Fyctia
La dernière chance 5
– Non pas du tout, rassurez-vous, nous sommes ici à la recherche de renseignements concernant une personne qui fréquente ou a récemment fréquenté votre établissement. Notamment pour accéder à Internet. Elle était là, vendredi dernier au soir, entre vingt et vingt-et-une heures.
– De qui s’agit-il ?
– Il s’agit d’une jeune femme assez grande, blonde aux cheveux mi-longs qui pourrait se faire appeler Marie, ou par son pseudo, Nymphomia. Ça vous dit quelque chose ?
– Nous ne connaissons pas les noms de tous nos clients et clientes, et ceux que vous évoquez en particulier ne me disent rien. De plus, je ne suis pas toujours dans la salle et puis le vendredi soir, tous les box sont pleins et le bar aussi. Ça grouille de jeunes qui préparent leur week-end à la recherche d’un bon plan. Dans ces conditions, même en les connaissant, il est difficile de dire qui est là ou pas. Mais si vous avez une photo d’elle à me montrer, peut-être que je la reconnaîtrai.
– Oui, en voilà une, mais je ne suis pas certain qu’elle corresponde exactement à la personne. Il est d’ailleurs possible qu’elle soit venue en couple. Auriez-vous vu une personne de ce style-là, ou s’y approchant ?
– Je ne peux pas répondre par l’affirmative à cette question. Il peut y avoir une demi-douzaine de clientes qui correspondent plus ou moins à cette photo. Cette jeune femme ne me dit rien. Interrogez mon barman, au cas où elle serait venue consommer au comptoir. Lui voit les clients de plus près et plus longtemps.
Malheureusement, l’interrogatoire du barman aboutit à une conclusion identique. Il ne l’a pas vue précisément, ou en a vu plusieurs qui pourraient lui ressembler. Même en rajoutant qu’elle se déplaçait en Coccinelle verte, ce détail ne fait pas, pour autant, avancer le schmilblick . Il faut s’en remettre à l’évidence, le Cybercafé est un lieu trop fréquenté certains soirs pour espérer y remarquer quelqu’un en particulier. Sans trop de conviction, Maloire demande au gérant :
– Nous connaissons précisément l’appareil qu’elle a utilisé ce soir-là. Pouvons-nous l’emporter pour y faire un relevé d’empreintes digitales ?
– Si vous voulez, Inspecteur, mais ce sera sans succès, car depuis, beaucoup d’autres personnes y ont laissé les leurs. Et de plus, nous nettoyons tous les claviers à l’alcool, au moins une fois par semaine, pour respecter les règles d’hygiène.
L’argument évoqué est sans appel, le gérant a raison. Dommage, Maloire espérait un indice et une fois de plus il va repartir bredouille. Poster une surveillance les week-ends, en espérant qu’elle revienne, n’apporterait sans doute aucun résultat. Elle y est venue dans le cadre d’un plan bien précis et pour obtenir le but qu’elle a atteint. Maintenant, elle doit penser et agir autrement et Maloire aussi doit penser et agir autrement.
Avec Maude, ils quittent le Cybercafé pour rejoindre leur bureau. Chemin faisant, Maloire imagine les soirées en fin de semaine, quand le Cybercafé est plein à craquer. Comment peut-on passer des heures devant un écran, abasourdi par le tumulte produit par les conversations, les sons émis par les ordinateurs et la musique ambiante, le tout imprégné d’un mélange d’odeurs, pas toujours agréables. Un monde bruyant et artificiel, qu’il a toujours fui et ne comprendra jamais.
Pour l’instant, la seule conclusion qu’il tire de cette visite est qu’il est de plus en plus convaincu que les agresseurs vont s’orienter différemment et qu’ils vont exploiter le domaine de la moto pour terminer leur sordide massacre. C’est pour lui sa dernière chance de les mettre en échec et hors d’état de nuire. Il faut prendre le risque de tout miser sur cette idée et surtout ne pas faire d’erreur.
Cela fait maintenant trois semaines qu’Alex est cloîtré dans sa résidence. Beaucoup plus que pré-vu par Maloire. Il n’aura pas fallu lui conseiller ou l’y contraindre, car il s’est lui-même infligé cet emprisonnement. L’assassinat de son frère lui a fait prendre conscience qu’il était lui aussi en danger de mort et cette pensée ne le quitte plus. Malgré les visites qu’il reçoit, du reste de sa famille, de sa compagne Laure ou de ses amis, il déprime et dépérit lentement, mais sûrement. Son entourage est inquiet et pense qu’il ne faudrait pas qu’il tombe dans la paranoïa, ce qui aurait pour conséquences de l’enfermer sur lui-même et vraisemblablement, aussi, dans une maison spécialisée. Cela serait préjudiciable pour tous et ralentirait considérablement le déroulement de l’enquête, qui mise maintenant sur une nouvelle action des agresseurs. Maloire l’a bien compris et a détaché auprès d’Alex des psychiatres et autres sophrologues pour le remettre rapidement en selle. Cela semble porter ses fruits puisque Alex a consenti à reprendre son activité professionnelle dans huit jours. D’autant que le directeur de son entreprise, pour lui rendre la tâche plus facile, a accepté de changer Alex de service, afin qu’il subisse moins les regards curieux et les questions désobligeantes de ses collègues de travail.
Ce temps écoulé a permis à Edgar de se façonner un nouveau physique. Il est désormais pourvu d’une courte barbe et ses cheveux, légèrement plus longs, sont maintenant coiffés. Cela lui aura au moins permis d’investir dans un peigne qui lui faisait cruellement défaut auparavant. Il n’a pas encore eu l’occasion de se mettre en scène pour surveiller Alex, mais cela ne va pas tarder et, quelque part, il est un peu impatient d’agir maintenant qu’il est fin prêt. C’est l’affaire de quelques jours.
Après l’intervention des spécialistes, et devant l’éveil d’Alex, Maloire a eu un entretien avec ce dernier pour le rassurer. Il lui a expliqué qu’il devait poursuivre sa vie normalement, et que c’était la meilleure façon pour la police de mettre la main sur les coupables. Il n’avait pas plus de chance de leur échapper en restant isolé, qu’en étant mobile et actif. La police veillait sur lui et mettait tous les moyens en œuvre pour le protéger, sans que cela soit perceptible de l’extérieur. Il n’était pas question de se servir de lui comme d’un appât, mais il devait, dans son propre intérêt, reprendre le cours normal de ses activités pour contribuer efficacement à l’action de la police. Alex l’a bien compris et lui a assuré d’en tenir compte.
Voilà maintenant deux semaines qu’Alex a repris son activité professionnelle, suivi discrètement dans ses déplacements par Edgar, son ange gardien motorisé. Les jours se suivent et se ressemblent, dans une routine des plus monotones, jusqu’à ce qu’Alex, sous l’insistance de sa compagne Laure, elle aussi briefée par Maloire, accepte de faire une randonnée à moto. Leur téléphone respectif étant sur écoute permanente, il est très facile de réagir à leur projet. C’est ainsi que le week-end venu, Edgar, au guidon de la moto de sa compagne, une Kawasaki W800 blanche et flambant neuve, piste Alex qui vient de quitter son domicile au guidon de sa Yamaha R1, bleu semblable à celle de son idole.
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