Fyctia
La récidive implacable
Une semaine avant le double assassinat.
Les larges lamelles du rideau en PVC s’écartent et laissent passer le transpalette et son gros chargement de carreaux et de faïence. Aujourd’hui, c’est jour de promotion chez BricoDéco, la grande surface de bricolage située dans la zone commerciale de Grandbourg. Rémi Savin, employé comme manutentionnaire, dépose la palette dans l’allée principale du magasin, en prenant soin de bien l’aligner avec les autres. Une vendeuse, enveloppée dans une blouse ajustée verte, appose les étiquettes aux couleurs criardes, sur chaque produit correspondant. Les clients, comme des badauds, s’ahttps://fyctia.com/profile/pages/131033ttardent devant les lots d’invendus et de fin de série pour tenter d’y dénicher la bonne affaire.
Rémi préfère alimenter les rayons du magasin plutôt que ceux de l’entrepôt de stockage, cela lui permet de voir et de draguer furtivement les jeunes vendeuses. Car bien qu’il soit marié à Maguy, employée comme caissière, cela ne le dérange aucunement. C’est d’ailleurs ici qu’il l’a connue et s’il l’a épousée, c’est qu’elle était enceinte de lui. Mais elle a fait une fausse couche et perdu son enfant au cours du sixième mois de grossesse. Ils sont toujours ensemble, mais Rémi ne s’est pas assagi, il reste un dragueur invétéré et saute sur tout ce qui bouge.
S’il a beaucoup de succès auprès des filles, c’est parce qu’il est physiquement beau garçon, mais aussi et surtout parce qu’il a un atout supplémentaire qui les fait rêver. Il ressemble à s’y méprendre au Prince Harry, frère du futur roi d’Angleterre et fils du prince Charles et de Diana. Rouquin de naissance, avec sa chevelure rebelle et ses yeux bleus, il n’a pas eu besoin de beaucoup forcer son talent pour imiter Harry. Il se contente de copier sa coiffure, ses tenues vestimentaires et d’orienter ses efforts à singer ses expressions et ses attitudes. Son apparence est devenue son arme fatale et il en use et abuse à volonté.
Sa MG TF Golden décapotable couleur or, voiture de marque anglaise oblige, est du plus bel effet et accentue ce côté British qu’il cultive à merveille. Il en a baladé des filles à son volant et le siège passager a souvent pris la position couchette, quand elles eurent succombé au charme du Prince. Mais ce n’est pas son meilleur accessoire de séduction, loin de là, son préféré est son ordinateur qui lui permet, au travers d’Internet, d’utiliser des outils nettement plus performants, que sont les réseaux sociaux et autres sites de rencontre. Avec eux, il peut s’afficher et montrer sa belle gueule de jeune premier de la cour d’Angleterre. Les résultats sont plus que convaincants et il fait des ravages virtuels sur la toile. Tous ses contacts ne débouchent pas sur une rencontre et une conclusion sexuelle, mais ils flattent son ego et alimentent son orgueil.
Son frère, Alex, n’est pas du tout fan du Prince Harry et encore moins de la noblesse anglaise. Son idole à lui est italienne et se nomme Valentino Rossi, le champion motocycliste aux multiples victoires et titres mondiaux. Il est animé par la même passion et s’identifie un peu à lui, au point d’avoir laissé pousser ses cheveux, ses favoris et une barbichette clairsemée. Il voue une passion sans limites aux motos et passe tous ses loisirs à sillonner les routes environnantes en groupe de motards ou avec sa compagne Laure. Une belle brune aux cheveux courts, dont la combinaison de cuir noir épouse parfaitement ses formes sculpturales.
Alex est employé comme technicien dans le service de maintenance des engins d’une importante société de travaux publics à Grandbourg. Il habite, comme son frère et ses parents, cette ville depuis maintenant dix-sept ans, période qui a succédé à leur départ précipité de Saint Victor, où ils ont dû abandonner à contrecœur leur belle et grande maison. Il se souvient toujours des causes de ce dé-part, mais n’en parle jamais, ni avec son frère ni avec ses parents. Rémi, lui en a voulu et lui en veut toujours d’avoir menti ce jour-là. C’est pourquoi son attitude envers Alex a changé depuis. Si son frère conserve toujours un ascendant physique et psychologique sur lui, en contrepartie, maintenant il lui donne le change en lui opposant sa malice. Ils sont moins complices qu’auparavant et se sont un peu détachés l’un de l’autre, vivant leur vie chacun de leur côté et à leur convenance. Ce qui ne les empêche pas de se voir régulièrement ou de se rencontrer pour un repas, pris en famille chez leurs parents, ou chez l’un, ou l’autre, au gré des occasions. D’ailleurs, ce week-end, Alex organise une petite Garden Party chez lui et l’a invité avec sa femme Maguy.
La journée s’annonce plutôt bien, le ciel est dégagé, la température clémente, pas un souffle d’air, de quoi profiter du soleil radieux qui envahit le jardin. Un parasol a été planté et déployé au milieu de la table en résine blanche, installée sur la pelouse et ceinturée par des chaises assorties. Sur la terrasse, à quelques mètres de là, un barbecue fumant laisse échapper une odeur de saucisses grillées. Alex, qui s’est dévoué pour l’allumer et l’entretenir, a le visage rougi par les braises à force de les activer en soufflant dessus. Dans la cuisine, dont la porte-fenêtre ouverte donne directement accès à la terrasse, Laure, sa compagne, est en train d’enfiler sur des pics en acier les petits cubes de veau et de porc que lui a préparés son boucher. Elle est aidée dans sa tâche par Maguy, la femme de Rémi, qui s’applique à découper des carrés de poivrons rouges et verts pour les intercaler entre les dés de viande. Elles papotent ensemble, parlent chiffon, coiffure et autres cosmétiques à la mode.
Dehors, Alex s’impatiente, la première fournée de chipolatas est cuite et alignée sur le plat en inox, la salade de crudités est servie dans le grand saladier de verre, la bouteille d’apéritif, en l’occurrence du pastis, est là posée sur la table, l’eau bien au frais dans le réfrigérateur, le seau à glace attend d’être rempli, bref tout est prêt, il ne manque plus que Rémi.
En arrivant, une heure plus tôt, ce dernier a déposé sa femme devant le portail avant de repartir en ville acheter des cigarettes, mais il n’est toujours pas de retour.
Alex regarde sa montre et dit en pestant :
– Mais où est Rémi bon sang ? Il est midi passé et il n’est pas encore là. On avait convenu de se retrouver à onze heures, il a maintenant plus d’une heure de retard et pendant ce temps, je dois tout me farcir.
– Il a dû rencontrer un copain au tabac, ou bien, il doit faire un tiercé, il ne va plus tarder maintenant, car les commerçants vont bientôt fermer, répond Maguy.
– Ou alors, il est encore en train de draguer la première venue, comme à son habitude, ajoute Laure en se débarrassant de son tablier de cuisine.
– Drague ou tiercé, je m’en fous, si ça continue, tout va être cramé, ou alors on va finir par manger froid, ajoute Alex sur un ton énervé.
– Je vais me changer, lui dit Laure, en déposant le plat de brochettes près du barbecue.
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