Fyctia
La récidive implacable 4
Tout un programme. Rémi est convaincu d’avoir ferré une bonne prise et il ne veut pas perdre de temps. « Il faut battre le fer tant qu’il est chaud », pense-t-il, et celle-là paraît particulièrement chaude. Il prend donc rendez-vous avec elle pour le lendemain soir, devant l’entrée du parking sou-terrain de la place du marché, en se donnant comme repère visuel la description de leur véhicule respectif.
Le lendemain soir, après le dîner, sous prétexte d’aller faire une partie de poker avec ses copains, Rémi quitte le domicile conjugal. L’escapade n’est pas coutumière, raison pour laquelle sa femme Maguy accepte, car elle sait qu’il rentre toujours vers minuit.
Rémi, qui est arrivé en avance au rendez-vous, frétille d’impatience. Il est là, depuis un quart d’heure, devant l’entrée du parking, à scruter depuis sa voiture l’arrivée de Nymphomia. Soudain, il aperçoit dans son rétroviseur une vague lueur qui sautille au bout de la rue, se précise, s’arrondit, jusqu’à former les yeux ronds d’une Coccinelle. La Volkswagen ralentit et stoppe à proximité de la Rover. Rémi sort, contourne sa voiture et s’approche de celle de Nymphomia qui a baissé la vitre de sa portière. Du haut de son mètre quatre-vingt, il peut voir, en vue plongeante, ses longues jambes dépasser de sa minijupe beige, assortie d’un blouson en toile de jeans bleu, qui, ouvert, laisse apparaître les proéminences de sa poitrine sous un tricot ras du cou, couleur chair.
– On va dans le parking ? On y sera tranquille, lui propose Rémi.
– D’accord, je te suis, lui répond Nymphomia en lui jetant un regard par en dessous.
La voiture de Rémi s’engouffre dans le tunnel d’accès, suivie par la Coccinelle. À ces heures tardives de la journée, par son insécurité, le parking non sécurisé n’abrite plus beaucoup de véhicules. Ils n’y seront pas dérangés. Rémi se gare le plus loin possible de l’entrée, suivi de Nymphomia qui se place à sa gauche. Il baisse sa vitre et demande à Nymphomia qui a baissé celle côté passager :
– Tu viens dans ma voiture ?
– Non ! Viens plutôt dans la mienne, tu verras, ce sera plus marrant, répond Nymphomia.
Pourquoi pas, pense-t-il, elle a l’air de ne pas en être à son coup d’essai et puis « faire l’amour en Coccinelle », ça peut apporter un peu de piment et une expérience nouvelle.
Rémi ouvre la portière de sa voiture, la referme et s’apprête à entrer dans la Coccinelle, quand la jeune femme sort de son véhicule, en fait le tour et vient à sa rencontre. Une fois à sa hauteur, elle plaque sur son torse un pistolet à impulsion électrique qui lui envoie une décharge paralysante. Rémi est pris de convulsions, son système nerveux central est bloqué, il vacille, s’accroupit et s’écroule lentement sur le sol. La jeune femme ligote rapidement ses chevilles avec une sangle de velcro extirpée de son blouson et le plaque dos au sol. Rémi tente de se relever, mais une deuxième décharge le foudroie et l’immobilise aussitôt. Nymphomia lui replie alors les mains dans le dos et chevauche son buste en exerçant de son poids une pression sur son ventre, qui a pour effet de lui bloquer partielle-ment la respiration et les avant-bras prisonniers au creux de ses reins. Elle sort alors d’une de ses poches un sac en plastique qu’elle applique fortement sur le visage de Rémi, dont les yeux horrifiés la fixent au travers. Sous la pression du sac, son nez s’écrase, ses lèvres s’épaississent, ses joues s’étirent, sa tête se bloque. Quelques secondes d’attente, et c’est fini ! Il ne bouge plus, il ne respire plus, il est mort.
Elle se relève calmement, récupère son Taser posé sur le sol et se dirige vers son véhicule. Elle fouille quelques instants dans sa boîte à gants et revient vers le corps allongé entre les deux voitures. Elle tâte ses poches, en extrait un téléphone mobile, fait défiler le répertoire des noms jusqu’à celui d’Alex et en note le numéro sur un calepin. Un dernier coup d’œil sur le corps et sur les lieux pour s’assurer que tout est en ordre. Avec son mouchoir, elle essuie la poignée de sa portière côté passager, ainsi que la carrosserie sur le toit de sa voiture. Puis, tout en retirant ses gants de plastique, elle retourne prendre place derrière son volant. La voiture démarre, sort à faible allure du parking et s’immobilise sur la place. La jeune femme jette un regard environnant pour constater qu’il n’y a pas âme qui vive aux alentours, sauf cette masse sombre et informe allongée sur un banc dans l’obscurité à une trentaine de mètres. Sans doute un SDF saoul en train de cuver son mauvais vin, pense-t-elle. La voiture s’éloigne et disparaît, absorbée par la noirceur de la nuit.
Maloire et son adjoint ont été appelés très tôt ce matin par la police locale, lorsqu’un automobiliste, récupérant sa voiture, a fait la macabre découverte. Ils sont rapidement venus sur les lieux, afin d’éviter qu’un indice ou une pièce à conviction apparente ne soit déplacé, ou que la zone du crime ne soit trop piétinée. À cette heure, la place du marché, toujours recouverte de l’épais manteau noir de la nuit, est seulement éclairée par quelques réverbères disséminés. Tous les accès au parking ont été condamnés, sauf celui des véhicules, gardé et surveillé par deux gendarmes. Maloire et son ad-joint s’engagent sous le portique équipé de deux énormes hublots jaunes qui éclairent l’entrée du tunnel plongeant dans le parking. Ils saluent au passage les gendarmes en faction, dont le visage jauni, par la lumière, leur donne un teint maladif. À l’intérieur, l’aire du crime est balisée et encadrée par des rubans jaune et noir.
Penché sur le corps, Maloire constate qu’il adopte une position identique aux deux précédentes victimes, mais un petit détail attire toute son attention. Une sangle de velcro, dont la longueur paraît insuffisante pour être une ceinture, a été utilisée pour lui ligoter les chevilles. Preuve évidente que l’agresseur l’avait emportée pour cet usage. Il avait tout prévu, car le pantalon de la victime ne com-porte pas de ceinture, comme la plupart des jeunes de son âge. En y regardant de plus près, il dé-couvre un long cheveu blond qui s’est agrippé dans les crochets de la sangle. Il le récupère, l’examine avec un léger sourire de satisfaction et le range dans un sachet en plastique qu’il donne à son adjoint en lui disant :
– Edgar, tiens, je crois que nous avons quelque chose.
– C’est un cheveu de femme ?
– Apparemment oui, vu sa couleur et sa longueur.
– Son analyse ADN nous le confirmera, Inspecteur.
– Bien sûr ! Et sans trop se tromper, on peut affirmer qu’il y a neuf chances sur dix pour qu’une femme l’ait attiré dans ce parking afin de lui tendre un piège. Il va nous falloir trouver par quel moyen elle y est parvenue.
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