Robcar Funeste engrenage La descente aux enfers 6

La descente aux enfers 6

Stéphane porte la tasse fumante à sa bouche, rapidement imité par Maloire et son adjoint, et reprend :

– En quoi cela nous concerne-t-il ? demande-t-il, en formulant sa question au temps présent, comme pour se persuader que sa sœur est encore en vie.

– Dans le cadre de notre enquête, nous devons interroger toutes les personnes qui ont connu les victimes et ayant eu avec elles une relation particulière. Ce qui est le cas pour vous, avec l’accident dramatique de votre père. Vous disiez à l’instant que vous éprouviez une certaine joie à l’annonce de leur mort, qu’entendez-vous par là ?

– J’entends par là, que si j’avais eu le courage de le faire, je l’aurais fait, et sans regret, mais bien plus tôt. Cela aurait évité à Marion de mettre fin à ses jours. Ça aurait permis de l’exorciser en quelque sorte. Elle est morte à cause d’eux, comme ma mère et mon père. Ce qui leur est arrivé, aux Savin, n’est que justice et j’espère bien qu’ils ont souffert. Je ne connais pas celui qui en est l’auteur, mais je lui rends hommage.

– Vous n’y allez pas avec le dos de la cuillère, vos propos sont pour le moins surprenants.

– Surprenants ? dit-il sur un ton énervé. Vous ne vous imaginez pas ce qu’a été notre vie jusqu’à aujourd’hui, surtout celle de Marion, faite de dépressions et de déclins. Elle a vécu un véritable en-fer. Heureusement qu’elle a connu Gaby, un garçon extraordinaire qui l’aimait follement et qui la cajolait constamment. Sans lui, je ne sais pas si elle aurait tenu aussi longtemps à la vie. Parce que, ce que vous devez savoir, c’est qu’elle s’est suicidée, ce n’est pas une mort accidentelle. Elle a fini comme ma mère, qui s’est laissée mourir après la mort de mon père. Vous le comprenez ça, monsieur l’Inspecteur ?

– Bien sûr, répond Maloire, et nous compatissons sincèrement à votre douleur, mais nous avons un point de vue totalement divergent, sur les faits. Nous comprenons le vôtre, mais nous sommes là pour chercher le ou les assassins, et non pour les encenser.

– Et bien cherchez et trouvez. Au fait, qu’est-ce que vous nous vouliez, à Marion et à moi ? Vous n’avez pas répondu à ma question, vous nous soupçonniez d’être les coupables ?

– Toutes les pistes sont à suivre dans le cadre d’une enquête, et la vôtre l’était particulièrement, étant donné que vous aviez un mobile et que vous venez de me faire la démonstration que vous au-riez pu envisager de le faire. Mais maintenant, j’ai une vision différente, ce qui ne m’empêchera pas de vous demander où vous étiez durant toute la semaine dernière. Par simple routine, bien entendu.

– J’ai travaillé lundi, mercredi et jeudi au siège, ensuite je suis parti en mission mardi et vendredi pour installer des réseaux informatiques chez deux de nos clients. Je peux vous donner leurs noms et leurs adresses si vous le désirez.

– Non, ce ne sera pas nécessaire, nous vérifierons auprès de votre employeur.


Pendant ce temps, sans perdre une bribe de la conversation, Edgar examine la cuisine avec une curiosité machinale et professionnelle. Pour lui, c’est devenu un réflexe cet exercice visuel et de mémorisation, tel qu’il en a fait des quantités lors de son apprentissage. Il constate en premier lieu que le repas a été servi pour deux personnes. Sur la nappe de toile cirée à petites fleurs, sont alignés en vis-à-vis deux assiettes, deux couverts et deux verres, opposés dans une symétrie parfaite passant par une ligne imaginaire tirée entre la bouteille d’eau minérale et la corbeille à pain. Cette analyse sans importance fait partie des automatismes d’un bon flic. Il voit sur le plan de travail, à côté de l’évier, une boîte de lentilles au couvercle dentelé mi-ouvert, très certainement entamée, sinon elle aurait terminé dans la poubelle. Proche de cette dernière, un sachet plastique de saucissettes à moitié vide. Le contenu des assiettes ne comprend plus que des pelures d’oranges et de gros pépins blancs dans l’une, et des pelures de pommes, avec une queue, dans l’autre. Pas d’autre plat, signe que Stéphane a dû faire un petit repas simple et rapide. Mais avec qui ? Il n’y a personne d’autre que lui dans l’appartement et il allait prendre un café seul quand nous sommes arrivés. Je lui poserai la question en partant, pense-t-il.


Maloire se lève de sa chaise en formica, en jetant un dernier coup d’œil sur son plateau, peu inspiré par la propreté de la cuisine et inquiet pour le fond de son pantalon. Tout en se dirigeant vers la porte de sortie, il remercie et adresse ses condoléances à Stéphane. Edgar en fait de même et ajoute :

– Au fait, vous étiez en compagnie, j’ai vu qu’il y avait deux couverts sur la table de la cuisine, j’espère que nous ne vous avons pas trop dérangé.

– Non, Inspecteur, j’ai eu la visite du cousin de Gaby, qui est aussi mon meilleur ami. Il est parti assez tôt, car il avait à faire. Heureusement qu’il me reste les amis, car maintenant je suis complète-ment seul et c’est difficile à vivre.

– Je comprends bien, merci et au revoir.


Maloire et Edgar quittent Beaulieu, troublés par ce qu’ils viennent d’apprendre. Ils étaient venus dans la perspective de confondre les enfants Valmer, persuadés qu’ils étaient impliqués dans l’affaire du double assassinat, et ils repartent convaincus du contraire. Marion ne pouvait en aucun cas être la prostituée de l’aire autoroutière, son agenda et son état ont prouvé le contraire, et Stéphane était en mission juste les jours où les deux assassinats ont été commis. Bien sûr, rien n’est encore vérifié, mais il y a de grandes chances pour que cela se confirme par la suite.

– Edgar, cela fait deux semaines que nous avons deux victimes et deux assassins probables, mais toujours pas de suspects potentiels. Nos espérances sont tombées à l’eau avec ce que nous avons appris aujourd’hui. Marion et Stéphane Valmer ne sont certainement pas les auteurs que nous avions envisagés, mais je reste persuadé que la solution tourne autour d’eux. On ne va pas abandonner cette piste, même si elle est dépourvue d’indice pour l’instant.

– Vous avez raison, Inspecteur, je ne sais pas pourquoi, mais j’ai le même sentiment que vous.

– C’est tout simplement parce que nous n’avons rien de mieux à nous mettre sous la dent et que nous tenons un mobile. Même s’il est bancal, il a au moins le mérite d’exister. Tant que nous ne trouverons pas mieux ailleurs, nous serons obligés de continuer dans cette voie.

– Je suis tout à fait d’accord avec vous, Inspecteur, mais qu’allons-nous faire maintenant ?

– Eh bien, on va continuer en assistant dès lundi aux obsèques de Marion. Il faudra avoir les yeux bien ouverts et ne rien louper sur les attitudes des personnes présentes.

– Vous pensez que les assassins seront présents ?

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