Fyctia
La récidive implacable 5
Maloire et son adjoint passent au peigne fin le corps de la victime et ses environs, sans plus de succès que pour les victimes précédentes. Après avoir été mitraillé de photos, ordre est donné d’enlever le corps. La fermeture éclair de la housse noire se referme sur le visage figé de Rémi et il est chargé dans l’ambulance qui va l’emmener vers la chambre mortuaire où il sera examiné par un médecin légiste.
Maloire regagne la sortie du parking, non sans être inquiet pour la suite des événements, car de toute évidence, quelqu’un en veut aux Savin et, dorénavant, la vie d’Alex est en danger. Il faut absolument arrêter le ou les auteurs de ces assassinats, avant qu’ils ne s’en prennent à lui.
S’adressant à son adjoint, il dit :
– Edgar, il est encore tôt, on va faire le tour de la place et questionner les gens du voisinage pour savoir si quelqu’un a vu quelque chose. Tu relèveras tous les noms des personnes interrogées afin de ne pas faire double emploi avec la prochaine enquête des gendarmes.
– OK, Inspecteur, je vous suis.
Ensemble, ils pénètrent dans toutes les habitations ayant vue sur la place du marché et y interro-gent les personnes présentes. À cette heure de la soirée, beaucoup étaient occupés à regarder la télé-vision et personne n’a vu de mouvement, ou de situation suspecte, sauf une dame, préoccupée à guetter l’arrivée de sa fille partie deux heures plus tôt pour suivre ses cours de yoga.
Elle affirme avoir vu deux voitures stationnées devant l’entrée du parking vers vingt-et-une heures.
Devant sa fenêtre, au deuxième étage surplombant la place du marché, Maloire lui demande :
– C’est d’ici que vous les avez vus ?
– Oui, répond la dame.
– Pouvez-vous me décrire les véhicules ?
– Il y avait une voiture couleur orangée, dont je ne connais pas la marque et une autre voiture couleur verte, très pâle, une ancienne Volkswagen. Vous savez, la Coccinelle ?
– Pourquoi une Coccinelle ?
– Parce qu’elle avait des ouvertures d’aération sur le capot arrière et cette sorte de nez qui éclaire la plaque minéralogique. Cette voiture a une forme très caractéristique et facilement reconnaissable.
– Avait-elle un signe distinctif, une décoration particulière, un autocollant sur le pare-brise arrière, par exemple ?
– Non, je n’ai rien remarqué.
– Qu’avez-vous vu d’autre ?
– Un homme est sorti de la voiture et s’est approché de la Coccinelle, ensuite il est retourné dans sa voiture et ils sont tous deux entrés dans le parking.
– Pouvez-vous me décrire l’homme ?
– Je ne l’ai pas bien vu d’ici, mais il avait une allure jeune et était d’assez grande taille. Il portait un jeans et un sweat gris clair avec une capuche dans le dos.
– Et le conducteur de la Coccinelle, vous l’avez vu ?
– Non, pas du tout, car le jeune homme masquait la vitre côté conducteur.
Tout en l’écoutant, Maloire scrute la place au travers des carreaux et aperçoit un homme allongé sur un banc dans un coin passablement obscur.
– Merci, madame, pour votre concours, on vous contactera pour signer votre déposition.
– À votre disposition, monsieur l’Inspecteur.
– Edgar, viens on descend, je crois qu’il y a un témoin oculaire possible sur la place.
Maloire s’approche de l’homme étendu sur le banc. C’est un homme d’une quarantaine d’années, enveloppé dans une couverture crasseuse qui ne laisse apparaître qu’un visage maculé couvert d’une chevelure grasse et collée en paquet. Une paire de chaussures sans lacet, qui a l’air d’avoir fait le tour du monde, dépasse à l’autre extrémité de la couverture. Sous le banc, un sac à dos mal fermé et plein comme un œuf est accompagné de trois bouteilles de vin vides, d’une marque bon marché. Quelle horreur pense Maloire, qui est à l’extrême opposé de cet individu, dont l’odeur à son approche, le surprend et le fait reculer d’un pas. Prenant son courage à deux mains, il daigne le secouer pour le réveiller. L’homme entrouvre les yeux et d’un regard imbibé d’alcool regarde Maloire en lui disant :
– Qu’est-ce qu’il y a ?
– Police ! On a une question à vous poser.
– Qu’est-ce que j’ai encore fait ? réplique-t-il d’une voix rauque mêlée d’un relent nauséabond.
– Rien, ce n’est pas pour vous qu’on veut vous interroger. Étiez-vous là hier soir vers vingt-et-une heures ?
Tout en se redressant pour s’asseoir sur le banc, l’individu laisse entrevoir sous sa couverture une tenue vestimentaire qui ferait fuir n’importe lequel des collecteurs d’Emmaüs.
– Oui, comme tous les soirs, pourquoi ?
– Étiez-vous éveillé, ou dormiez-vous ?
– Je ne dormais pas encore.
– Avez-vous vu des voitures stationner devant l’entrée du parking ?
– Oui, deux, qui sont ensuite entrées dans le tunnel.
– Pouvez-vous me les décrire ?
La description correspond, en tous points, à celle donnée par la dame du deuxième étage. De plus, l’homme certifie avoir reconnu une Coccinelle vert clair, en la voyant de face, lorsqu’elle est ressortie du parking et qu’elle a stoppé quelques instants.
– Avez-vous pu lire le numéro de sa plaque minéralogique, par hasard ? demande Maloire.
– Non, d’ici ce n’est pas possible, de plus j’étais allongé et la voyais de travers.
– Avez-vous vu l’occupant de la Coccinelle ?
– Oui, c’était une femme blonde aux cheveux mi-longs. Elle a regardé dans toutes les directions avant de repartir.
– Merci, monsieur. Des gendarmes viendront vous chercher pour signer votre déposition. Ne craignez rien, ils ne vous chercheront pas d’histoire, vous avez ma parole. Bonne journée.
En rejoignant sa voiture avec son adjoint, Maloire se dit qu’il va falloir établir un plan d’action rapide et efficace. La situation est très grave. Les événements se répètent et viennent confirmer la locution adverbiale qui dit « Jamais deux sans trois ». Mais il y a un quatrième Savin, et comme le prédisent certains, « Jamais deux sans trois, et le quatrième vient tout seul ». Il va falloir contredire à tout prix la suite de ce proverbe.
– Edgar, nous savons maintenant avec certitude qu’il y a un homme et une femme impliqués dans ces assassinats. La femme est blonde et roule en Volkswagen verte. On a un de ses cheveux que nous allons faire examiner, mais qui ne nous mènera pas à elle.
– Exact, il ne nous servira qu’à la compromettre quand on l’aura arrêtée. Mais l’unique question qui se pose à présent est : comment trouver une blonde qui roule en Coccinelle verte ?
– C’est ce qu’on verra dans le détail en rentrant. En attendant, on va rendre visite à la femme de Rémi Savin. Mais avant, on va passer à la gendarmerie de Grandbourg pour leur demander qu’ils mettent son frère Alex sous haute surveillance. Il faut l’empêcher de sortir jusqu’à nouvel ordre, car il est en danger de mort.
Quelques minutes plus tard, la voiture stoppe devant un petit immeuble situé en périphérie de la ville, dans un endroit calme et retiré. Maloire connaît cet endroit pour y être venu plusieurs fois au cours de l’enquête sur la mort des parents de Rémi. Sans hésiter, il se dirige vers la porte d’entrée et actionne le bouton du troisième étage.
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