéniables. Ces motos connues et reconnues de tous, portent le célèbre nom de Harley Davidson, autrefois chanté et mis en valeur par la sculpturale Brigitte Bardot. L’un de ses propriétaires, au surnom de Zizi, entame la conversation avec eux. Son surnom n’évoque pas une partie intime de son anatomie, mais provient du fait qu’il porte une large et longue barbe qui couvre, comme un tablier de sapeur, sur son torse généreux. On croirait être en présence d’un des musiciens du célèbre groupe de rock américain, Zizi Top, devenu fétiche des motards cools.

Les discussions sont animées et les échanges fructueux entre ces motards qui, bien que vivant la même passion, le font de manière diamétralement opposée. C’est un des rares milieux où tous les genres se mélangent, où personne ne snobe son voisin, où la camaraderie, la convivialité et l’entraide priment sur tout.


Le repas s’écoule et les boissons aussi, non alcoolisées bien évidemment. Le moment du café arrive et celui du départ aussi. Les motards se séparent en se serrant la main, pendant que la patronne, à l’arrière-plan, se frotte les siennes. C’est une bonne journée pour elle, en termes de recette et de pourboires. Ils ont mis un sacré foutoir sur la grande table d’hôte, mais qu’importe, après une longue séance de nettoyage et de rangement indispensable, tout le désagrément sera vite oublié au moment des comptes. Elle lance un dernier « Merci à tous et au revoir, revenez quand vous voulez », pendant que les uns écrasent leur kick et les autres enfoncent leur bouton-poussoir.


Les voilà maintenant repartis chacun de leur côté, dans un vacarme étourdissant qui s’estompe progressivement, les cools à droite et les fougueux à gauche. Le calme ambiant reprend sa place, et le son des cordes vocales fait place au chant des oiseaux. Ces derniers ne tarderont pas à venir aider la patronne en débarrassant la place des miettes qui jonchent le sol.


Pendant le repas, Edgar, qui s’est volontairement mis en évidence face à Alex et Laure, a lié conversation avec eux. Il a pu ainsi constater qu’ils n’avaient fait aucun rapprochement avec son statut de flic. S’il en est ainsi avec eux, il doit en être de même avec les agresseurs. Edgar n’en a pas fait de trop et il est resté très discret dans ses propos, comme les autres membres de la troupe, qui au courant des malheurs qui frappent Alex, ne s’aventurent jamais sur ce terrain. Au contraire, il semble que le maître mot soit passé chez eux pour faire en sorte qu’il retrouve le moral, et cela a l’air de fonctionner. Alex s’est relâché et a participé tant bien que mal, aidé en cela par sa compagne très active. Il a, peu à peu, repris goût aux plaisirs simples de la vie, et cela va dans le bon sens pour la suite des événements.


Les heures de selle passent, les kilomètres s’avalent, les souvenirs s’accumulent, la randonnée a été belle, mais elle tire à sa fin. Grandbourg est à l’horizon et le moment de la séparation imminent. En raison de l’heure tardive, tout en roulant, chacun quitte le groupe et prend la direction de son domicile en levant le bras en signe d’au revoir. Alex qui habite au nord de la ville va devoir se séparer de sa compagne Laure, qui habite au sud. Ensemble, ils s’arrêtent un court instant sur le bord de la route, le temps d’un baiser et se séparent au rond-point suivant, indiquant Grandbourg 15 km. Edgar, qui a vu le manège, s’est discrètement arrêté un peu plus loin, pour laisser passer Alex et reprendre sa position de surveillance à l’arrière.


Les randonnées se faisant à allure modérée, pour respecter à la fois le code de la route et la cohésion du groupe, elles sont un peu frustrantes pour les propriétaires de bolides comme Alex. Aussi, ce dernier va profiter du dernier ruban de route qui lui reste, pour s’éclater un peu au guidon de sa ma-chine. Ce tronçon, long et rectiligne qui se présente à lui le permet, et sachant qu’il n’est pas contrôlé, Alex va l’exploiter.

La pointe de son pied gauche, comme prise d’un tic nerveux, enchaîne les basculements répétitifs du sélecteur de vitesse, pendant que sa main gauche pince alternativement le levier d’embrayage et celle de droite tourne la poignée de gaz. Le vilebrequin s’affole et secoue rapidement les pistons dans leur culasse. Le résultat est immédiat et impressionnant. Telle une fusée Ariane sur sa rampe de lancement, la moto est catapultée en avant et s’éloigne à une vitesse folle. Cela n’est pas pour plaire à Edgar, dont la moto de cylindrée et performances inférieures, n’est pas en mesure de rivaliser. Il s’allonge sur son réservoir en position aérodynamique, afin de réduire la pénétration dans l’air et augmenter un tant soit peu son allure. Couché, il fixe au loin la moto d’Alex qui va bientôt sortir de son champ de vision, lorsqu’un bolide le dépasse sur sa gauche. Bien que l’action soit très rapide, il a le temps et le réflexe de reconnaître l’engin, une Kawasaki ZX10R d’un vert lumineux, chevauchée par un pilote à la combinaison et au casque de couleur assortie. Il aurait dû inverser le choix de ses motos, pense-t-il. Prendre celle de sa compagne pour suivre Alex en ville et la sienne pour l’accompagner en randonnée. En ce moment, il pourrait faire jeu égal avec ce nouveau venu et Alex, au lieu de les voir, impuissant, disparaître à l’horizon.

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